Par Jacques Mandelbaum Publié le 12 octobre 2022
Un documentaire remarquable, en immersion dans un dispositif unique en France, et dans le quotidien de l’enseignant qui le porte, à destination de jeunes en décrochage scolaire.
L’AVIS DU « MONDE » – A VOIR
A Grenoble, au lycée professionnel Guynemer, existe depuis 2012 une classe de 3e unique en France, qui propose chaque année à une quinzaine d’adolescents en décrochage scolaire sévère de les arrimer à un projet de qualification professionnelle, par l’obtention d’un CAP, voire d’un bac pro. Baptisé « Starter », ce dispositif a été créé et coordonné par Antoine Gentil qui, c’est le moins qu’on puisse dire, entouré d’une poignée d’enseignants associés, paie de sa personne pour tirer vers le haut ces jeunes en difficulté. Agnès et Xabi Molia, elle documentariste, lui réalisateur et romancier, se sont installés en classe et ont suivi, un an durant, le processus mis en œuvre pour ce faire. Encore faut-il préciser que le tandem de réalisateurs, frère et sœur à la ville, avait au préalable fait des repérages durant les deux années scolaires précédant leur tournage.
Cette longue immersion – restituée par le choix du « Scope » et du plan-séquence – permet au film de saisir au plus près l’efficience et, pourquoi économiser ses mots, la réussite éclatante du projet. Elle consiste en un mélange bien dosé de partenariat actif avec les entreprises et de soutien intensif aux élèves, tant psychologique que pédagogique. C’est bien le moins, pensera-t-on, sauf que le film, c’est sa grande vertu, met en lumière ce qu’il faut de résolution, d’opiniâtreté, de patience et de bienveillance pour parvenir à ce minimum. C’est dire d’emblée que le véritable héros de ce film – dans la droite ligne de l’enseignant Georges Lopez dans le célébrissime Etre et avoir (2002) de Nicolas Philibert – est Antoine Gentil, dont l’énergie, l’omniprésence, la combativité, la qualité d’écoute, l’exigence et l’intelligence pédagogiques enfin, magnétisent le cadre.
Energie positive
Largement tributaire de cette prépondérance, la mise en scène n’en doit pas moins distribuer les autres rôles ou, pour mieux dire, puisque c’est aussi bien de documentaire qu’il s’agit, s’emparer de ce que les sujets filmés veulent bien lui donner. Ce sont, bien sûr, les parents, régulièrement sollicités par le corps enseignant pour conforter leur stratégie d’accompagnement, et donc présents dans le film. Ce sont, plus encore, quelques « personnages » (Tamara, Nels, Ziyad) qui se constituent rapidement au sein du groupe des élèves, dont les vicissitudes et l’évolution, les coups de tête et de déprime, les espoirs et les joies aussi structurent le récit, sous le signe de l’incertitude la plus complète sur ce qu’ils feront d’eux-mêmes au terme de l’année, et donc du film.
Il est rare de sortir d’un documentaire en ayant le sentiment d’avoir vu un « feel-good movie ».
Mais il y a fondamentalement dans ce film une énergie positive qui emporte tout sur son passage. Au point qu’on en vient à se demander si les réalisateurs, peut-être, n’auraient pas eu tendance à édulcorer les difficultés. Ou bien est-ce nous, spectateurs incrédules, qui ne sommes plus capables de croire en la beauté d’un geste quand, par extraordinaire, elle se présente à nous ? Comment cela !
A l’heure où l’école traverse une crise profonde, où les élèves les plus fragiles sont impitoyablement conduits vers des voies de garage, où les enseignants désespèrent de leur métier, où l’institution elle-même ne semble plus pouvoir endiguer le malaise social qu’elle est censée combattre, voici donc une classe où l’on redonnerait espoir, dignité et confiance en eux-mêmes à ceux qui ont renoncé ? Il est rare, en tout état de cause, de sortir d’un documentaire en ayant le sentiment d’avoir vu un « feel-good movie ». Tout en remâchant la première question que chaque spectateur se posera à la sortie de la salle : mais pourquoi une telle classe est-elle donc unique en France ?
Documentaire français d’Agnès et Xabi Molia (1 h 39). Sur le Web : www.hautetcourt.com/documentaires/un-bon-debut.
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