par Virginie Ballet publié le 8 février 2022
C’est une problématique «essentielle», dont les principaux candidats de gauche semblent avoir pris la mesure : l’hébergement des victimes de violences conjugales, soit en moyenne 213 000 femmes chaque année en France. «Dans le parcours de sortie des violences, la thématique de l’hébergement est centrale. D’abord, parce que le domicile conjugal est le lieu dans lequel elles ont bien souvent vécu des traumatismes, de l’insécurité, alors que cela devrait être un lieu de calme et de sérénité, mais aussi parce que parvenir à le quitter pour celles qui le souhaitent et se reloger peut constituer une forme de réparation», analyse Françoise Brié, directrice de la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF), qui gère le 3919, numéro d’écoute dédié aux violences faites aux femmes.
En 2020, 95% des 53 264 appels reçus par le 3919 concernaient des violences conjugales. Parmi ces appelantes, pas moins de 77% ont abordé la question du logement lors de leur entretien d’écoute, signe de l’importance de cette question, qui semble avoir fait son chemin dans ce début de campagne présidentielle.
A droite, en revanche, c’est silence radio sur les violences faites aux femmes, dans les programmes d’Eric Zemmour comme de Marine Le Pen. Seule la candidate Les Républicains, Valérie Pécresse, évoque une volonté de juger plus vite les affaires de violences intrafamiliales, qu’elle veut «instruire en soixante-douze heures et juger en quinze jours».
Associations, militants et experts n’ont de cesse de pointer du doigt les insuffisances du système actuel, principalement en matière d’hébergement d’urgence. Dernière alarme en date : un rapport accablant rendu public en novembre par la Fondation des femmes, selon lequel 40% des femmes victimes de violences conjugales voulant fuir le domicile ne se voient proposer aucune solution d’hébergement. Pis, seules 12% peuvent bénéficier d’une place véritablement adaptée à leur parcours.
Si des améliorations ont eu lieu, notamment dans le sillage du Grenelle contre les violences conjugales, le chemin semble encore long : fin 2021, on recensait en France 7 820 places d’hébergement d’urgence, contre 5 131 en 2018. Mieux, mais pas encore suffisant : selon le Haut Conseil à l’égalité (HCE), instance indépendante consultative placée sous l’égide du Premier ministre, la France fait face à un «manque alarmant» de places spécialisées. Il en faudrait au moins 20 000, selon le HCE. En l’Etat, la France ne respecte tout bonnement pas les standards édictés par la convention d’Istanbul, qu’elle a pourtant ratifiée, dans laquelle est prévue en moyenne une place pour 5 000 habitants (soit 13 000 places).
Action gouvernementale qualifiée «d’échec»
A gauche, nombre de candidats y vont de leur proposition, alors que cette problématique était relativement absente en 2017. Dans cette époque post #MeToo, et après une intense mobilisation des organisations féministes, la lutte contre les violences faites aux femmes en général est d’ailleurs présente, et nombre de candidats de gauche s’engagent à investir un milliard d’euros, de Yannick Jadot (EE-LV) à Anne Hidalgo (PS) en passant par Christiane Taubira et Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise). A noter que ce dernier abordait déjà la question de l’hébergement lors de sa précédente campagne. Cette fois, le député des Bouches-du-Rhône s’engage à augmenter les places d’urgence : «Il faut 20 000 hébergements d’urgence pour les femmes menacées de violences. Et quand on parle d’hébergement d’urgence, cela doit inclure les femmes avec leurs enfants», déclarait-il lors d’un meeting à Nantes, en novembre.
Anne Hidalgo, elle, promet de faire de la lutte contre les violences«une priorité», qui se traduira par une «politique ambitieuse dans tous les domaines», y compris le logement. En déplacement à Sarcelles (Val-d’Oise), le 26 janvier, la candidate socialiste a présenté plusieurs mesures en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes et pour lutter contre les féminicides. Dans une tribune au Monde, en novembre, elle détaillait sa vision, estimant qu’«il nous faut aussi ouvrir davantage de places d’hébergement d’urgence afin qu’aux violences ne s’ajoute plus la peur de dormir dehors avec ses enfants. Je proposerai la mise en place, en lien avec les associations, d’une procédure d’urgence de mise à l’abri des femmes victimes de violences dans ce moment clé qu’est la séparation».
En visite à Bordeaux, le 27 janvier, Christiane Taubira a elle aussi taclé l’action gouvernementale en matière de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, qualifiée «d’échec». «Nous ne pouvons pas nous contenter de constater que ces violences perdurent, il faut des mesures sérieuses, déterminantes», a-t-elle poursuivi, estimant que pour «répondre à peu près correctement aux besoins», il faut «construire au moins 15 000 places d’hébergement supplémentaires» et «au moins dans chaque département, un centre d’accueil sécurisé» pour les mères avec enfant.
Cette dernière proposition rejoint l’une des mesures préconisées par la FNSF : «Nous sommes en train d’élaborer un plaidoyer à destination des candidats à la présidentielle, dans lequel la question de l’hébergement occupe une place centrale. Nous réclamons notamment l’ouverture d’un centre d’hébergement ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre par département, pour permettre une mise en sécurité immédiate des femmes et de leurs enfants. Sans cela, actuellement, trop souvent, des femmes doivent appeler le Samu social. Dans certains cas, elles sont contraintes de retourner au domicile conjugal, faute d’avoir été accueillies dans un endroit adapté», détaille Françoise Brié.
Si elle se félicite d’une mobilisation frémissante sur cette question, la directrice de la fédération reste vigilante sur la question du coût futur alloué au déploiement de structures spécialisées : «Le gouvernement a revalorisé le coût de chaque place, porté de 25 à 33 euros par jour. Il faudrait allouer au moins 45 euros par place pour garantir un accueil adapté.»
«Offre de logement social insuffisante»
Dans le plaidoyer qu’elle prépare sur cette question cruciale de l’hébergement, la FNSF entend aussi insister sur ce qui se passe après l’urgence, notamment en matière de logement social. La FNSF souhaiterait par exemple que le fait d’être victime de violences devienne un critère pour saisir la commission de médiation compétente en matière de Droit au logement opposableet faire reconnaître qu’une demande de logement social est urgente et prioritaire.
Sur ce point, les candidats sont moins diserts, voire carrément à côté de la plaque. Ainsi, Anne Hidalgo promet dans son programme la «priorisation dans le parc social des victimes de violences conjugales»… Sauf que cette mesure existe déjà, comme précisé dans le code de la construction et de l’habitation. Outre les pièces justificatives habituelles communes à toute demande, il suffit aux victimes de violences de produire soit un récépissé de dépôt de plainte soit la copie d’une ordonnance de protection, pour attester de leur situation, et ainsi être considérées comme prioritaires. Délivrée par un juge aux affaires familiales, cette décision de justice permet de prendre une série de mesures, en matière de logement ou d’exercice de l’autorité parentale.
Depuis septembre 2019, la FNSF a par ailleurs signé une convention de partenariat avec l’Union sociale pour l’habitat (USH), organisation représentative des HLM, pour fluidifier davantage l’accès des femmes victimes de violence à un logement social. La charte prévoit une série de mesures : formation des collaborateurs, campagne de communication sur le 3919, augmentation de l’offre… Et semble porter ses fruits, à en croire Catherine Hluszko, cheffe de mission en charge des partenariats au sein de l’USH : «Ces chiffres ne sont pas encore consolidés, mais sur les dix premiers mois de 2021, environ 2,5% des quelque 11 000 attributions de logements sociaux l’ont été à des victimes de violences conjugales, contre 1,6% en 2017», détaille-t-elle.
En moyenne, il aura fallu un an entre la création de leur numéro de demandeur et l’attribution effective du logement, «soit deux fois moins longtemps que pour un demandeur pour un autre motif», selon Catherine Hluszko, qui y voit le signe de l’efficacité de ce travail en réseau. Toutefois, pointe-t-elle, «de manière générale, l’offre de logement social dans le pays en général est insuffisante pour faire face à la demande». Sur ce point, Jean-Luc Mélenchon prône un «plan ambitieux de construction de logements sociaux qui pourra marquer le temps de la reconstruction de façon pérenne» des femmes victimes de violences. «Malgré la loi, les femmes victimes de violence ne sont pas toujours traitées comme un public prioritaire partout en France et par tous les bailleurs», précise-t-on chez LFI, pointant«l’engorgement global dramatique du logement social».
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