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jeudi 10 novembre 2022

Témoignages Harcèlement scolaire : «Les cas les plus lourds commencent dès l’école primaire»

par Elsa Maudet    publié le 10 novembre 2022

Si l’on a tendance à associer le harcèlement à l’adolescence et aux réseaux sociaux, c’est bien avant qu’il faut agir, en apprenant aux enfants dès le plus jeune âge l’empathie et la gestion de conflits.

«J’avais peur tous les jours de savoir si on allait m’appeler pour me dire qu’il était à hôpital ou qu’il était arrivé un malheur», confie Coralie. Du CE1 au CM1, son fils, Zéphyr (1) a subi du harcèlement. Trois années de douleur, dans trois écoles différentes du Val-de-Marne, et pas d’issue. A tel point que le garçon, aujourd’hui âgé de 12 ans, est déscolarisé depuis trois ans. Après une maternelle et un CP sans embûches, les choses ont basculé en CE1, lorsqu’un camarade de classe a encouragé les autres à ne pas lui parler. «C’est un enfant un peu différent, indique sa mère. Il n’est pas bagarreur alors que, là où on habite, les enfants se battent, et ils aiment tous le foot et pas mon fils.» Zéphyr est également bien plus petit et chétif que les autres.

Au fil des mois, son exclusion du groupe est de plus en plus marquée. Coralie l’assure : la maîtresse était au courant. «A aucun moment, on ne me convoque, rien ne se met en place. On me dit que c’est moi qui suis trop maman poule et que le problème, c’est mon fils. Je suis prête à tout entendre, mais qu’on me convoque, qu’on me mette en place une équipe éducative [composée de l’enseignant, du directeur, du psychologue scolaire, du médecin scolaire…, ndlr].»

La situation s’envenime avec la directrice, Coralie change son fils d’école. Rebelote : harcèlement, inaction des adultes. Zéphyr est inscrit dans une troisième école. Là, «ça devient extrêmement violent, avec tentative d’étranglement, il est tapé sur un coin de table… J’ai peur pour mon fils». Coralie le déscolarise «pour le protéger». Et reste seule. «J’ai appelé les fameux numéros anti-harcèlement, j’ai essayé d’interpeller tout le monde – le maire, les députés –, j’ai frappé à toutes les portes, à chaque fois elles se referment. Je demande juste de l’aide. Le problème du harcèlement, c’est que ça dépend de qui vous avez en face de vous. On n’a pas eu de chance.»

Premières compétences psychosociales

En dix ans, la France a fait de grands progrès en la matière, prenant enfin le problème au sérieux et déployant diverses stratégies pour l’endiguer, à travers notamment une journée nationale de lutte contre le harcèlement à l’école, ce jeudi 10 novembre. Mais «souvent, les politiques publiques sont très sensibles à ce qui se passe au collège et il y a cette idée un peu fausse que c’est là le problème. Or les harcèlements les plus lourds ont commencé dès l’école primaire»,indique Benjamin Moignard, professeur des universités à Cergy-Paris et membre du laboratoire «Ecole, mutations, apprentissages». «On a des proportions [d’élèves victimes de harcèlement] assez similaires : 8-10% en primaire et 10-12% au collège.» «S’occuper du collège, c’est bien, mais c’est déjà trop tard. L’école primaire, c’est là qu’on développe les premières compétences psychosociales, qu’on découvre l’altérité, l’exclusion», rappelle Nora Fraisse, présidente de l’association Marion la main tendue. Voilà pourquoi de plus en plus d’établissements travaillent sur le bien-être, l’empathie, l’écoute, afin de développer un climat suffisamment serein pour que le harcèlement ne puisse pas s’installer.

Il y a cinq ans, lorsqu’elle est arrivée dans son école de Bruay-sur-l’Escaut (Nord), Faustine Ottin s’est retrouvée confrontée à un «phénomène tête de turc», une élève de sa classe de CM2 étant la cible de ses camarades. L’enseignante et directrice a géré les choses comme elle a pu, sans formation ni conseils. «J’ai rencontré les parents des auteurs des faits, j’ai expliqué, j’ai sanctionné. Mais ça ne fonctionne pas quand il n’y a pas de prise de conscience générale et quand tout le monde ne va pas dans le même sens», dit-elle.

Un brin démunis, ses collègues et elle se sont «auto-formés» à la lutte contre le harcèlementen se plongeant dans des livres et des sites dédiés, et ont fait intervenir des éducateurs. «Il suffit de changer deux, trois petites choses dans l’organisation pour avoir de grands bénéfices», assure Faustine Ottin. Dans son école, les récréations ont été échelonnées afin d’éviter que trop d’enfants ne se côtoient dans la cour, des malles de jeux ont été installées pour leur permettre de s’occuper lors des pauses, les élèves ont travaillé sur l’empathie, les enseignants se réunissent chaque semaine pour échanger sur les situations… «Il y a eu une amélioration du climat scolaire en cinq ans, c’est indéniable, et davantage d’enfants nous alertent dès qu’il y a une violence. Mais il ne faut jamais lâcher sur le vivre-ensemble et le climat scolaire, sinon ça réapparaît, note la directrice. C’est un Jiminy Cricket à avoir sans cesse dans la tête.»

Formation des enseignants… et des élèves

A Thann (Haut-Rhin) aussi, c’est un cas de harcèlement ayant mené à la déscolarisation d’une élève de CM1, qui a déclenché une action d’envergure, étendue à toute la circonscription. Désormais, toutes les écoles rédigent un plan de prévention et un protocole de traitement des situations, les parents sont sensibilisés à la question et les enseignants formés, notamment à la méthode de la préoccupation partagée. «On demande aux élèves intimidateurs présumés : “Est-ce que tu as pu voir que cet enfant n’allait pas bien ? Qu’est-ce que tu en penses ?” Ça permet de prendre conscience de l’effet qu’ont l’intimidation, les moqueries, les surnoms répétés, de développer l’empathie et de sortir la tête haute, loue Catherine Metz, inspectrice sur la circonscription. On n’accuse pas l’enfant, on lui fait savoir qu’on aimerait qu’il s’associe à nous pour être force de proposition pour aider l’enfant harcelé – en l’intégrant à un jeu, en lui écrivant une lettre d’excuses… Parce que si on l’accuse, il se sent attaqué et dit : “C’est pas moi”.»

Le travail démarre dès la maternelle, avec la mise en place de «bancs de l’amitié», décorés par les élèves. «Lorsqu’un enfant n’a pas de copains, se sent seul, il s’assoit sur ce banc et les autres l’invitent à jouer avec eux. On commence à développer chez eux cette empathie, le fait d’observer les copains et d’essayer d’être attentifs à leurs besoins», précise Catherine Metz.

Partout en France, les élèves eux-mêmes peuvent bénéficier de formations pour apprendre à gérer les conflits de leurs pairs et devenir des référents dans leur école. C’est ce que propose l’association Médiacteurs depuis une trentaine d’années. «C’est important d’apprendre à discuter, à négocier, à s’exprimer quand on a un conflit avec quelqu’un. Très souvent, ce sont les adultes qui gèrent ; ils parlent à l’un, ils parlent à l’autre, alors que les deux sont là. L’idée de la médiation, c’est que les enfants se parlent, plaide Françoise Raguin, formatrice chez Médiacteurs. Certains conflits dépassent les adultes, comme quand deux élèves de CM2 se pouillent [se disputent] et qu’on découvre en médiation que c’est parce que l’un a eu la patinette en maternelle alors que l’autre considérait qu’il aurait dû l’avoir.»

Un travail aux abords de l’école

En REP et REP+ (éducation prioritaire), des écoles bénéficient de la présence de médiateurs sociaux, embauchés par des associations et présents à l’intérieur de l’établissement pour régler des conflits, travailler sur le dialogue entre élèves. «Le médiateur est un tiers, il n’a pas de pouvoir de sanction, ne fait pas respecter le règlement, il est là d’abord pour écouter les élèves en difficulté, en conflit. Il travaille avec le personnel de l’Education nationale pour résoudre le problème, amène les jeunes à l’infirmière, chez l’assistante sociale…» déroule Laurent Giraud, directeur de l’association France Médiation.

Et alors que, comme le signale, Nora Fraisse, «les zones à risque sont souvent aux abords de l’école», les médiateurs sont aussi présents à l’extérieur de l’établissement, capables de repérer des altercations, des tensions. En cas de souci, «ils vont jusqu’aux arrêts de bus, font le trajet avec les enfants et peuvent même les accompagner chez eux quelques jours», précise Laurent Giraud. «Il devrait y en avoir partout et pas que dans les quartiers prioritaires. Les problématiques de violence, vous les retrouvez en milieu rural comme dans les beaux quartiers de Paris.»

(1) Le prénom a été modifié.


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