par Luc Peillon
Question posée par Yves, le 2 février
L’onde de choc provoquée par le livre de Victor Castanet, les Fossoyeurs, consacré aux (mauvaises) conditions de prise en charge des résidents dans certains Ehpad, n’est toujours pas retombée. Suite à ces révélations, la ministre en charge de l’Autonomie, Brigitte Bourguignon, a lancé un vaste plan de contrôle de ces établissements par les agences régionales de santé (ARS), à réaliser d’ici début mars. Selon nos informations, certaines régions se sont vues assigner comme objectif l’inspection de deux à trois structures par département. «Autant de contrôles en à peine un mois, c’est de l’abattage pour faire du chiffre, mais ça n’a aucun sens», réagit la fédération Unsa-Santé auprès de CheckNews.
Au-delà de la maltraitance pratiquée au sein de certains établissements pour personnes âgées, c’est en effet la question des contrôles des Ehpad, ou plutôt de leur faiblesse, que l’ouvrage de notre confrère a mis en lumière. Un trou noir pour l’Etat, que Brigitte Bourguignon, invitée mardi sur France Inter, n’a pas pu nier. «Sur 7 500 Ephad [en France], combien de contrôles chaque année», lui demande la journaliste Léa Salamé. Réponse de la ministre : «Je suis incapable de vous le dire. Il y a une programmation de ces contrôles, et ensuite il y a les contrôles inopinés qui sont dus à un signalement». «A chaque fois qu’il y a un signalement, il y a un contrôle ?», poursuit la journaliste. Réponse de Brigitte Bourguignon : «Oui.»
Sollicité mercredi par CheckNews, le ministère de la Santé était effectivement dans l’incapacité de nous communiquer le nombre de contrôles, de signalements, ou de sanctions prises sur l’ensemble de la France. Et de nous renvoyer sur les agences régionales de santé.
Les contrôles dans les Ehpad recouvrent en réalité plusieurs formes et peuvent relever de plusieurs autorités. Les deux principales structures qui en ont la charge sont les conseils départementaux pour l’aspect social, et surtout, les agences régionales de santé (ARS) pour le volet sanitaire. Nombre de ces contrôles se font ainsi de manière conjointe entre les deux entités.
Au sein des ARS, une part importante des contrôles sont dits «programmés», car ils font partie d’un programme établi un an à l’avance. Ils sont basés sur des orientations définies au niveau national ou régional. Il peut s’agir par exemple du suivi des soins bariatriques (obésité) ou du circuit du médicament. «Mais programmés ne veut pas dire que les établissements sont systématiquement prévenus, explique un cadre d’une agence régionale de santé. On peut faire des contrôles sans prévenir parce que l’on veut constater un dysfonctionnement, on peut aussi prévenir les établissements quand il s’agit de récupérer des documents qu’ils doivent rassembler avant notre arrivée.»
Signalements répétés
Il y a ensuite les inspections non programmées, c’est-à-dire hors orientations. Elles surviennent soit après des événements graves, soit quand un établissement est «silencieux» (il ne donne plus aucune nouvelle à l’ARS), soit après des signalements répétés de familles ou de résidents. Là encore, en fonction de ce que les inspecteurs vont chercher, les établissements pourront - ou non - être prévenus à l’avance.
Suite à ces contrôles, un rapport est établi, puis une lettre de décisions envoyée à l’établissement, dans le cadre d’une procédure contradictoire pouvant donner lieu à un contentieux devant le tribunal administratif. Il peut s’agir de simples recommandations (facultatives), de prescriptions (obligatoires), ou d’injonctions en cas de problèmes d’une gravité particulière (obligatoires, suivies d’une inspection de contrôle). Voire de mise sous administration provisoire de l’établissement dans le pire des cas.
Problème : les effectifs, dans les ARS, chargés de contrôler les milliers d’établissements relevant de leur compétence (Ehpad, hôpitaux, cliniques…) n’ont cessé de fondre ces dernières années. Selon la fédération Unsa Santé, de 2014 à 2020, le nombre d’inspecteurs de l’action sanitaire et sociale est passé de 944 à 688 (-27 %), celui des médecins inspecteurs de 297 à 182 (-40 %), et celui des pharmaciens inspecteurs de 137 à 126 (-8 %). Soit une diminution moyenne de l’ensemble de ces personnels de 28 % en six ans.
17 établissements sur 700 contrôlés en Ile-de-France en 2019
Surtout, une partie seulement de ces professionnels est réellement dédiée à l’inspection sur le terrain. En Ile-de-France, plus grosse région du pays, sur 70 inspecteurs de l’action sanitaire et sociale en poste, moins d’une dizaine fait partie de la mission d’inspection, centralisée depuis 2018 au niveau de l’ARS. Les autres peuvent être mobilisés au cas par cas, mais sont avant tout sur d’autres missions (conduite de projets, tarification…). En intégrant les autres personnels (dont plusieurs encore en formation), ils ne sont, in fine, qu’une vingtaine à assurer le suivi de près de 2000 structures dans toute la région.
Résultat : les contrôles sont peu nombreux. Concernant les Ehpad, en 2019, dernière année «normale» avant le Covid, seuls 17 établissements sur les 700 que compte l’Ile-de-France ont fait l’objet d’une inspection de la part de la mission. Dont dix seulement suite à un signalement, selon nos informations. L’année précédente, 24 Ehpad ont été inspectés, dont cinq suite à un signalement.
«En cas de signalement, on a des moyens limités, reconnaît un cadre de l’ARS Ile-de-France souhaitant rester anonyme. On fait donc un classement des signalements en fonction des priorités. Entre la plainte d’une famille expliquant que sa grand-mère n’a jamais d’eau quand elle demande à boire et un signalement sur un frigo de médicaments défaillant, on priorisera le frigo.» Avant d’assurer cependant que «tous les signalements urgents font l’objet d’un contrôle».
Par ailleurs, si la question de la fonte des effectifs touche l’ensemble des personnels chargés de l’inspection, celle concernant les médecins inspecteurs (-40 % en six ans) serait particulièrement alarmante, selon un agent : «Eux seuls peuvent consulter les dossiers médicaux où peuvent être détectées les situations de maltraitance. Donc si vous n’avez pas de médecin inspecteur lors d’une inspection, vous avez de fortes chances de passer à côté du problème».
La baisse du nombre de fonctionnaires compétents affecte également le suivi des décisions prises après le contrôle. En Ile-de-France, une fois l’inspection réalisée par la mission régionale, la charge du suivi incombe aux délégations départementales «Or dans les délégations départementales aussi les personnels ont été fortement réduits. Et comme ils sont déjà débordés par toutes les autres missions, le suivi des inspections, c’est pas toujours ça…», témoigne un inspecteur de l’ARS.
«Difficile de repérer la maltraitance»
Toutes les régions ne sont néanmoins pas à la même enseigne. En Nouvelle-Aquitaine, dont l’ancien directeur était inspecteur, le contrôle occupe une plus grande place, selon la direction actuelle. En l’absence d’une mission organisée au niveau de l’ARS comme en Ile-de-France, il est demandé aux près de 300 agents en capacité d’inspecter de consacrer 25 jours par an au contrôle. Soit environ 20 à 30 équivalents temps plein pour un territoire qui compte plus de 900 Ehpad. D’après la direction, il y a ainsi eu 164 établissements contrôlés en 2018 et 121 en 2019. «Une partie de ces contrôles se font uniquement sur pièces, donc sans sortir du bureau, tempère un inspecteur. Difficile, dans ces conditions, de repérer la maltraitance».
Autre difficulté, enfin, de l’inspection sanitaire et sociale en France, celle de l’indépendance. Si en Ile-de-France, la question est un peu moins prégnante du fait d’une mission centralisée au sein de l’ARS, elle se pose plus fortement dans la plupart des autres régions. Avec des agents chargés de contrôler un établissement un jour, puis de négocier un budget ou organiser un partenariat un autre jour.
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