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lundi 7 février 2022

« Allez visiter nos prisons, leurs cellules ! » : l’appel de Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, aux parlementaires et magistrats

Publié le 7 février 2022

TRIBUNE

Alertant à nouveau sur les conditions d’incarcération en France, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté invite législateurs et juges à se confronter à la réalité des établissements pénitentiaires et à adopter les solutions qui s’imposent.

Tribune. Entrez dans les prisons ! Venez découvrir les colonnes de cafards qui cavalent en rangs serrés et les rats qui grignotent dans la cour ! Voyez ces trois hommes dans 4,30 mètres carrés d’espace vital qui montent la télé à fond quand l’un d’eux va aux toilettes. Ecoutez ce que me dit celui-ci « Je suis dans un trou qui s’appelle une prison, à trois dans une cage pour un. Ils nous ont mis un gamin de 22 ans qui fait crise d’épilepsie sur crise d’épilepsie. On le relève quatre fois par nuit et, à chaque crise, il s’arrête de respirer, on croit qu’il va mourir à côté de nous. » Et celui-là : « J’ai 79 ans et jamais je n’aurais pensé terminer ma vie dans de telles conditions. C’est une ambiance létale. La cellule en dessous de moi, il y a un aveugle, l’autre nuit, il a voulu aller aux toilettes, il est tombé du lit. Il n’a été relevé qu’à 7 heures du matin. » Entendez cet autre qui a fini par percer lui-même l’abcès dentaire dont il souffrait depuis des jours. Impossible de voir un dentiste. Trop longue liste d’attente, trop peu de véhicules d’extraction médicale.

Venez, écoutez les surveillants, les directeurs pénitentiaires dire leur colère, leur désespoir. Vous décrire leurs tâches rendues folles par la folie des cellules qui débordent. Ils vous diront avoir débuté il y a une quinzaine d’années à un surveillant pour 53 détenus, et être passés à un pour 150… Rassurez-les, dites-leur qu’il est normal que leur tâche ait triplé.

Quelque 1 600 détenus à même le sol

Les chiffres sont insensés. Presque 70 000 détenus au 1er janvier, soit une hausse de 11 % en un an. Evaporé, donc, un des seuls effets bénéfiques du Covid-19, avec 58 700 détenus en juillet 2020, une baisse rendue possible grâce à des ordonnances ministérielles de libérations anticipées, à deux ou trois semaines de fins de peine et sous le contrôle des juges de l’application des peines. Car le gouvernement s’effrayait, alors, d’une promiscuité qui, déjà scandaleuse en temps normal, promettait une catastrophe en temps de pandémie.

Or, le Covid court toujours. En cellule comme ailleurs. Mais aujourd’hui, dans les maisons d’arrêt, 1 600 personnes dorment à terre, sur un matelas, et 37 800 sont entassées dans des prisons bondées à plus de 120 % de leur capacité dans le meilleur des cas, et jusqu’à 150, 180, voire 200 % dans les pires. Malgré cette honte – la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme et le Conseil de l’Europe, qui fustigent une surpopulation « structurelle » –, rien n’a été entrepris pour que celle-ci baisse à nouveau. Pourquoi ce qui était possible en 2020 ne le serait plus en 2022 ?

Aussi, vous qui en avez le droit et, bien sûr, le devoir, allez visiter nos prisons, leurs cellules ! Vous, parlementaires, qui, en 2000, aviez rédigé ce rapport dont le titre dit tout, « Prisons : une humiliation pour la République », tant vos visites vous avaient secoués. Vous, dont certains, aujourd’hui, réclament pourtant toujours plus de prison, comme si c’était la seule peine qui vaille. Alors qu’il existe un très large éventail d’alternatives à l’enfermement fort contraignantes et contrôlées, tels le travail d’intérêt général, le bracelet électronique, le sursis probatoire ou la libération sous contrainte. Alors qu’un récent rapport de vos collègues députés reprenait un constat déjà énoncé en 2018 [par le contrôleur général des lieux de privation de liberté] : « La peine de prison infligée à des personnes que l’on enferme dans des cellules dégradées et suroccupées perd son sens, voire se révèle contreproductive ». Et n’y a-t-il pas de quoi se questionner quand on y lit qu’il n’y a pas de corrélation entre la hausse des incarcérations et celle de la délinquance ?

Et vous, magistrats, gardiens de nos libertés, vous qui siégez aux expéditives audiences de comparutions immédiates, vous qui fournissez ces cellules – qu’hélas, vous visitez si peu –, allez observer les conséquences de vos décisions sur la vie des détenus et des personnels. Plus fréquentes, vos visites vous permettraient, sans doute, également de mieux apprécier les recours des prisonniers contre leurs conditions indignes de détention… Et vous, bâtonniers des ordres d’avocats, qui en avez maintenant le pouvoir, allez en prison !

Vous y verrez ce qu’y constatent et dénoncent depuis longtemps les contrôleurs des lieux de privation de liberté. Vous verrez vous-mêmes à quel point la surpopulation vicie absolument tout. Il n’y a pas que les rats, les cafards, les punaises de lit et l’hygiène déplorable. La surpopulation est source de violences entre les détenus et entre les détenus et les surveillants. Elle empêche aussi d’accéder à des soins normaux ; tout est insuffisant, rien ne va. Ni les effectifs de soignants débordés, ni les salles d’attente et d’examen, ni même les voitures des extractions médicales. Kinés, dentistes, ophtalmos, chirurgiens… Que de rendez-vous ratés ou impossibles ! Que de graves pertes de chance !

Atteinte à l’ensemble des droits fondamentaux

De fait, la surpopulation affecte l’ensemble des droits fondamentaux et surtout la réinsertion, puisque les conditions d’une détention influent forcément sur les comportements à la sortie. Les parloirs réduits se déroulent dans des conditions drastiques. L’accès à la formation, à l’enseignement, au travail est restreint. Trop de monde ! Et l’administration pénitentiaire ne peut afficher « complet ».


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