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vendredi 11 novembre 2022

Nous serons 8 milliards d’êtres humains sur Terre dans quelques jours : jusqu’où ira la démographie mondiale ?

Par    Publié le 10 novembre 2022

Selon les dernières projections des démographes de l’ONU, la population mondiale devrait atteindre un pic dès les années 2080, avec environ 10,4 milliards d’habitants.

Sur un marché de Bangalore, en Inde, le 23 octobre 2022.

Qui sera le huit milliardième Terrien ? Selon les modélisations de l’Organisation des Nations unies (ONU), l’humanité devrait franchir ce cap d’ici au 15 novembre. Un niveau jusque-là jamais atteint dans son histoire de quelque 300 000 années. Il aura fallu seulement onze ans pour peupler la planète de ce milliard supplémentaire ; Danica, désignée sept milliardième Terrienne par l’ONU, est en effet née le 31 octobre 2011 à Manille, aux Philippines. Au-delà du symbole, cette comptabilité humaine témoigne d’un souci permanent du nombre de personnes que la planète, déjà confrontée au réchauffement climatique, pourra supporter.

Loin des craintes d’une « bombe démographique » incontrôlable, pointée dans les années 1960, il est aujourd’hui admis que la croissance humaine ne sera pas éternelle. Les débats s’orientent désormais autour de la question de la date et de la hauteur du pic de cette vague populationnelle. Ces derniers mois, des études ont même brandi le spectre d’un affaissement de l’humanité à l’horizon de la fin du siècle, relançant les interrogations : jusqu’à quel point l’humanité va-t-elle croître ? Préfigurant un débat à venir au siècle prochain : jusqu’où la population va-t-elle chuter ?

Selon les dernières projections des démographes des Nations unies, publiées le 11 juillet, la population mondiale devrait atteindre un pic dès les années 2080, avec environ 10,4 milliards d’habitants, et se maintenir à ce niveau jusqu’en 2100, selon le scénario médian. Une hausse de deux milliards, presque modérée au regard de la croissance vertigineuse du siècle dernier.

Prise en compte du niveau d’instruction

Si le premier milliard d’humains a été atteint en 1803, le rythme s’est accéléré, passant à 2 milliards dès 1927, puis 4 milliards en 1974, jusqu’à atteindre 8 milliards en 2022. La croissance démographique a ainsi été au plus fort dans les années 1960 (+ 2 % par an) et ce taux ne cesse de diminuer depuis (+ 1 % en 2022). Certes, la population continue d’augmenter, mais à un rythme de moins en moins rapide depuis déjà soixante ans. « Pour résumer, le gros de la croissance démographique est derrière nous. L’avenir annoncé par ces projections est un reliquat de croissance », explique Gilles Pison, professeur émérite au Muséum national d’histoire naturelle et conseiller auprès de l’Institut national d’études démographiques (INED), à Paris.

Depuis quelques années, d’autres instituts sont venus contester les projections des Nations unies. A Vienne, un groupe de l’Institut international pour l’analyse des systèmes appliqués (IIASA) estime, dans un long rapport publié en 2018 avec la Commission européenne, que les humains devraient être au maximum 9,8 milliards en 2070-2080, selon leur scénario médian.

Au lieu de se baser uniquement sur les structures d’âge et de sexe, les chercheurs prennent également en compte le niveau d’instruction et la participation au marché du travail dans les différents pays. Ils ont par ailleurs demandé à un large panel d’experts en économie, démographie et sociologie d’évaluer les taux de fécondité, c’est-à-dire le nombre d’enfants que chaque femme aura en moyenne dans sa vie, en 2030 et 2050. Ils parviennent ainsi à des taux plus bas que ceux de l’ONU. Pour eux, l’éducation des femmes est un facteur prédominant dans la baisse de la fécondité.

Les projections sur les vingt à trente prochaines années sont plutôt fiables. Le calcul se complique au-delà de l’horizon de 2050

Aux Etats-Unis, l’équipe de l’Institut de statistiques et d’évaluation en santé (IHME) a suggéré, dans une étude parue dans The Lancet en 2020, que le pic sera atteint légèrement plus tôt, en 2064, avec 9,73 milliards de personnes, pour ensuite baisser à 8,79 milliards en 2100. Les chercheurs se basent sur une variable différente, qui prend en compte le nombre d’enfants que chaque femme aura eu à ses 50 ans, indicateur qu’ils considèrent plus stable que le taux synthétique de fécondité, c’est-à-dire le rapport du nombre de naissances vivantes de l’année à l’ensemble de la population féminine en âge de procréer. Ils prennent également en compte le niveau d’instruction et les besoins non satisfaits en matière de contraception.

Enfin, en juillet et en août 2022, un jeune économiste de la banque HSBC, James Pomeroy, a publié deux notes, défendant l’idée que le pic pourrait intervenir dès 2043, un peu en dessous de 8,5 milliards d’individus, pour redescendre jusqu’à 4 milliards en 2100, soit le niveau des années 1970. A l’appui de ce raisonnement atypique, la prise en compte d’un vieillissement de la population et d’un taux de fécondité beaucoup plus bas que celui projeté par l’ONU. M. Pomeroy s’appuie ainsi sur la thèse déjà défendue en 2019 par Darrell Bricker et John Ibbitson dans leur ouvrage (en version anglaise), traduit en français en 2020, Planète vide. Le choc de la décroissance démographique mondiale (Les Arènes), selon qui les modèles de l’ONU ne prennent pas en compte le nombre croissant de femmes éduquées, ni la vitesse de l’urbanisation croissante.

Comment expliquer de tels écarts de prévision ? Pour modéliser les effectifs mondiaux dans le futur, il faut composer avec plusieurs paramètres : le nombre de personnes vivant aujourd’hui et leur répartition par âge, ce qui nécessite des recensements fiables, une estimation de l’espérance de vie et de la mortalité de la population dans les différents pays, et le taux de fécondité des femmes selon les régions. A partir de là, « les démographes ne font que prolonger les tendances observées les dernières années », souligne Gilles Pison, également auteur de l’Atlas de la population mondiale (Autrement, 2019).

C’est pourquoi on considère en général que les projections sur les vingt à trente prochaines années sont plutôt fiables. La majorité des hommes et des femmes qui vivront en 2050 sont déjà nés. On peut ainsi estimer, parmi les 8 milliards d’humains actuels, combien seront encore en vie à cet horizon. Et combien d’enfants devraient avoir les femmes actuelles. Le calcul se complique au-delà de cet horizon de 2050, car comment savoir avec précision quelles seront les aspirations à enfanter des prochaines générations ?

Principe d’inertie démographique

Dans une salle de la maternité Tambak, à Djakarta, en Indonésie, le 19 septembre 2022

C’est justement autour de cette question de la fécondité que se cristallisent les polémiques. Selon les démographes de l’ONU, elle devrait passer de 2,3 enfants par femme en moyenne dans le monde aujourd’hui à 2,1 en 2050, soit le seuil fatidique à partir duquel une génération peut se renouveler. Ce taux continuerait de baisser jusqu’en 2100 pour se stabiliser à 1,8. De son côté, James Pomeroy, par exemple, suppose que la forte chute actuelle du taux de fécondité se poursuit dans les prochaines décennies, conduisant à un décrochement brutal de la natalité.

« Mais pour arriver à 4 milliards d’humains en 2100, il faudrait que la fécondité chute à 1,3 enfant par femme tout de suite et partout dans le monde », calcule Gilles Pison. Un scénario extrême, si l’on considère que la moyenne sur le continent africain est toujours de 4,3. Pour Patrick Gerland, qui coordonne les projections démographiques de l’ONU, « cette approche conduit à des situations impossibles »« Dans quarante-huit pays du monde qui expérimentent déjà une fécondité inférieure à 2, on voit que les taux de fécondité déclinent mais finissent par se stabiliser à un certain niveau, avec des fluctuations autour de ce seuil », explique le démographe. C’est le cas en Suède, qui oscille entre 2 et 1,5 depuis les années 1990, ou en Italie, dont les taux fluctuent entre 1,5 et 1,2 depuis une quarantaine d’années.

« Certes, il est difficile de prédire comment les sociétés humaines vont évoluer, mais la probabilité d’une situation extrême où toute la population deviendrait stérile ou déciderait de ne plus faire d’enfants est très faible », ajoute Patrick Gerland. Ce ne sont donc pas ces hypothèses qui sont retenues pour les projections de base.

Par ailleurs, il est important de prendre en compte le principe d’inertie démographique. Même si la fécondité venait à chuter brusquement, le nombre de femmes en âge d’avoir des enfants est si important que la tendance à la croissance de la population se prolongerait nécessairement dans les prochaines années. « On estime que deux tiers de la population en 2050 seront dus à cette inertie démographique, et le dernier tiers sera lié à l’évolution de la fécondité en Afrique », souligne Henri Leridon, directeur de recherche émérite à l’INED. En Afrique intertropicale, plus précisément, la baisse de la fécondité a bien commencé, comme dans le reste du monde, mais à un rythme plus lent que prévu. En 2100, l’Afrique pourrait ainsi rassembler plus d’un habitant de la planète sur trois.

« Problème de mode de vie »

Finalement, si les approches de l’ONU, de l’IIASA et de l’IHME anticipent le pic à des dates différentes, elles aboutissent peu ou prou aux mêmes effectifs, autour de 10 milliards d’individus. A l’horizon 2100, leurs modélisations sont d’ailleurs comprises dans l’intervalle de prédiction de l’ONU, qui descend jusqu’à 8,5 milliards en cas de chute plus forte de la fécondité. Et après ? C’est une autre histoire. « On arrive dans une zone encore jamais explorée, avec la plupart des pays qui passent en dessous du seuil de renouvellement des générations, avance Henri Leridon. On ne sait pas jusqu’où ça peut aller. » De nombreuses incertitudes subsistent pour le futur, comme le niveau de fécondité en Chine, qui chute depuis quelques années mais pourrait se stabiliser autour de 1,7 selon l’ONU.

Pour mieux comprendre où va le monde, peut-être faudrait-il davantage prendre en compte les disparités locales. « Travailler sur le concept de population mondiale empêche toute contextualisation et nie les complexités anthropologiques, sociales et culturelles, avance Yves Charbit, professeur émérite de démographie au Centre population et développement de l’université de Paris. Il faut plutôt s’intéresser aux conséquences par pays. »

En effet, 10 milliards d’individus seront-ils plus difficilement supportables pour la planète que 8 milliards ? La notion de « jour de dépassement de la terre » éclaire cette question. Si tous les pays avaient la même empreinte écologique que celle de la Jamaïque, l’humanité aurait consommé l’ensemble des ressources que la planète peut régénérer en un an à partir du 20 décembre 2022 seulement. Alors qu’en prenant en compte toutes les nations, ce seuil est franchi dès le 28 juillet. « Ce n’est pas tant un problème démographique qu’un problème de mode de vie », insiste M. Charbit.

Puisqu’il semble falloir compter sur une dizaine de milliards d’humains d’ici à 2050, sauf à envisager de grandes catastrophes de type guerre nucléaire ou pandémie extrêmement mortelle, « mieux vaut, pour l’heure, se concentrer sur les moyens de nourrir convenablement 9 milliards d’habitants et d’éviter l’emballement climatique », avance Henri Leridon. C’est l’autonomie, l’éducation et l’accès à la contraception des femmes qui permettra que chacune puisse avoir le nombre d’enfants qu’elle désire. Dans de nombreux pays, cela contribuerait à ralentir la croissance démographique ; dans d’autres, cela enrayerait peut-être le ralentissement démographique.


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