« Vint le moment où la souffrance des autres ne leur suffit plus : il leur en fallut le spectacle » (Amélie Nothomb, Acide sulfurique, Albin Michel, 2005). Stéphane Encel propose de décrypter le « système Hanouna », l’infotainment dont Cyril Hanouna est aujourd’hui devenu le maître. Une position tranchée, qui a parfois la saveur du pamphlet.
Résumé : Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, Cyril Hanouna est un phénomène médiatique à lui tout seul, un incontournable adulé tous les soirs par près d’un million de téléspectateurs. Alors que l’animateur vedette de Touche pas à mon poste ! (TPMP) sort un livre d’entretien avec l’éditorialiste politique Christophe Barbier, l’historien et essayiste Stéphane Encel s’invite là où on ne l’attend pas, pour poser un regard critique sur un homme puissant et influent qui pourrait bien jouer un rôle au cours de la prochaine campagne présidentielle.
Critique : On peut se demander ce qui a pu conduire un docteur en histoire des religions, spécialiste du judaïsme de l’Antiquité, à écrire sur Cyril Hanouna. La lecture des premières lignes nous apporte une réponse claire : l’incompréhension. « J’ai eu l’idée de ce livre après avoir regardé longtemps les rediffusions du matin de TPMP, et alors que je donnais des cours de sémiologie dans plusieurs institutions. Je citais naturellement et régulièrement Hanouna, pour évoquer la télévision, les réseaux sociaux, l’horizontalité de la société, et tout décryptage semblait me ramener, à un moment ou à un autre, à Hanouna. »
Stéphane Encel a choisi de nous questionner, fortement intrigué par ce personnage qui le fascine et s’entoure chaque soir d’une équipe de chroniqueurs serviles, à la fois admiratifs et craintifs. Comment celui qui, surnommé « baba » par son entourage, est-il parvenu à signer le contrat du siècle – on parle de 250 millions d’euros sur cinq ans – avec Vincent Bolloré, son protecteur ? Comment cet homme issu d’un milieu éduqué et favorisé a-t-il pu devenir, en quelques années seulement, un chantre du populisme levant une armée de "fanzouzes" contre les élites, contre la gauche bobo qu’il exècre (Yann Barthès est à ce titre son plus fidèle ennemi sur TMC), contre Charlie Hebdo qu’il dénonce souvent, tour à tour porte-parole des gilets jaunes, défenseur de Didier Raoult et des antivax, en déclarant au passage ne pas s’être fait vacciné par peur, non « pas du vaccin, mais des piqûres en général » ?
Si l’anti-intellectualisme, la « voix du peuple » que paraît défendre le « système Hanouna » n’est pas nouveau – Julien Benda en parlait déjà en 1927 dans La Trahison des clercs, puis Paul Nizan cinq ans plus tard dans Les Chiens de garde –, l’étendue et la rapidité de sa propagation est assurément un fait social sans précédent, une menace que pressentait François-Henri de Virieu en 1990 : « Dans la médiacratie, le peuple resterait souverain, mais il pèserait moins par son vote que par son opinion. Et cela pourrait tout bouleverser. »
Stéphane Encel va plus loin, expliquant que dans le cas Hanouna, l’anti-intellectualisme s’est transformé en une « inculture » érigée en modèle : « Comme en classe, "l’intello", le "premier de la classe" se fait chambrer, couper, bousculer, sous les vannes de Hanouna : l’intelligence se plie sous la dérision, toujours. », ce que l’auteur appelle sèchement du « poujadisme télévisuel ».
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