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mardi 15 février 2022

Témoignages Parents et entrepreneurs de l’enfance: «Ouvrir une crèche, moins stressant que d’en chercher une»

par Balla Fofana et photo photo Yohanne Lamoulère, Samuel Kirszenbaum et Marc Cellier  publié le 15 février 2022 à 8h09

Couches bio, appli de langues, conteuse… Forts de leur expérience en tant que parents, certains Français se lancent dans la création d’une entreprise centrée sur l’enfance.

par Balla Fofana et photo photo Yohanne Lamoulère, Samuel Kirszenbaum et Marc Cellier

Environ 300 000 euros : c’est la somme que dépensent, en moyenne, les parents pour leur enfant jusqu’à ses 21 ans, selon une étude dévoilée en 2015 menée par le Centre for Economics and Business Research britannique, qui a compilé les dépenses liées à l’éducation et au soin des enfants. Ce montant exorbitant dit bien à quels sacrifices on est prêt pour le bien-être de sa progéniture. Un article publié par The Guardian précisait par ailleurs qu’élever un enfant n’avait jamais coûté aussi cher en Grande-Bretagne, et que ce montant devrait continuer d’augmenter à l’avenir.

Mais la parentalité est un marché tout aussi porteur de l’autre côté la Manche : «Pour 92 % des parents français, il n’y a pas plus grand succès dans la vie que d’être un bon parent», selon une étude Ipsos de 2019. Beaucoup répondent à cette injonction en multipliant les achats de produits alliant sécurité, qualité, praticité et écoresponsabilité. Estimé à environ 750 millions d’euros, le marché français de la puériculture (troisième marché européen du secteur) attire la convoitise des startupers.

Pour Corinne Maier, économiste et autrice de plusieurs livres sur son expérience de mère, «la parentalité est un domaine où il reste encore beaucoup de choses à inventer. Je pense notamment aux innovations pour le bien-être des tout-petits appelé “baby tech” ou la “kid-tech-surveillance” censée rassurer et sécuriser les familles».Parmi ces objets connectés, il y a la poussette hyperconnectée Smartbe à près de 3 000 euros, capable d’avancer toute seule grâce à la géolocalisation d’un smartphone ou d’une montre connectée. Elle est produite par une entreprise américaine dont le PDG fondateur, Guillermo Morro, est père de jumelles. Côté surveillance, la start-up taïwanaise Yunyun Tech commercialise en France depuis la rentrée 2022 Cubo Ai, le premier babyphone doté d’intelligence artificielle (il détecte le visage du bébé et ses pleurs notamment) pour veiller sur le sommeil et la sécurité des bébés. La cofondatrice de Cubo Ai, Joanna Lin, est mère de deux enfants. Il y a quatre ans, elle a retrouvé son bébé endormi avec le visage accidentellement recouvert par son bavoir. Autant de story-telling qui véhiculent l’idée que les parents eux-mêmes seraient les mieux placés pour proposer des produits et des services adaptés à leur demande.

Libération a recueilli des témoignages de parents français qui se sont lancés avec succès dans l’entrepreneuriat pour répondre à un problème rencontré alors qu’ils élevaient leurs chérubins. Les couches Love & Green sont devenues, en l’espace de onze ans, leaders du marché des couches écologiques en France. UB4 Kids, créée en 2012, c’est aujourd’hui 25 microcrèches autour de Marseille, Montpellier et Bordeaux. La boîte à histoire sans écran ni bouton Joyeuse, qui se rapproche des 100 000 ventes depuis son lancement en 2018, vient concurrencer Lunii sur le segment des conteuses made in France. Plus de 250 000 enfants ont déjà utilisé l’application d‘apprentissage de langue étrangère Holy Owly, recommandée par le secrétaire d’Etat chargé du Numérique lors de la crise du Covid-19.

Christine Gobert (42 ans) et Pierre Comboroure (41 ans), fondateurs de UB4 Kids : «Les premières années n’ont pas été évidentes»

«En 2012, à la naissance de nos premiers jumeaux − nous avons eu deux autres garçons en 2015 −, nous avons été confrontés à l’absence de place en crèche. Ça nous a poussés à nous pencher, pendant six mois, sur le secteur de la garde d’enfants. A l’époque, il venait juste de s’ouvrir aux initiatives privées pour pallier l’absence de places. Et tout cela coïncidait avec une envie commune de quitter nos jobs respectifs pour entreprendre − tous deux diplômés de l’école Sup de co à Marseille, on occupait des postes de cadres en entreprise. Ouvrir une crèche s’est avéré moins stressant que d’en chercher une… Aujourd’hui, notre activité nous permet d’avoir une vie personnelle qui convient à notre contexte familial particulier avec quatre garçons (deux paires de jumeaux).

«Notre première microcrèche a ouvert à Marseille en 2012. Aujourd’hui nous en avons 25 et nous espérons en ouvrir une cinquantaine d’ici 2024. Le fait d’entreprendre ensemble et autour de nos fils nous offre une vraie souplesse familiale. Cela dit, les premières années n’ont pas été évidentes, car nous vivions sur nos économies et sur les indemnités chômage. Et nos vies professionnelle et privée ont été totalement imbriquées. Par exemple, notre logement faisait office de bureau. Nous avons dû nous professionnaliser et préciser les tâches de chaque membre du couple pour que nos collaborateurs puissent s’y retrouver. Cela s’est fait au prix de quelques engueulades. Aujourd’hui, nous avons 110 salariés et nous accueillons 300 enfants par jour.»

Céline et Gabriel Augusto (42 ans), fondateurs de Love & Green : «Nous voulions entreprendre à deux»

«En 2010, avant la naissance de notre première fille, nous nous sommes renseignés sur les couches pour bébé. En creusant un peu, nous avons été horrifiés d’apprendre que la majorité des produits disponibles comportaient 80 % de matières plastiques et pétrochimiques. Nous ne pouvions décemment pas mettre des couches comme ça sur la peau de notre petite fille. Nous avons alors décidé de proposer une alternative plus écologique sur ce marché fermé.

«Nous nous sommes connus au travail où nous partagions, jusqu’en 2009, la direction marketing de la marque de cosmétiques française Cadum. Après cette expérience, nous voulions entreprendre à deux. Nous sentions qu’il y avait dans l’air un désir de changement de consommation avec l’émergence des produits bio, même s’ils n’étaient pas aussi répandus qu’aujourd’hui. En janvier 2011, nous avons lancé Love & Green avec une volonté de transparence complète sur la composition de nos couches. Nous sommes les premiers à avoir mis la liste des ingrédients sur nos produits. La généralisation de cette pratique, sur le marché des couches, s’est faite vers 2018. Plus de dix ans après la création de notre marque, le secteur des couches écologiques représente 18 % du marché global : plusieurs marques de produits écolos se sont lancées dans notre sillage, soit en grande distribution soit uniquement en digital.

«Ça n’a pas été facile au départ, certains nous prenaient pour des illuminés. Entre 2011 et 2012, nous avons passé tous nos week-ends à faire des animations dans les hypermarchés. On croisait 150 parents par jour. C’était épuisant. Jusqu’en 2016, nous avons perdu de l’argent. Nous avons failli mettre deux fois la clef sous la porte, faute de financement. A cette époque, l’équilibre «vie professionnelle» et «vie perso» n’existait pas. L’aventure Love & Green prenait toute la place. Aujourd’hui, nous proposons des couches qui coûtent entre 6 et 18 euros, avec plus de 56 % de matière naturelle. On espère atteindre 90 % de matières renouvelables. Nous sommes pionniers et leaders sur les couches écologiques avec 45 % de parts de marché sur ce segment.»

Mathieu Roumens (52 ans), fondateur de Joyeuse : «On contribue à éloigner les enfants du tout-écran»

«C’est en observant Victor, qui n’avait pas encore 3 ans en 2017, que j’ai pris conscience de la force d’attraction des écrans. Il voulait regarder des histoires en non-stop sur mon téléphone. Le problème, c’est qu’il a fini par être accro et si vous lui retiriez des mains, il piquait une crise et ça devenait la guerre. C’est en assistant à une formation en design thinking (“conception créative”), où nous étions invités à résoudre un problème de notre quotidien, qu’a germé l’idée de fabriquer une conteuse pour enfants sans écran.

«J’ai créé une forme en carton, je l’ai mise entre les mains de Victor. Son premier réflexe a été de le secouer. C’est le langage naturel des petits à cet âge. Et comme je travaille sur la notion d’interface homme-machine (IHM) depuis vingt ans, ça ne m’a pas échappé. J’ai par la suite développé un prototype de boîte à histoires avec un micro-ordinateur intégré. Au moment de le tester, Victor a été scotché et captivé. Les conteuses dans leur forme actuelle ont été mises sur le marché en novembre 2018. Aujourd’hui, nous en proposons deux : une pour les 0-2 ans, et une autre pour les plus de 2 ans. Elles coûtent 80 euros, mais nous nous sommes made in France, alors qu’il existe des produits à 30 euros, fabriqués en Chine. Nous avons également soigné le design, en faisant travailler des artistes et des illustrateurs. Les contes sont écrits par des plumes, les histoires sont narrées par des comédiens.

«Nous allons atteindre les 100 000 ventes depuis le lancement de Joyeuse, mais pour le moment, nous ne sommes toujours pas rentables. Il faut dire qu’à cause de la pandémie, il y a une vraie crise des matières premières et des composants électroniques. Les tarifs augmentent, nos marges diminuent. Il reste des motifs d’espoir : les préventions médicales et médiatiques sur la nocivité des écrans pour les enfants sont intégrées par de nombreux parents. A l’instar de la veilleuse, la conteuse pour enfants est en passe de devenir un essentiel pour les bébés. De plus, les nouvelles générations de parents sont sensibilisées au made in France. Et c’est réjouissant de se dire que l’on contribue à éloigner les enfants du tout-écran, en les reconnectant au toucher et à l’oralité pour développer leur vocabulaire et leurs imaginaires. Raconter une histoire à un bambin, c’est une manière de lui dire : bienvenue en humanité.»

Stéphanie Bourgeois (47 ans) et sa sœur Julie Boucon (37 ans), fondatrices de Holy Owly : «C’était l’occasion de tout lâcher»

«L’idée de lancer une application d’apprentissage de l’anglais en cinq minutes par jour, pour les enfants de 3 à 11 ans, nous est venue en 2015, quand Stéphanie, alors directrice des achats pour General Electric, s’est expatriée un an à Shanghai. Ses enfants étaient scolarisés dans un lycée français et ils ont acquis un bon niveau d’anglais en quelques mois. Nous nous sommes demandé comment leur permettre de conserver et même d’améliorer leurs acquis. Nous avons fait le tour des applications en ligne qui existaient déjà et il n’y avait rien d’efficace sur le marché. Nous trouvions les cours privés trop verticaux. Même chose à l’école : l’enfant passe des heures à écouter un adulte et finalement peu de temps à s’exprimer.

«Avec Julie, qui a été responsable commerciale pour plusieurs entreprises, on s’est dit que c’était l’occasion de tout lâcher et d’enfin répondre à un besoin qui doit être le même pour beaucoup de mamans : s’assurer que nos enfants parlent anglais. Aujourd’hui, et encore plus à l’avenir, un bon niveau sera requis, même si l’on veut rester vivre en France. En septembre 2015, nous avons ouvert avec des enseignants une école d’anglais pour les enfants à Besançon. Pendant trois ans, nous avons pu tester nos méthodes d’apprentissage sur 180 enfants, âgés de 3 à 11 ans. Nos enfants respectifs (trois pour Stéphanie, deux pour Julie) ont également fait partie de l’aventure. Cela n’a pas toujours été évident, il fallait commencer à se structurer en même temps et à lever des fonds.

«Nous avons été impressionnées par les progrès des enfants et notamment par la capacité des plus jeunes à prononcer les mots avec un accent parfait. Un enfant qui apprend une nouvelle langue avant 6 ans, va l’acquérir comme s’il s’agissait de sa langue maternelle. Nos chercheurs linguistes nous ont fait observer, après l’âge de 8 ans, que le larynx étant déjà formé, l’enfant devra faire plus d’efforts pour fluidifier sa prononciation dans une autre langue. En 2017, nous avons lancé une première version de Holy Owly, actualisée en 2020. Nous proposons une méthode d’apprentissage ludique basée sur cinq minutes d’exercice par jour. Les enfants apprennent quotidiennement trois mots ou trois phrases autour d’une thématique hebdomadaire et perfectionnent leur accent grâce à la reconnaissance vocale intégrée. A l’heure actuelle, nous comptons plus de 10 000 abonnés payants, l’application est traduite dans douze langues. Nous allons commercialiser un peu partout à l’international. L’offre mensuelle est à 10 euros et passe à 4,90 euros par mois si on s’abonne pour un an. Nous voulons toucher les parents de tous les milieux.»


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