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lundi 7 février 2022

Reconnaître la douleur chronique comme un phénomène de santé publique

par Un collectif de vingt députés du groupe Mouvement démocrate et démocrates apparentés  publié le 7 février 2022

Pas moins de 12 millions de Français souffrent de douleur chronique et ils seraient 70% à ne pas recevoir de traitement approprié. Un collectif de vingt députés du Modem se mobilisent afin de lancer un nouveau plan.

Depuis le début de la crise sanitaire, l’organisation de notre système de santé est au cœur de toutes les préoccupations. La pandémie a mis en lumière des questions aussi variées que le fonctionnement de notre système hospitalier, les conséquences psychologiques du confinement, ou encore la relocalisation de la production de certains médicaments. Autant de sujets qui ont su trouver un écho dans le débat public, et se traduire par des actions concrètes de la part du gouvernement.

Cependant, en marge de ces avancées, d’autres enjeux de santé publique tout aussi fondamentaux sont demeurés invisibles aux yeux de nos concitoyens. Tel est notamment le cas de la prise en charge des personnes victimes de douleur chronique.

Un phénomène de société mal identifié

La douleur est une réalité à laquelle chacun de nous est confronté. Nous pouvons l’éprouver directement, lorsqu’elle prend la forme de lésions musculaires, de rhumatismes, de douleurs post-opératoires ou encore de l’endométriose. Beaucoup d’entre nous l’observent également lorsqu’elle bouleverse la vie de nos proches.

Car la douleur – qui devient chronique lorsque les symptômes s’installent plus de trois mois – a des conséquences bien plus larges que la seule souffrance physique. Elle entraîne un sentiment de mal être général, s’accompagnant d’insomnie, d’anxiété, au point de favoriser l’isolement et parfois la dépression de la personne douloureuse.

Nous devons prendre conscience qu’il s’agit, au-delà des cas individuels, d’un véritable phénomène de société. Ainsi, d’après le «Livre blanc de la douleur», publié en 2017 par la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD), pas moins de 12 millions de Français souffrent actuellement de douleur chronique (1). Il s’agit par ailleurs du premier motif de consultation aux urgences et chez le médecin généraliste. Malgré cela, le livre blanc évalue à 70% le nombre de patients douloureux qui ne reçoivent pas de traitement approprié.

La douleur chronique est donc bien un enjeu global, qui gagnerait à être mieux identifié dans le débat public. Face à ce constat, nous ne pouvons que appeler les pouvoirs publics à prendre davantage en considération son traitement au sein de notre système de santé.

Une prise en charge individualisée en péril

La France a bel et bien entamé, à la fin des années 90, une politique dédiée à la prise en charge de la douleur chronique. Celle-ci a pris la forme d’un plan de lutte contre la douleur, portant sur les années 1998-2002. Il fut suivi de deux autres plans, couvrant les périodes 2002-2005 et 2006-2010.

En parallèle, notre pays s’est doté de plus de 250 établissements spécialisés présents sur tout le territoire national. Ces Structures douleurs chroniques (SDC) se distinguent par une prise en charge individualisée et pluridisciplinaire des patients : chaque patient se voit proposer un traitement adapté, en travaillant avec des spécialistes aussi divers que des kinésithérapeutes, des rééducateurs ou des psychologues.

Mais aujourd’hui, ce modèle est mis en péril par un manque de reconnaissance des pouvoirs publics. Ainsi, aucune action significative n’a été mise en œuvre depuis la fin du dernier plan de lutte contre la douleur, en 2010. Les SDC souffrent par ailleurs de la non-pérennité de leur financement, fixé à l’activité dans le cadre des Missions d’intérêt général et d’aides à la contractualisation (Migac). Lorsque l’activité réalisée diminue, notamment du fait du manque de professionnels pour assurer les prises en charge, les financements nécessaires à la survie de la structure ne sont plus toujours assurés.

Or, le manque de moyens humains fragilise les SDC. Reposant sur un nombre très limité de personnels à temps plein, les équipes sont complétées par des spécialistes présents seulement quelques heures par semaine. Ces détachements précaires sont de moins en moins attractifs auprès des spécialistes, installés en cabinet ou à l’hôpital. Des professionnels de santé d’autant moins attirés vers le traitement de la douleur chronique qu’une place marginale lui est réservée à l’université, celle-ci ne possédant pas de diplôme consacré.

Des patients sans solution

Ces difficultés se répercutent directement sur les personnes douloureuses. La file d’attente permettant d’accéder à une consultation en unité douleur peut ainsi monter de 2 à 26 semaines, selon les établissements.

Encore faut-il que l’existence de ces structures soit portée à la connaissance des personnes douloureuses. La plupart des médecins sont peu sensibilisés aux structures douleurs, et proposent des traitements faiblement adaptés aux pathologies chroniques. Or, les patients douloureux consultent deux fois plus leur médecin traitant par an que les autres, sans que ceux-ci ne les orientent vers les SDC. Ces soins inadaptés engendreraient un surcoût estimé à 1,163 milliard d’euros pour l’Assurance maladie.

Sur la base de ces éléments, treize organisations ont publié, le 19 novembre 2020, une feuille de route visant à améliorer la prise en charge de la douleur chronique. Outre le lancement d’un nouveau plan douleur, il y est notamment proposé de pérenniser le financement des SDC, de créer un diplôme dédié à l’étude de la douleur, de systématiser son évaluation et sa prise en charge systématique chez les publics vulnérables…

Il nous revient collectivement de prendre en considération ces propositions, pour enfin reconnaître l’ampleur de ce phénomène de société. En améliorant la prise en charge de la douleur au sein de notre système de santé, nous pouvons faire en sorte qu’elle ne soit plus une fatalité pour les millions de personnes concernées.

(1) Tous les chiffres présentés dans cette tribune sont, sauf indication contraire, issus de ce rapport.

Signataires : les député·e·s Géraldine Bannier (Mayenne), Philippe Berta (Gard), Christophe Blanchet (Calvados), Pascale César (Meurthe-et-Moselle), Michèle Crouzet (Yonne), Marguerite Deprez-Audebert (Pas-de-Calais), Nadia Essayan (Cher), Isabelle Florennes (Hauts-de-Seine), Pascale Fontenel-Personne (Sarthe), Brahim Hammouche (Moselle), Cyrille Isaac-Sibille (Rhône), Bruno Joncour (Côtes-d’Armor), Sandrine Josso (Loire-Atlantique), Mohamed Laqhila (Bouches-du-Rhône), Sophie Mette (Gironde), Bruno Millienne (Yvelines), Maud Petit (Val-de-Marne), Josy Poueyto (Pyrénées-Atlantiques), Frédérique Tuffnell (Charente-Maritime) et Michèle de Vaucouleurs (Yvelines).


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