par Bernard Lacharme, Président de l'association Dalo (droit au logement opposable) publié le 3 mars 2022
par Bernard Lacharme, Président de l'association Dalo (droit au logement opposable)
Promulguée le 5 mars 2007, il y a tout juste quinze ans, la loi Dalo a fait passer le droit au logement d’un niveau théorique à un niveau opérationnel : le citoyen non logé ou mal logé peut saisir une «commission de médiation» chargée de désigner au préfet les demandeurs à loger en urgence. Il peut aussi saisir le juge, soit pour contester un refus de la commission, soit pour obtenir la mise en œuvre de sa décision favorable. L’Etat peut être condamné, sous astreinte, à reloger ou, le cas échéant, à accueillir en hébergement.
Cette loi est-elle pleinement respectée ? Clairement non : elle se heurte à des défaillances dans l’information, dans les décisions des commissions de médiation et, surtout, dans les relogements : en Ile-de-France, au rythme actuel, il faut plus de cinq ans à un prioritaire Dalo pour être relogé au lieu des six mois fixés par la loi.
Ces défaillances sont en grande partie liées à la crise du logement qui touche certains territoires. Cette crise ne tombe pas du ciel, elle est le fruit des décisions et des renoncements de la puissance publique. La loi Dalo ayant fixé une obligation de résultat, l’Etat se doit de mettre en place les politiques qui permettent son application. De ce point de vue, la mandature qui s’achève aura été la plus néfaste depuis 2007. Baisse des APL, ponction dans les ressources des HLM (1,3 milliard par an !), timidité face aux communes ne respectant pas leurs obligations, tout cela ne pouvait que conduire à la chute de la production de logements sociaux. Il en résulte que certains préfets sont placés devant une mission impossible.
Une loi maltraitée mais utile
Pourtant, même maltraitée, la loi est utile. Là où les marchés sont moins tendus, les préfets relogent tous les prioritaires. Partout, la loi fait pression. Les services de l’Etat ont réinvesti leur rôle dans l’attribution des logements sociaux et, malgré tout, ils relogent davantage qu’avant. Et puis, le Dalo est porteur de dignité : face au discours de culpabilisation des pauvres et des exclus, régulièrement accusés de ne pas se donner la peine de s’en sortir, il vient dire que les personnes mal logées ne sont pas les coupables, mais les victimes d’une faute commise à leur égard.
C’est pour cela que la loi dérange. Certains préfèrent ne pas en parler : faisons comme si le logement n’était pas un droit, comme si l’Etat n’était pas fautif. Mais d’autres parlent du Dalo… pour dire qu’ils le supprimeront. Car ils ont une bien meilleure solution : reloger prioritairement les Français ! Ceux-là se posent en défenseurs d’une prétendue «identité française» qu’ils placent au-dessus de la République. Ils disent vouloir nous ramener aux «racines» de la France. Mais la France n’est plus une monarchie «de droit divin». La France que s’est choisie le peuple par ses combats, notre France, la France que nous aimons est une République laïque, et, ne leur en déplaise, les Droits de l’homme font partie de ses racines. Le droit au logement est l’un de ces droits fondamentaux,au même titre que le droit à l’éducation, le droit aux soins ou le droit de vote.
Il faut dire la vérité sur la loi Dalo. Non, elle n’a pas créé un droit nouveau, elle a juste établi la garantie de l’Etat pour que, enfin, une autorité soit en charge de faire appliquer un droit reconnu depuis longtemps. Oui, la loi définit comme prioritaires ceux qui sont dépourvus de logement et ceux qui sont logés dans les situations les plus dramatiques. En cela, elle applique le principe de l’abbé Pierre : «Servir en premier le plus souffrant.» Non, la loi Dalo ne permet pas aux étrangers en situation irrégulière d’obtenir un logement social. Oui, par contre, elle leur permet d’accéder à un hébergement d’urgence car l’Etat ne saurait mettre des conditions pour accomplir un devoir humanitaire. La vérité, enfin, est que les étrangers représentent 45% des demandeurs Dalo, parce qu’ils sont les premières victimes du mal logement.
Mais la vérité peine à s’imposer. Une personne logée trop cher dans un logement privé aura toujours du mal à comprendre que des logements sociaux soient attribués à d’autres, plus «souffrants» qu’elle dont la demande n’aboutit pas. Les discours de rejet se nourrissent des carences de nos politiques. Ils ne peuvent pas être combattus simplement par le discours, ils doivent l’être par l’action et c’est ce qui fait cruellement défaut. Ceux qui prétendent répondre aux besoins des uns par l’exclusion des autres sont ignobles, mais ceux qui s’abstiennent de mettre en œuvre les solidarités élémentaires leur préparent le terrain.
Limiter les inégalités matérielles
Rappelons-nous que si la Déclaration universelle des droits de l’homme a été adoptée au lendemain de deux grands conflits mondiaux, c’est à partir de ce constat que la misère et les inégalités portent les ferments de la haine et de la guerre. En proclamant l’égale dignité des êtres humains, elle a posé l’exigence d’une action publique assurant à chacun les moyens d’échapper à la misère. Elle a fixé une limite aux inégalités matérielles : au minimum, chacun doit pouvoir se loger, se nourrir, se soigner, se vêtir, accéder à l’éducation et à la culture.
Plus que jamais alors que la guerre resurgit en Europe, les droits fondamentaux doivent être la boussole de toute action publique. Ils ne peuvent être, ni réduits aux seules libertés démocratiques ni traités comme une vague référence qui n’obligerait personne. Ils doivent être mis au cœur de l’action, au cœur des programmes et des projets pour demain. Il y a urgence pour ceux qui souffrent de misère et de mal-logement, il y a urgence aussi pour notre démocratie.
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