par Eric Favereau publié le 8 novembre 2022
Dans le monde des hôpitaux psychiatriques, on le sait, on l’écrit même souvent, cela se délite d’un peu partout, mais voilà «tout le monde s’en fout». Parfois, cela peut déborder. Ainsi la semaine dernière, cette syndicaliste, psychiatre, ne savait plus comment contenir son amertume. Dans un mail, elle a lâché : «Je suis en colère. 400 millions plus 150 millions sont accordés à la pédiatrie et aux soins critiques. Et la psychiatrie, tout le monde s’en fout.»Faisant référence aux mesures du gouvernement pour aider les urgences pédiatriques, la voilà presque aigrie, injuste même.
«Ça fait des années que la psychiatrie subit un Ondam [Objectif national de dépenses d’assurance maladie, ndlr] bien en deçà des autres spécialités. Régulièrement la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté vient dire les mauvaises conditions d’accueil et de soins des patients en psychiatrie. Mauvaises est bien en deçà de la réalité. Indignes, en dessous de tout. Inacceptables. Certes tout ne se résout pas par l’argent mais quand même ! Comment on peut soigner en psychiatrie sans moyens humains ? Ça dit bien la non-place dans la société des malades mentaux.» Et de se lâcher : «Bouhh c’est moche, ça fait peur, ça produit rien… Cela fait pleurer, un bébé qui meurt de bronchiolite. C’est vrai c’est moche. On peut se mettre à la place des parents, on l’a peut-être été. Mais un enfant qui se suicide ? Ou un adulte qui se suicide ? Ou qui crève dans la rue ou isolé chez lui ? C’est le trou noir. Ça m’énerve. C’est odieux.»
Univers à l’abandon
Elle a raison. Mais tort aussi, car lorsque l’on voit l’état des urgences pédiatriques de l’hôpital Robert-Debré à Paris ou celles de la Timone à Marseille – avec les conditions d’attente, d’angoisse et de craintes bien réelles que vivent les parents et leurs enfants dans les couloirs desdites urgences – la situation est réellement insupportable. Et c’est d’abord une bonne nouvelle qu’enfin un peu plus d’argent soit débloqué, même si l’avenir en ces temps de bronchiolite reste bien gris. Cette psychiatre a néanmoins raison dans sa véhémence, car le monde de la psychiatrie publique n’est plus à la dérive, il est dans un trou noir, on y résiste comme on peut, sans souffle. Rien ne se passe, un univers à l’abandon. Il y a beau avoir un délégué ministériel chargé du dossier, mais qui s’en soucie ? Les fous sont absents de la sphère publique ; ils ne font pas l’actualité, sauf quand ils fuguent quelques heures (on dit alors qu’ils s’évadent !) ou quand ils sont violents (ce qui est, en pourcentage, beaucoup moins fréquent que chez les personnes dites «normales»). Qui se souvient qu’au printemps 2022, voilà à peine six mois, des centaines de soignants lançaient un appel à Elisabeth Borne, intitulé «Créons des postes pour éviter le naufrage !» ? «Si rien n’est fait, disaient-ils dans leur tribune, un avenir très sombre nous attend.»
Depuis ? Rien. Si ce n’est, à intervalles réguliers, comme un symptôme de la situation, des rapports de la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté qui viennent nous rappeler les dérives inédites de certains établissements psychiatriques. Le dernier en date, rendu public la semaine dernière, fait suite à la visite de l’établissement public de santé mentale (EPSM) de Vendée – le Centre hospitalier Georges-Mazurelle de La Roche-sur-Yon – effectuée par six contrôleurs du 27 juin au 6 juillet 2022. Bilan sévère, donnant lieu «au constat d’un nombre important de dysfonctionnements graves portant atteinte à la dignité des patients et à leurs droits fondamentaux».
«Des mesures d’isolement et de contention nombreuses»
Les contrôleurs soulignent d’abord un paradoxe : «L’établissement dispose des moyens budgétaires et immobiliers suffisants pour assurer la prise en charge des patients dans des conditions matérielles dignes. Pour autant, il n’est pas épargné par de très graves difficultés de ressources humaines.» Et, dans la pratique, «les médecins sont insuffisamment présents dans les unités ; les patients sont souvent vus de façon expéditive au cours d’entretiens dont la durée peut être inférieure à cinq minutes».
Là, comme souvent ailleurs, les malades sont parqués. «Même admis en soins libres, ils ne peuvent aller et venir librement. Les portes de cinq des douze unités d’hospitalisation sont fermées alors que toutes accueillent indifféremment des patients admis en soins libres et en soins sans consentement. Dans les unités ouvertes, la liberté d’aller et venir n’est pas davantage garantie et les mêmes restrictions ou interdictions sont imposées aux patients, quel que soit leur statut d’hospitalisation.» Et encore : «La protection de l’intégrité physique et de l’intimité des patients n’est pas assurée. Dans les trois unités de géronto-psychiatrie, les patients ne peuvent fermer à clé ni leur chambre ni leur espace sanitaire. Toutes les portes des chambres sont percées d’une ouverture non occultable permettant d’observer, depuis le couloir, l’intérieur de la chambre. L’intimité des patients n’est pas respectée et leur tranquillité ne l’est pas davantage. Plusieurs personnes hospitalisées se sont plaintes de l’intrusion d’autres patients dans leur chambre et ont exprimé un sentiment d’insécurité. Au cours d’une mesure d’isolement, des patients peuvent être privés d’accès aux toilettes, situation indigne et dangereuse.» Et comme toujours, pour faire face au pire, «des mesures d’isolement et de contention nombreuses, durables et souvent illégales, sont prises».
Mais, s’alarment les contrôleurs, «les décisions d’isolement sont trop souvent infondées et leurs motifs illégaux. De nombreuses décisions d’isolement sont prises pour vingt-quatre heures, alors que la loi limite à douze heures la durée initiale de la mesure. Les décisions d’isolement ou de contention ne sont pas toujours prises par un psychiatre, notamment la nuit». Enfin, «l’accès au droit des personnes hospitalisées sans consentement n’est pas garanti. L’accès des patients au juge n’est pas assuré. De très nombreux patients hospitalisés sans consentement ne comparaissent pas à l’audience du juge des libertés et de la détention».
Ainsi va la vie de tous les jours, loin des règles élémentaires de droit, chez les malades que l’on hospitalise à La Roche-sur-Yon. Un rapport qui comme les autres est passé largement inaperçu.
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