Par Florence Rosier Publié le 2 mars 2022
Depuis le début de la pandémie, certaines personnes n’ont jamais été infectées malgré leur exposition au risque. Mutations génétiques, rencontres passées avec d’autres virus, groupe sanguin, modes de vie… : les chercheurs tentent de percer les mystères de ce bouclier naturel.
Pourquoi, depuis le début de la pandémie, certaines personnes résistent-elles opiniâtrement à l’infection par le SARS-CoV-2 alors que tant d’autres, confrontées aux mêmes situations à risque, sont rapidement infectées ? La question fascine autant qu’elle intrigue. L’énigme, cependant, apparaît aussi coriace que les sujets auxquels elle se consacre. Mutations génétiques, rencontres passées avec d’autres virus, groupe sanguin, modes de vie… : nombreuses sont les pistes explorées. D’ores et déjà, quelques-unes se dessinent avec plus de netteté.
Qui sont donc ces résistants au virus ? « L’exemple-type est celui des expositions intrafamiliales rapprochées. Dans un couple, par exemple, un des deux partenaires peut être touché sans toujours le savoir : il arrive alors que son conjoint reste indemne », raconte le professeur Laurent Abel, codirecteur du laboratoire de génétique humaine des maladies infectieuses à l’Institut Imagine (Inserm, hôpital Necker, Paris). Sans compter celles et ceux qui, malgré une profession à risque, sont toujours passés entre les gouttes, gouttelettes et aérosols chargés de virus, alors même que les masques n’étaient pas disponibles.
Encore faut-il s’entendre sur cette protection naturelle. Il y a les personnes qui résistent à l’infection par le SARS-CoV-2 malgré une évidente exposition au risque et en l’absence de vaccination. Et puis, il y a celles qui sont infectées mais qui ne développent pas de formes graves de Covid-19. Ces deux catégories de résistance, a priori, tiennent à des boucliers différents. Seule la première nous intéresse ici.
Bouclier quasi parfait
« La proportion d’humains naturellement résistants à l’infection par le SARS-CoV-2 est inconnue », relèvent les auteurs – un consortium international, auquel participe notamment Laurent Abel – d’un état de l’art sur le sujet, publié en octobre 2021 dans la revue Nature Immunology. Mais, pour ce qui est de la piste génétique, « un certain nombre de gènes candidats (…) ont été proposés »,ajoutent-ils.
Avant cela, les chercheurs ont dû relever un premier défi : comment s’assurer de ne pas passer à côté d’une infection asymptomatique ? « L’absence d’infection doit être établie par des tests PCR négatifs répétés, puis confirmée par une sérologie négative », souligne Laurent Abel. Si le sang d’un individu ne contient pas d’anticorps ciblant le SARS-CoV-2, c’est que ses défenses immunitaires n’ont pas rencontré le virus. Avec une réserve : « Quand les muqueuses du nez sont infectées, l’immunité locale peut suffire à bloquer l’infection du reste de l’organisme. On ne détectera alors aucun anticorps dans le sang », souligne Jean-Daniel Lelièvre, chef du service d’immunologie clinique et maladies infectieuses de l’hôpital Henri-Mondor à Créteil (AP-HP).
La résistance à l’infection peut être liée à « trois types de facteurs protecteurs qui peuvent se combiner : des facteurs génétiques, immunologiques et environnementaux », résume Olivier Schwartz, responsable de l’unité virus et immunité de l’Institut Pasteur à Paris. Quatre types d’enquête scientifique permettent de les pister. Les deux premières sont génétiques ; la troisième est épidémiologique : elle vise à repérer les modes de vie ou les événements protecteurs ; quant à la quatrième, elle dissèque les mécanismes biologiques en jeu.
La première méthode d’investigation consiste à lire scrupuleusement le grand livre du génome de chaque personne résistante – dont la résistance est attestée par des tests PCR répétés et par une sérologie négative, malgré une exposition avérée au risque. Puis à en comparer les lettres, une à une, avec le génome des personnes vulnérables à l’infection. L’objectif : traquer les mutations rares, dans certains gènes, qui offriraient un bouclier quasi parfait.
« L’exemple emblématique est celui des personnes qui, malgré leurs comportements sexuels à risque, restent durablement séronégatives pour le virus du sida », raconte Laurent Abel. Cette protection, a-t-on découvert en 1996, résulte d’une mutation rare dans un gène, CCR5, qui gouverne la production d’une protéine de surface des cellules humaines : une protéine indispensable au VIH pour pénétrer dans nos cellules. « Mais les porteurs de cette mutation ont une protéine CCR5 tronquée : ils sont presque entièrement résistants à l’infection par le VIH », explique Laurent Abel. Ils représentent cependant « moins de 1 % de la population générale », précise Jean-Daniel Lelièvre.
Immunité innée
Des mutations analogues pourraient-elles faire office de cuirasse anti-Covid-19 ? Un consortium international, le Covid Human Genetic Effort, s’est lancé sur cette piste. Porté par les équipes de Laurent Abel et de Jean-Laurent Casanova, à l’université Rockefeller de New York, ce projet a recruté 300 personnes résistantes à l’infection ; l’analyse génétique est en cours. « Ce que nous recherchons, ce sont des mutations qui divisent le risque d’infection par au moins dix », précise Laurent Abel. Il paraît très improbable qu’une d’elles touche la principale porte d’entrée du SARS-CoV-2 dans nos cellules, le récepteur ACE2. « Si tel avait été le cas, on l’aurait déjà vu, observe Laurent Abel. Et puis ce récepteur contrôle des fonctions importantes, comme la pression artérielle. » Son inactivation pourrait avoir des effets néfastes considérables pour la santé.
D’autres mutations, cependant, pourraient stimuler « des composants puissants de notre réponse immunitaire innée », permettant l’élimination rapide du virus, expliquent les auteurs d’un article paru dans la revue Trends in Immunology, en février. Non spécifique de l’intrus à éliminer, cette immunité innée est prompte à monter au front : c’est ce qui fait sa force. Pas tant pour éviter l’infection, dans le cas du SARS-CoV-2, que pour enrayer rapidement la progression du processus pathologique après l’infection.
« Si l’immunité innée détecte rapidement le virus, elle limitera l’impact de l’infection. A contrario, si elle le détecte trop tardivement, les charges virales pourront atteindre des niveaux élevés, d’où un risque d’emballement du système immunitaire pouvant conduire à des formes sévères », explique Etienne Decroly, virologue au CNRS à l’université Aix-Marseille. Reste à découvrir les gènes de l’immunité innée qui, chez certains chanceux, feraient efficacement barrage au virus.
Pour Jean-Daniel Lelièvre, « ce n’est pas tout blanc ou tout noir, il y a plutôt 50 nuances de gris ». En clair, il lui semble plus probable qu’une multitude de « variants génétiques » fréquents (ou « polymorphismes ») interviennent dans notre susceptibilité au virus, chacun d’eux ne procurant qu’un faible niveau de protection.
Le groupe sanguin O est associé à un « très modeste effet protecteur »
Quelques-uns de ces variants ont été débusqués par des études « Genome-Wide Association Study » (GWAS), qui consistent à lire le génome de dizaines de milliers d’individus, à la recherche des variants associés au trait étudié. Parmi eux, le système des gènes qui déterminent le groupe sanguin, ou « locus ABO ». Une méta-analyse a dressé un bilan des 46 études sur le sujet, portant sur près de 50 000 personnes. Résultat, elle a confirmé que le groupe sanguin O est associé à un « très modeste effet protecteur », souligne Laurent Abel, cette protection étant de l’ordre de 10 %. Pour autant, cette association ne prouve pas que le groupe sanguin O soit directement responsable de la protection observée.
Et les protections liées aux modes de vie ? Lors de la première vague de Covid-19, au printemps 2020, des études ont suggéré un possible effet protecteur du tabac, créant une vive polémique. Parmi les patients infectés, il semblait y avoir moins de fumeurs. « La nicotine interagirait avec les récepteurs ACE2, privant ainsi le virus de points d’entrée dans les cellules », indique Mahmoud Zureik, professeur d’épidémiologie et de santé publique à l’université de Versailles-Saint-Quentin (Yvelines). Mais « cela mérite une confirmation et quand bien même ce serait avéré, c’est un message impossible à porter, au vu des effets désastreux du tabac sur la santé ».
En avril 2020, par ailleurs, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a conclu que « les fumeurs risquaient davantage de contracter une forme sévère de Covid-19 que les non-fumeurs ». Le fait de fumer, en effet, affaiblit la fonction pulmonaire, note l’institution onusienne.
Quant aux expériences de laboratoire, plusieurs suggèrent l’existence d’une protection immunitaire « croisée ». Héritée de la rencontre passée avec un virus de la même famille que le SARS-CoV-2 (les coronavirus), cette immunité croisée pourrait protéger contre l’infection par le SARS-CoV-2. C’est ce que suggère, par exemple, une étude publiée dans la revue Nature Communications,le 10 janvier. Menée par l’Imperial College à Londres, elle a débuté en septembre 2020, quand la plupart des gens n’avaient été ni infectés ni vaccinés contre le SARS-CoV-2. Elle a inclus 52 personnes vivant avec un proche infecté par le SARS-CoV-2. Résultat : 26 d’entre elles n’ont pas été infectées. Elles présentaient, par rapport aux 26 personnes infectées, des niveaux plus élevés d’une « brigade d’élite » immunitaire : des cellules T préexistantes, produites par l’organisme lors d’une infection passée par d’autres coronavirus humains, comme ceux qui causent le rhume. Or ces cellules, qui persistent assez longtemps dans l’organisme, parvenaient à reconnaître des protéines internes du SARS-CoV-2. « Cette immunité cellulaire est robuste, et elle est moins sensible aux mutations de la protéine spike à la surface du virus », explique Etienne Decroly.
Par contraste, la protection conférée par les anticorps – qui ciblent la protéine spike – s’estompe en quelques mois. Un résultat encourageant, donc, vu la fréquence des rhumes saisonniers. Pour autant, « reste à savoir quel est le véritable niveau de protection anti-Covid conférée par ces cellules T », estime Olivier Schwartz, et à confirmer ces données sur un plus large effectif.
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