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mercredi 2 mars 2022

La singulière inflexibilité française sur le rapatriement de Syrie des familles de djihadistes

Par   Publié le 1er mars 2022

Paris refuse de remettre en question sa doctrine du « cas par cas » concernant la prise en charge des enfants et des femmes des anciens combattants de l’organisation Etat islamique, contrairement à plusieurs de ses voisins européens qui infléchissent leur ligne.

Analyse. L’attaque menée par l’organisation Etat islamique (EI) contre la prison de Ghwayran, à Hassaké, qui a fait près de 500 morts fin janvier, a rappelé douloureusement les risques posés par le maintien des djihadistes étrangers et de leurs familles dans les prisons et les camps du Nord-Est syrien, trois ans après la chute du califat autoproclamé de l’EI.

Les Forces démocratiques syriennes (FDS, à dominante kurde) ont redit leur incapacité à assurer la détention, sans parler du jugement, des 12 000 combattants étrangers de l’EI dont elles ont la charge.

Dans un appel relayé par Washington et les Nations unies (ONU), les FDS ont enjoint leurs partenaires internationaux à rapatrier leurs ressortissants détenus dans des camps où s’entassent 60 000 personnes, dont une moitié d’enfants, et qui sont devenus une véritable « bombe à retardement », avec la détérioration des conditions de vie et la radicalisation croissante, la multiplication des meurtres et des évasions.

Qu’entend faire la France de ses djihadistes et de leurs familles encore détenus dans le nord-est syrien ? La question a, jusqu’à présent, été absente des débats entre les candidats déclarés à l’élection présidentielle. Les responsables politiques restent sourds aux appels répétés des familles, des avocats, de parlementaires, des ONG ou encore de la Commission nationale consultative des droits de l’homme à les rapatrier. Alors qu’un nombre croissant de pays européens font le choix de rapatrier les enfants et leurs mères, invoquant l’impératif humanitaire et la dégradation sécuritaire dans cette région, Paris campe sur sa position.

Jugement sur place

Le 14 février, le ministre français des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, s’est contenté de réaffirmer la doctrine française du « cas par cas » : la France continuera de rapatrier des enfants – « les mineurs isolés, les orphelins, (…) ceux dont la mère accepte le départ » –, mais pas des adultes qui doivent, selon Paris, être jugés sur place. Depuis l’effondrement de l’EI, en mars 2019 en Syrie, la France a ramené trente-cinq enfants, les derniers en janvier 2021. En décembre 2021, une Française de 28 ans, mère d’une fille de 6 ans, est morte du diabète dans le camp de Roj, malgré les demandes répétées des avocats pour obtenir son rapatriement sanitaire.

La France, qui détient encore le plus gros « contingent » de l’Union européenne (UE) dans le nord-est syrien – soit 80 femmes et 200 enfants sur environ 300 femmes et 600 enfants, selon les estimations –, s’illustre par l’une des positions les plus dures au niveau européen. Elle a été épinglée, le 24 février, par le Comité des droits de l’enfant de l’ONU qui a estimé qu’elle avait violé les droits des enfants français détenus en Syrie en omettant de les rapatrier, notamment « leur droit à la vie, ainsi que leur droit à ne pas subir de traitements inhumains et dégradants ».

Un consensus existe au niveau européen pour refuser le rapatriement des combattants. Certains pays comme la France estiment qu’ils doivent être jugés sur place, quand bien même l’administration kurde en Syrie n’est pas reconnue internationalement et que les défenseurs des droits pointent l’absence de procès équitable et l’application de la peine de mort en Irak. D’autres pays plaident en faveur d’une juridiction internationale ad hoc, dont la création s’avère être un véritable casse-tête politique.

« Terroristes de demain »

Sur la question des enfants et des femmes, les positions évoluent dans de nombreux pays, en dépit d’opinions publiques tout aussi majoritairement hostiles au rapatriement qu’en France. La Finlande a été le premier pays européen à afficher l’objectif de rapatrier l’ensemble des enfants, invoquant l’obligation constitutionnelle de « protéger les droits fondamentaux des enfants finlandais internés dans les camps ». Ces derniers étant décrits comme « un risque sécuritaire à long terme ». Depuis 2019, Helsinki a rapatrié six femmes et une vingtaine d’enfants, et compte encore une demi-douzaine de femmes et une douzaine d’enfants sur place.

La Belgique a ouvert une nouvelle brèche, en mars 2021, avec l’annonce du premier ministre Alexander De Croo de la décision de rapatrier tous les enfants de moins de 12 ans, l’intégralité de la trentaine de mineurs belges dans les camps du nord-est syrien, et des vingt et une femmes « au cas par cas »« Les laisser là, c’est faire en sorte qu’ils deviennent les terroristes de demain », avait justifié M. De Croo. En juillet 2021, Bruxelles a organisé le rapatriement de six mères et de dix enfants. Le rapatriement des mères, emprisonnées à leur arrivée, a été décidé au motif de la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant.

L’Allemagne, qui est officiellement sur une position proche de la France, a en réalité fait preuve d’une réelle souplesse depuis qu’un tribunal a ordonné au gouvernement, fin 2019, de rapatrier une femme et ses trois enfants internés à Al-Hol. Depuis, onze autres femmes et trente-sept enfants ont été rapatriés, les derniers en date en octobre 2021.

Plusieurs autres pays européens leur ont emboîté le pas. La Suède invoquait le fait de ne pas pouvoir rapatrier ces femmes en raison de l’absence, jusqu’en 2020, de loi criminalisant l’appartenance à une organisation terroriste. Le pays a rapatrié, depuis l’automne 2021, huit femmes et dix-huit enfants, soit quasiment l’ensemble de ses ressortissants sur place – dix femmes et vingt enfants.

En octobre 2021, le Danemark a rapatrié trois femmes et quatorze enfants, sur une vingtaine d’enfants et un nombre de femmes inconnu. Les Pays-Bas, avec 75 enfants et vingt femmes détenus au nord-est syrien, ont longtemps maintenu une position inflexible. Mais en février 2022, cinq femmes ont été rapatriées avec leurs onze enfants pour être traduites en justice, faisant suite à un premier rapatriement – avec le même motif – d’une femme et de ses trois enfants en juin 2021 et de deux mineurs en 2019.


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