par Thibaut Sardier publié le 13 février 2022
Comme le général de Gaulle dont ils se réclament souvent, les candidats à l’élection présidentielle se font tous «une certaine idée de la France»… quitte à enchaîner les clichés. A quelques semaines du scrutin, le géographe Aurélien Delpirou et le statisticien Frédéric Gilli tentent de remettre les choses au clair dans 50 cartes à voir avant d’aller voter. Un atlas pour éclairer les enjeux des élections (Autrement). Le livre n’est pas un précis de géographie électorale, et ne donne pas dans le «dis-moi où tu habites, je te dirai pour qui tu vas voter».
Des fiches de synthèse accompagnées de cartes et de graphiques tentent plutôt de dessiner l’état du pays en s’intéressant au chômage et à l’accès à l’emploi, aux flux migratoires et au commerce international, au financement de la recherche et à l’accès aux services publics. Au premier rang des constats : non, tous les maux de l’époque – chômage, désindustrialisation, violences, baisse de l’attractivité du territoire ou des dotations de l’Etat… – ne touchent pas l’ensemble du territoire de la même manière. Non, Paris et les grandes métropoles ne confisquent pas toute la richesse nationale et tout le dynamisme social ou économique, au détriment des campagnes. Non, il ne sert à rien d’idéaliser le passé pour dire que tout va mal partout.
Parmi les mythes contre lesquels les auteurs ont la dent dure, il y a notamment la «France périphérique», vision du territoire où s’opposeraient «de manière binaire de grands territoires “gagnants” ou “perdants” de la mondialisation». Les inégalités sont omniprésentes dans le livre (richesses, diplômes, accès au logement…), mais correspondent à des divisions territoriales à l’intérieur même des métropoles, et à des clivages territoriaux entre campagnes dynamiques et d’autres en difficultés. Malgré les impasses de la décentralisation, les carences du système judiciaire ou les inégalités de patrimoine, les mécanismes de redistribution gardent une certaine efficacité : les transferts fiscaux permettent de réduire fortement les inégalités de revenus dans les Hauts-de-France et le long de la côte méditerranéenne, là où les taux de chômage sont parmi les plus élevés.
On s’interroge sur le sens de certaines cartes : celles qui représentent à l’échelle régionale les montants de l’épargne des Français ne mettent pas en évidence de différences spatiales et sont surtout un prétexte pour pointer, à l’échelle nationale, les «inégalités de naissance [qui] se prolongent tout au long de la vie». Les questions écologiques apparaissent peu (relativement à l’ampleur des problèmes), tout comme les départements et les régions d’outre-mer (avec une tendance fréquente à la disparition de Mayotte). Reste qu’il s’agit d’une saine lecture, qui permet de se poser les bonnes questions, avant de voir si les programmes présidentiels fournissent quelques réponses.
«Une reprise démographique qui se confirme»
Idée reçue : les campagnes françaises se dépeuplent
C’est largement faux. Sur cette carte qui représente l’évolution démographique du territoire de 2007 à 2017, les métropoles ressortent en rouge foncé du fait de leur forte croissance (et encore, ces dernières années, Paris intra-muros a perdu des habitants, ce que l’on ne voit pas ici). Mais, inversement, les espaces ayant perdu des habitants (en bleu) sont assez circonscrits, et plutôt localisés dans le centre et le nord-est de la France. Autrement dit, la France rurale gagne globalement de la population. C’est net autour des grandes villes, où la campagne est attractive pour son cadre de vie et la proximité des services urbains. En périphérie, c’est plus discret et plus lent, mais «depuis les années 2000, le solde naturel est devenu positif». Autrement dit, il y a plus de naissances que de décès. Bien sûr, cela ne signifie pas que tout le monde accède facilement aux services publics (scolaires, hospitaliers, etc.) ni aux réseaux de téléphone et d’Internet. Mais, désormais, impossible de justifier leur absence ou leur fermeture par un supposé dépeuplement.
«Une société mélangée»
Idée reçue : les étrangers ne peuvent pas s’intégrer durablement en France
Passage obligé d’un atlas sur la France d’aujourd’hui : les migrations. Quelques cartes en font l’état des lieux et rappellent que «la France est un grand pays d’immigration depuis la fin du XIXe siècle». Si, aujourd’hui, les étrangers en situation régulière viennent d’un grand nombre de pays (Haïti, Etats-Unis, Comores…), la moitié d’entre eux proviennent de seulement sept pays : Algérie, Maroc, Portugal, Tunisie, Italie, Turquie et Espagne. Pour comprendre les effets structurels de ces migrations sur la société française, les auteurs s’intéressent au multiculturalisme et aux enfants nés en France d’au moins un parent étranger. En 2019, c’était le cas de 20% des naissances, un chiffre corrélé à l’augmentation des unions mixtes (15,3%) dont la proportion est trois fois plus importante aujourd’hui qu’en 1950.
Un constat : «Tous les départements sont concernés par ce large métissage.» En effet, rares sont ceux (Finistère, Cantal, Meuse…), où le pourcentage n’atteint pas les 7%. Inversement, la proportion est forte dans les zones frontalières, notamment du côté de l’Italie, de la Suisse et de l’Allemagne. Ce qui ne veut pas dire que ce métissage ne s’effectue qu’avec nos voisins. Le pourcentage est également fort dans les espaces les plus urbanisés comme Paris, Lyon ou le pourtour méditerranéen, où les réseaux de communication facilitent des échanges avec le monde entier. «Le pays se mélange progressivement, et la coexistence avec des concitoyens aux origines étrangères, notamment non européennes, se généralise», concluent les auteurs avant de pointer des difficultés. D’un côté, certains craignent pour l’identité de la France ; de l’autre, les discriminations gardent un niveau élevé : un graphique nous dit qu’en 2015 près de 50% des personnes originaires d’Afrique subsaharienne et près de 40% de celles provenant d’Algérie, du Maroc ou de Tunisie ont expérimenté des discriminations dans notre pays.
«L’action de l’Etat : redistribution spatiale et grands programmes»
Idée reçue : l’Etat a abandonné les territoires ruraux
Dans une page consacrée aux déserts médicaux (dans lesquels vivaient en 2019 trois millions de Français), l’atlas indique que les dépenses de santé en France représentent 11% du PIB, toujours en 2019, contre seulement 2,5% en 1950. Pourtant, il y a trois ans, le nombre de maternités n’était plus que de 470, contre 717 vingt ans plus tôt. «L’accessibilité est critique dans onze départements (Lot, Nièvre, Cantal, etc.) où aucune de ces femmes n’a accès en moins de quarante-cinq minutes à une maternité spécialisée dans la prise en charge des grossesses à risque», expliquent Delpirou et Gilli.
Abandon de l’Etat dans les territoires de la France périphérique ? Certes, il y a eu «contraction des dépenses de l’Etat et des collectivités» et «délitement» du réseau de services publics. Et puis, les quartiers prioritaires qui touchent des fonds spécifiques au titre du «Nouveau Programme de renouvellement urbain» (points rouges sur la carte) sont principalement localisés dans les grandes métropoles.
Pourtant, la carte des dotations de l’Etat par habitant ne permet pas de parler d’abandon. Les départements les mieux dotés – parmi lesquels on trouve le Lot, la Nièvre et le Cantal – dessinent de façon presque parfaite la fameuse «diagonale du vide» enseignée à l’école, cet espace de faible densité démographique qui traverse le pays du sud-ouest au nord-est. On y trouve aussi un grand nombre des petites villes qui bénéficient du programme «Action cœur de ville» (points jaunes). Paris, Lyon, Bordeaux ou Marseille se retrouvent donc moins bien dotés pour faire face aux difficultés sociales que des territoires moins peuplés. Mais de là à expliquer comment mieux répartir l’argent public, il y a un pas que les auteurs ne franchissent pas.
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