par Anne-Sophie Lechevallier publié le 14 février 2022
Un enfant sur cinq était pauvre en France en 2019. Cette donnée de l’Insee s’accompagne d’autres tout aussi alarmantes. Vivre avec leurs deux parents ou un seul d’entre eux fait varier le risque de pauvreté des enfants : le taux atteint 40,5 % pour ceux qui grandissent au sein des familles monoparentales (contre 15,4 % pour les autres, en 2018), et il culmine à 78,5 % lorsque le parent est à la fois seul et au chômage ou inactif. Si en France, la proportion de la population vivant sous le seuil de pauvreté est figée depuis quelques années, elle a évolué sur une longue période. Pour le meilleur comme pour le pire. Les retraités ont vu leur sort nettement s’améliorer. Celui des familles monoparentales nettement se dégrader.
«Biais misérabiliste»
Derrière ces statistiques, on ne sait pas grand-chose de ces enfants précaires. La sociologue Vanessa Stettinger, maîtresse de conférences à l’université de Lille, s’en étonne : «En France, on n’a pas encore su regarder l’enfant et se demander comment il vivait. La pauvreté quotidienne, elle maltraite les enfants, elle les ronge physiquement et psychologiquement. Dans les enquêtes, on constate que certaines familles peuvent donner autant et la même chose à chacun, d’autres investissent davantage celui qui donne plus d’espoir.» Quelques recherches et quelques rapports ont été réalisés, comme celle de l’Ined ou celui de l’Observatoire des inégalités. Néanmoins, considère aussi Vanessa Stettinger, «à cause d’un biais misérabiliste, les travaux français concentrent leur attention presque exclusive sur le devenir des enfants, tendant à faire disparaître l’enfant pauvre derrière l’adulte, ce qui limite les connaissances sur cette population». Il faudrait donc, selon elle, commencer par étudier la situation de ces enfants, rendre compte de leur vécu, de leurs besoins.
Cela semble une condition nécessaire pour espérer mener une politique publique efficace. La question n’est pas absente du débat, Emmanuel Macron ne l’a d’ailleurs pas totalement négligée pendant son mandat. Outre le dédoublement des classes d’éducation prioritaire de CP et CE1, des petits-déjeuners ont été mis en place dans certaines écoles. A la maternelle de Bohain-en-Vermandois (Aisne), ils n’ont pas résisté au Covid. Le chef de l’Etat comptait aussi sur les crèches. Il l’a reconnu, l’objectif d’ouvrir 30 000 places en cinq ans ne sera pas atteint, ce sera le cas d’à peine la moitié ; alors qu’il estime à 160 000 le nombre de personnes ne retravaillant pas, faute de solution de garde.
«Parents pauvres»
Néanmoins, combattre la pauvreté des enfants n’est pas devenu une préoccupation majeure, comme cela a été le cas dans l’Angleterre de la fin des années 90 quand Tony Blair a annoncé une réforme de l’assistance sociale censée «mettre fin à la pauvreté», pour toujours, en l’espace d’une génération. Porter une attention marquée à ce sujet est parfois perçu en France comme au détriment de la lutte contre la pauvreté des adultes. «On agite la misère des plus petits pour masquer celle des grands», écrivait en 2018 Louis Maurin, le directeur de l’Observatoire des inégalités. «Il ne s’agit pas d’enfants pauvres, mais d’enfants de parents pauvres,explique-t-il aujourd’hui. C’est une manière de prendre le problème de manière compassionnelle. Si on veut le traiter, la question se pose en fonction de leurs parents.» Peut-être que les deux problèmes mériteraient d’être traités, à part entière, en même temps.
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