Par Catherine Quignon Publié le 2 mars 2022
Malgré les lois et dispositifs, les femmes en fin de carrière souffrent toujours de l’effet « boule de neige » des inégalités.
L’histoire de Corinne est tristement banale, de la banalité d’une vie qui s’effondre à la suite d’un licenciement économique. Après dix-sept ans dans la même entreprise, cette assistante de direction (qui a souhaité garder l’anonymat) se retrouve au chômage à 47 ans. Une fois le choc passé, elle pense rebondir rapidement : « Tout le monde me disait : “Avec ton expérience et tes compétences, tu retrouveras facilement du travail.” Ça a été la désillusion complète. »
Les mois passent, puis les années. Malgré un CV bien rempli et des formations pour se remettre à niveau, Corinne ne retrouve pas d’emploi : « En entretien, on me disait que je correspondais au poste, mais on ne me rappelait jamais. Je me suis dit qu’il devait y avoir un problème quelque part. »
La candidate est la première à justifier le comportement des recruteurs : selon ses mots, ils préféreraient des profils « plus frais », « qui sortent de l’école » et « qu’ils peuvent former eux-mêmes ». Corinne joue le jeu, tente de souligner les « avantages » à être une femme presque quinquagénaire : « En entretien, je faisais valoir que je n’avais plus d’enfants malades à garder. »
Elle finit par retrouver du travail en 2019, par l’intermédiaire de Géa’Tion, un groupement d’employeurs à temps partagé. Des profils comme Corinne, Audrey Lefebvre, administratrice de Géa’Tion, en voit passer beaucoup : « Aux deux tiers, les seniors qui viennent nous voir ou qui sont orientés vers nous sont des femmes. »
Le taux des hommes et des femmes âgés de 55 à 64 ans officiellement inscrits au chômage était équivalent en 2020 (5,8 %), selon le service des statistiques du ministère du travail, mais à cet âge, les femmes arrivées sur le marché du travail dans les années 1980 se volatilisent. Leur taux d’emploi (51,8 %) demeure largement inférieur à celui de leurs homologues masculins (56 %). « Les femmes finissent par retrouver et/ou accepter un petit boulot, plus souvent que les hommes, ou bien basculent vers l’inactivité », avançait un rapport du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP) sur les femmes seniors dans l’emploi, publié en 2019.
Le risque de la placardisation
Les femmes en fin de carrière se prennent en pleine figure l’effet « boule de neige » des inégalités, qui débutent dès le début de leur parcours professionnel. Selon l’Association pour l’emploi des cadres (APEC), l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes cadres s’élève à 4 %, à profil équivalent, en début de carrière, pour atteindre 12 % chez les cadres de 55 ans et plus. S’ajoutent, pour les femmes, des parcours plus accidentés et une surreprésentation sur des postes à temps partiel ou moins bien payés. A la clé, des pensions de droit direct inférieures de 42 % en moyenne à celles des hommes, note le rapport du CSEP.
Selon Audrey Lefebvre, les hommes seniors qui s’adressent à Géa’Tion sont « souvent d’anciens cadres très diplômés », contrairement aux femmes, la plupart du temps « peu qualifiées en termes de formation initiale et que les entreprises ont très peu accompagnées sur leur montée en compétences ». L’administratrice de Géa’Tion relève également un cumul de difficultés les concernant : « Souvent, elles se retrouvent seules, économiquement fragiles et avec des enfants qui ont encore besoin du soutien parental. »
L’écart de rémunération entre les hommes et les femmes cadres s’élève à 4 %, à profil équivalent, en début de carrière, pour atteindre 12 % chez les cadres de 55 ans et plus
« Les femmes seniors en emploi et au chômage vivent deux réalités différentes, mais tout aussi difficiles, s’insurge Esther Malka, présidente de Arcé-Avenir-Femme, une association qui œuvre pour l’inclusion et la lutte contre la discrimination des femmes de plus de 45 ans. Quand elles sont en entreprise, le risque majeur c’est la placardisation : moins d’accès à la formation, au management, ou alors en étant cantonnées sur des postes non opérationnels. »
Pour les femmes restées en bas de la hiérarchie de l’entreprise, le temps partiel et les contrats précaires les privent d’une bonne partie de leur retraite. « Elles ne sont pas forcément préparées à ce qui les attend, à savoir toucher une retraite de moins de 700 euros, note Esther Malka. A partir de 55 ans, elles vont cumuler des petits jobs qui vont les précariser encore plus. »
Pourtant, le mot « discrimination » reste rarement prononcé. « Les femmes seniors en parlent encore moins que les autres femmes,s’étonne Me Karima Saïd, avocate au barreau de Paris. J’ai l’impression qu’il y a une volonté de ne pas se présenter comme une victime. »
« Si l’on cumule l’âge et le genre, forcément, c’est la double peine », tranche Roseline Laloupe. Du point de vue de cette consultante en création d’identité professionnelle, le monde du travail reflète l’invisibilisation de la femme âgée dans les médias. Contrairement à un homme, dont l’apparence physique est rarement questionnée, une femme « paie le fait de ne pas être considérée comme sexy, attirante ».
« Mesurettes »
Dix ans après la loi Copé-Zimmermann, l’index sur l’égalité professionnelle et les dispositions de la loi Rixain sur la féminisation des instances dirigeantes, votée en décembre 2021, vont-ils changer la donne ? Il est encore tôt pour répondre à la question avec des chiffres, mais « les corrections vont plus concerner celles qui ont entre 30 et 40 ans, juge Esther Malka. Celles dont les carrières n’ont pas été monitorées n’ont pas le même degré de compétences. Au moment où ces femmes sont arrivées sur le marché du travail, le monde n’était pas organisé pour les accueillir ».
Me Karima Saïd n’hésite pas à parler de « mesurettes ». Du point de vue de l’avocate, faciliter l’accès à la preuve pour les victimes et imposer de vraies pénalités aux entreprises seraient le seul moyen de garantir une égalité réelle : « Dans les consultations que l’on a faites sur l’index pour l’égalité professionnelle, le seul élément qui inquiétait les entreprises était le risque d’amendes. »
Aux yeux de Roseline Laloupe, une meilleure intégration des femmes seniors dans le monde du travail passe par un changement de vision sociétale sur la vieillesse : « Il faut repenser la notion de performance. Les organes s’affaiblissent, c’est vrai, mais les personnes plus âgées bénéficient de l’expérience. » Reste qu’il faudra sans doute attendre un changement de génération pour voir davantage de femmes quinquas aux commandes.
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