par Virginie Bloch-Lainé publié le 3 mars 2022
Source de blocages, les mathématiques font particulièrement parler d’elles en ce moment puisque la récente réforme du lycée incite moins d’élèves de terminale à les étudier ; ce recul est encore plus marqué chez les filles. Les inégalités de genre ne sont pas le propos du brillant mathématicien David Bessis, qui a quitté la recherche pour créer une entreprise spécialisée en intelligence artificielle. Dans son livre alerte, habile, faussement simple mais relativement accessible, il se met en scène pour dédramatiser les mathématiques et (tenter de) débloquer leur accès. Protéiforme, Mathematica mêle récit personnel, conseils sur la façon dont il faut les aborder et exercices afin de battre en brèche une idée reçue : ceux qui se croient nuls en maths se trompent. Le problème vient de ce que «personne n’a pris la peine de leur donner des consignes claires. Personne ne leur a dit que, en mathématiques, il n’y avait pas des choses à apprendre mais des choses à faire.» Seulement il faut les faire dans notre tête, c’est là que la tâche se complique.
Les mathématiques reposent sur la formulation de l’informulé : «L’intuition est le sens des mathématiques.» Sous-titré Une aventure au cœur de nous-mêmes, Mathematica est une défense et illustration de l’intuition : cessons de croire qu’elle relève de la magie, puisqu’elle s’approche de la logique. Ne misez pas trop sur l’intuition non plus : la rationalité la contredit parfois, et si tel est le cas (encore faut-il s’en apercevoir), dites-vous : «Il y a un truc qui déconne.» Le secret des maths réside donc dans le dosage entre logique et intuition. Mathematica est de ces livres dont le plaisir de lecture tient à l’illusion de saisir l’étendue de notre «plasticité mentale», notion chère à l’auteur. David Bessis (lire ici son interview, en 2012) nous emmène vers l’abstraction avec des exemples concrets et l’on se pense qualifiés pour participer au jeu. Plus Mathematica avance, plus le propos gagne en technicité et plus, bizarrement, on s’y croit.Au fil des pages l’auteur rappelle brièvement la biographie de quelques savants, Alexandre Grothendieck (1928-2014), Georg Cantor (1845-1918) ou Descartes (1596-1650). David Bessis précise qu’«avant le XVIIe siècle, la science n’était pas mathématisée. Les mathématiques n’avaient pour ainsi dire pas d’applications.» Il donne des coups de griffe à l’enseignement de la discipline, qui installe chez les élèves la peur du jugement. En David Bessis, le lecteur trouve un allié, par exemple quand il confie qu’au début du collège il fut perturbé de devoir «utiliser des lettres pour désigner des nombres. “Soit n un nombre entier.” Mais si n est un nombre entier, pourquoi ne pas dire quel nombre c’est ? Pourquoi ces cachotteries ?» A d’autres moments il est impossible de s’identifier à lui intellectuellement, comme lorsqu’il écrit : «Quand je tombe sur quelqu’un qui ne sait pas qu’il existe plusieurs tailles d’infini, ça me fait un peu le même effet que de rencontrer quelqu’un qui ne sait pas qu’on a le droit de compter au-delà de 5.»
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