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jeudi 10 novembre 2022

« Stigmatiser la psychiatrie, c’est vous voler le choix d’accéder aux soins »

TRIBUNE

La mauvaise image de la discipline et de la prise en charge des questions de santé mentale, souvent caricaturée, empêche de nombreux patients potentiels d’accéder aux soins, déplore Nicolas Rainteau, psychiatre au CHU Montpellier, dans une tribune au « Monde ».

Je m’appelle Paul. J’ai 37 ans et, depuis les confinements, j’ai l’impression que les choses ne reviennent pas comme avant. Je dors mal, je suis anxieux, parfois un peu triste. J’irais bien voir un psy, mais je me dis que c’est pour les fous, ces trucs-là, ou ceux qui n’ont pas de caractère. C’est bien connu. Alors je reste comme ça.

Je m’appelle Lucie. J’ai 16 ans et, plusieurs fois par semaine, je m’entaille les poignets. Jamais très profond pour le moment, mais parfois je pense aller plus loin. J’ai peur de ce qui pourrait se passer. Je ne comprends pas ce qui m’arrive. J’en parle un peu aux copines. Elles me disent d’aller voir quelqu’un. C’est bizarre de parler de moi à un inconnu. Comment il pourrait m’aider sans me connaître ? Et s’il me jugeait ? Alors je reste comme ça.

Je m’appelle Victor, j’ai 25 ans, et on vient de m’annoncer que je souffrais probablement de schizophrénie. Mais le mec doit se tromper. Je n’ai pas deux personnalités, moi ! Et puis, je n’ai jamais fait de mal à personne. Il y a bien des choses qui me gênent depuis quelques mois et qui me font me sentir vraiment mal. Mais rien à voir avec ce qu’il y a dans les films ou les séries. Il se trompe, et je ne retournerai pas le voir. Alors je reste comme ça.

Je m’appelle Pauline, j’ai 54 ans, et je viens de faire une tentative de suicide. J’ai pris des médicaments parce que je voulais que tout s’arrête. Je suis divorcée, les enfants vivent leur vie et je me sens seule. Et puis, on ne nous annonce que des mauvaises nouvelles, en ce moment. La guerre, la pandémie, la hausse des prix. Je devrais prévenir quelqu’un. Mais si je vais aux urgences, on va m’enfermer. C’est comme ça qu’ils font, quand on fait ces choses-là. Alors je reste comme ça.

En 2022, en France, la psychiatrie aurait des réponses et des outils à proposer à Paul, Lucie, Victor et Pauline. Cela aurait-il pu les aider ? Cela aurait-il été efficace ? Nous ne le saurons jamais. Bien qu’ils vivent des situations très différentes, ils ont un point commun. Guidés par un stéréotype, une idée reçue, une information peu précise ou carrément fausse, ils n’auront jamais l’occasion de se faire leur propre avis.

Sensationnel et fausses informations

Stigmatiser la psychiatrie, c’est vous voler le choix d’accéder aux soins. Vous empêcher de décider si elle peut vous convenir ou pas. Si elle peut vous aider ou pas. Caricaturer la psychiatrie, c’est vous laisser seul face à la souffrance. Utiliser les mauvais mots pour parler de la psychiatrie, c’est vous faire hésiter à en parler à vos proches.

Ne pas respecter les usagers présents et futurs ainsi que leur famille, c’est ajouter de l’isolement, de la souffrance et des obstacles sur leur parcours de rétablissement. Pour chaque article, « une » de journal, émission, film ou série qui décide volontairement de privilégier le sensationnel au détriment de la vérité, de poser un diagnostic sans rencontre ou vérification, il y a des centaines de personnes qui au moment de passer le cap de se faire aider font finalement machine arrière. Imprégnés de fausses informations qui auront fini par leur faire penser que la psychiatrie, ce n’est pas pour eux. Or, il n’y a qu’une personne capable de savoir si la psychiatrie peut être un jour un recours pour vous. C’est vous.

« La psychiatrie est imparfaite, jeune, encore en construction, en constante évolution »

Vous voulez savoir à quoi ressemble vraiment la psychiatrie ? Demandez aux personnes qui l’ont côtoyée. Certains vous diront qu’elle les a aidés, d’autre qu’il faut la fuir. Il y aura autant d’avis que de personnes, car chacun a sa singularité. Mais vous aurez la réalité d’expériences concrètes. Vous aurez la vérité sur ce qu’est vraiment la psychiatrie. Elle est imparfaite, jeune, encore en construction, en constante évolution. Elle manque assurément de moyens mais pas d’imagination. Comme tous les domaines que vous connaissez, elle est inégale. Elle a ses courants, ses débats, ses conflits, ses atouts et ses limites aussi.

Droit à la vérité

Travailler en psychiatrie en 2022, c’est avoir l’humilité d’être conscient qu’il y a encore beaucoup à faire, à changer et à découvrir. C’est remettre en question des vérités parfois centenaires et des caricatures qui ont la vie dure. C’est accompagner les gens, bien au-delà des murs des cabinets ou des hôpitaux. C’est remplacer la fatalité par l’espoir, les obstacles par des solutions, des difficultés par des forces.

Je suis sûr que vous avez déjà entendu parler de votre propre métier à travers un article, une émission ou une interview. Avec à la fin cette conclusion intérieure : « Mais ce n’est pas du tout comme ça au quotidien !  » Eh bien, la psychiatrie n’échappe pas à cette expérience.

Paul, Lucie, Victor et Pauline ont tous une santé psychique. Ils ont le droit de se tourner, ou non, vers la psychiatrie. Ils ont le droit de se tourner vers ce type d’aide, sans arrière-pensée. Sans que leurs proches et eux soient imprégnés de ces caricatures que l’on peut voir et lire quotidiennement. C’est déjà assez dur de passer le cap, pas besoin d’ajouter un obstacle. Ils ont le droit de vivre comme ils l’entendent lorsqu’ils se sentiront de nouveau prêts.

A chaque fois que l’on dit autre chose que la vérité sur la psychiatrie, ce droit disparaît. Paul, Lucie, Victor et Pauline, cela pourrait être vous, votre fille, votre frère, votre mère, votre mari, votre copain. Alors, redonnons-leur le choix, rendons-leur la psychiatrie. Rendez-nous la psychiatrie !


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