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jeudi 10 novembre 2022

« Dans cinq ans, il sera trop tard pour sauver notre système de santé ! »

Publié le 9 novembre 2022

Un collectif qui regroupe notamment la philosophe Catherine Audard, le médecin René Frydman et l’économiste Frédéric Bizard lance, dans une tribune au « Monde », un pressant appel afin que soit mise en œuvre une réforme systémique de notre système de santé.

« Le pire n’est pas toujours sûr », écrivait Paul Claudel. Concernant l’avenir de notre système de santé, sans excès de pessimisme, le principe de réalité impose de reconnaître que ce magnifique système de soins conçu au milieu du XXe siècle se dégrade à une vitesse sans cesse plus rapide. Force est de constater aussi que les mesures sectorielles à répétition sont de plus en plus coûteuses et de moins en moins efficaces pour ralentir la désintégration du système.

Notre modèle, conçu avant les grandes transitions démographiques, épidémiologiques et technologiques à l’aube de notre siècle, est inadapté à son environnement et craque de toutes parts, malgré la qualité exceptionnelle de ses ressources. Ce grand gâchis ne sera stoppé que par une réforme systémique, qui peut générer un rebond rapide et massif. Elle est prête dans son contenu, elle est possible politiquement et elle est urgente si l’on veut réussir.

Le premier bloc de réforme consiste à mettre en place un service public territorial de santé à partir de 450 bassins de vie sanitaires. Chaque professionnel de santé exercera dans un territoire de santé dont il assurera auprès de la population des missions de soins et de santé publique. Ces missions seront assurées dans le cadre des trois grands principes du service public (continuité, égalité, mutabilité) et délivrées par l’ensemble des acteurs de santé du territoire, publics et privés, selon une approche populationnelle et préventive.

Virage ambulatoire

Ce service public territorial de santé induit une reconstruction de l’hôpital public à partir de son ancrage territorial et de son rôle de fer de lance de l’excellence de la médecine française. Le temps plein hospitalier ne sera plus obligatoire et le statut de professeur des universités-praticien hospitalier (PU-PH) sera rénové. Le virage ambulatoire sera abouti en ville avec des professionnels pleinement garants des missions territoriales de santé et une amplification de l’universitarisation de la médecine ambulatoire et des autres professionnels de santé.

Le deuxième bloc de réforme concerne la gouvernance de la santé. Une loi d’orientation et de programmation sanitaire à cinq ans et une réorganisation institutionnelle de l’Etat sanitaire avec la fusion de multiples agences dans une agence nationale de santé publique renforceront l’Etat dans son rôle de stratège. Par délégation de service public, l’Etat confiera la gouvernance globale des soins à la Sécurité sociale (branche santé).

Cette dernière (renommée « assurance santé obligatoire ») sera restructurée dans sa gouvernance pour faire vivre une démocratie sociale et sanitaire active, intégrant l’ensemble des acteurs de santé, aux échelons national, régional et local. La gouvernance des territoires de santé sera portée par un groupement territorial de santé conçu comme une gouvernance « de l’usager, pour les usagers, par les usagers », destinée à répondre à l’ensemble de leurs besoins de santé.

Un assureur unique par prestation

Le troisième bloc vise l’évolution du financement des dépenses de santé avec un assureur unique par prestation, qui supportera ce nouveau modèle de santé solidaire inclusif. La Sécurité sociale sera le financeur exclusif de la plupart des prestations, à l’exception de certains paniers de soins, remboursés par une assurance privée supplémentaire, selon un modèle mutualiste à affiliation individuelle. Cette réforme rendra le nouveau financement lisible, efficace et juste. Il engendrera 20 milliards d’euros d’économies à réinvestir en santé.

Malgré la gravité de la crise traversée par notre système de santé, les travaux menés par l’Institut Santé sur le contenu de la réforme systémique montrent bien qu’il s’agit d’une évolution significative du modèle actuel, mais pas d’une révolution.

Les fondamentaux républicains et l’esprit fondateur du modèle universel solidaire porté par Pierre Laroque, Ambroise Croizat et Michel Debré au siècle dernier sont revisités mais renforcés. Ils sont appliqués sur tous les déterminants de santé, et pas uniquement sur le soin.

Il en résulte la création d’un consensus large autour des trois blocs de réforme aussi bien auprès des professionnels de santé que des usagers et des partis politiques. La présentation de ce programme à tous ces publics a montré cette convergence de vues. Il reste à définir une méthode politique adaptée au contexte actuel pour réussir cette réforme systématique.

Grands groupes et affairistes multiples

Dans cinq ans, notre système de soins ne sera toujours pas un système de santé, et son caractère universel et solidaire sera une fiction pour des millions de Français. Dans cinq ans, l’hôpital public se sera tant vidé de ses ressources humaines essentielles qu’il ne sera plus capable d’assurer son rôle de service public, encore moins de fer de lance de l’excellence médicale française. L’Etat le fera survivre tant bien que mal pour garantir à la classe populaire un accès aux soins.

Dans cinq ans, le secteur privé aura pris un essor multiforme dominé par une financiarisation sans limites de quelques grands groupes et d’affairistes multiples qui auront poussé au maximum la marchandisation de la santé en France. Un marché largement dérégulé assurera l’accès à la bonne qualité au prix fort pour les plus aisés et à la mauvaise qualité à prix accessible pour la classe moyenne.

Dans cinq ans, il sera trop tard pour redresser notre recherche médicale et nos industries de santé, qui seront reléguées au niveau de celles des pays émergents. Dans cinq ans, il sera trop tard pour reconstruire un véritable système de santé digne du rang de la France et des attentes des Français. En une génération, nous aurons collectivement été impuissants à faire vivre ce qu’une génération de visionnaires a conçu au milieu du siècle passé.

« Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée » et « la raison est naturellement égale en tous les hommes », écrivait Descartes dans son Discours de la méthode. Il est temps d’appliquer collectivement ce bon sens à une grande cause !

Premiers signataires : Catherine Audard, philosophe, London School of Economics, spécialiste des questions de justice sociale ; Frédéric Bizard, professeur d’économie, ESCP, président de l’Institut Santé ; Philippe Cuq, chirurgien vasculaire, coprésident d’Avenir Spé-Le Bloc ; René Frydman, gynécologue-obstétricien, professeur des universités ; Christelle Galvez, directrice des soins, centre Léon Bérard à Lyon, déléguée générale de l’Institut Santé ; Jean-Luc Harousseau, professeur d’hématologie clinique, ancien président de la Haute Autorité de santé ; Patrick Pelloux, médecin urgentiste, président de l’Association des médecins urgentistes de France ; Christophe Prudhomme, médecin urgentiste, porte-parole de l’Association des médecins urgentistes de France ; Olivier Saint-Lary, médecin généraliste, professeur des universités, président du Collège national des généralistes enseignants ; Philippe Sansonetti, professeur au Collège de France, chercheur à l’institut Pasteur et à l’Inserm ; Jean-Louis Touraine, professeur émérite de médecine. La liste complète des signataires se trouve sur le site de l’Institut Santé, centre de recherche indépendant et transpartisan dédié à la refondation du système de santé français, composé d’un collectif de personnalités du milieu médical et de la recherche.


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