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jeudi 10 février 2022

Maltraitance Scandale Orpea : Victor Castanet interpelle les députés sur «les défaillances de l’Etat.»

par Cassandre Leray    publié le 9 février 2022

Auditionné par la commission des affaires sociales mercredi après-midi, l’auteur du livre Les Fossoyeurs a dénoncé l’inaction des pouvoirs publics. Et estime que pour avoir des réponses, une commission d’enquête doit être lancée. 

Des années. Des années que «des rapports sur le secteur de la dépendance sont rendus sans qu’ils ne soient suivis d’effets» et «que la loi grand âge est repoussée». Dès le début de son audition, Victor Castanet interroge sans sourciller l’inertie des pouvoirs publics : «Voilà des années que des alertes sont lancées par des familles, par des salariés, par des journalistes, par des avocats, par des syndicats… Qui les a écoutés, qui les a entendus ?»

Voilà deux semaines qu’une tempête de révélations sur les maltraitances dans les Ehpad d’Orpea retourne le secteur, suite à la parution du livre-enquête Les Fossoyeurs de Victor Castanet. L’onde de choc est indéniable, mais peut-on vraiment parler de surprise ? A maintes reprises, le journaliste indépendant l’a rappelé mercredi après-midi, alors qu’il était entendu par la commission des affaires sociales : les alertes au fil des années n’ont pas manqué, mais la classe politique a fermé les yeux.

Certains députés l’ont d’ailleurs souligné eux-mêmes, à l’image de Valérie Six (UDR), qui s’offusque d’une situation «particulièrement révoltante» mais «loin d’être étonnante. Depuis des années, les associations et familles interpellent et les rapports se multiplient sans que rien n’évolue». Dans son ouvrage, Victor Castanet l’illustre clairement et le redit face à la commission, incisif : «Si ce livre rapporte les dérives d’un groupe, il raconte également les défaillances de l’Etat.»

Opération camouflage

A commencer par les contrôles réalisés dans les Ehpad, principalement effectués par les conseils départementaux et les agences régionales de santé (ARS). «Comment les améliorer ?», demandent plusieurs députés au journaliste. La réponse est claire : «Un contrôle qui n’est pas inopiné ne sert à rien.» Comme il le raconte dans son livre, l’auteur le répète une fois de plus : «En général, les inspecteurs des ARS prévenaient les établissements trois semaines ou un mois avant qu’il y ait les contrôles.»

Un cadeau pour certains Ehpad, qui peuvent saisir l’occasion de masquer temporairement les problèmes pour passer l’inspection. Derrière son micro, masque sur le visage, Victor Castanet lâche même qu’un «certain nombre d’anciens hauts fonctionnaires des ARS ont ensuite été embauchés par Orpea» et «connaissent les mécanismes de contrôle». Exemple à l’appui, puisqu’il évoque dans son livre une ancienne haute fonctionnaire de l’ARS Ile-de-France recrutée peu après sa démission par Clinea, la branche du groupe spécialisée dans les soins de suite et la psychiatrie. Sobrement, il conclut face à des députés pendus à ses lèvres : «Cette porosité là, au minimum, elle interroge.»

«Vous n’aurez pas de réponses»

Certes, désormais, la machine est en marche. Brigitte Bourguignon, la ministre chargée de l’Autonomie, a annoncé le lancement de deux enquêtes sur le groupe Orpea. L’une de l’Inspection générale des affaires sociales et la seconde de l’Inspection générale des finances. L’ensemble des établissements du groupe doivent également faire l’objet d’un contrôle des ARS.

Mais Victor Castanet reste prudent. Ces derniers jours, plusieurs salariés encore en poste au sein du groupe Orpea lui ont dévoilé la stratégie du groupe, qui «serait en train de prendre un certain nombre de dispositions avant que ces contrôles n’aient lieu». Une opération de camouflage à toute vitesse alors que le scandale ne retombe pas. Vacataires «brutalement remerciés»«attestations demandées […] à des salariés», éléments «supprimés des dossiers informatiques»… En somme, un grand ménage pour tenter une ultime fois de se protéger.

Et, face à ce mastodonte du secteur des Ehpad et cliniques privées, la peur. Le mot revient tout au long de ces trois heures, comme une évidence. Il y a eu la peur de témoigner, il y a maintenant la peur que tout ça n’ait servi à rien. Qu’encore une fois, les pouvoirs publics baissent la tête une fois que le bruit sera retombé, malgré l’ampleur inédite du travail de Victor Castanet. «Les salariés qui m’alertent s’inquiètent qu’une fois de plus, le privé démontre sa supériorité sur le public. Que l’Etat, par manque de volonté, par lenteur ou par prudence, manque une nouvelle fois à sa mission», martèle le journaliste. Alors, tentant «modestement» de se faire le porte-voix des salariés et familles en détresse, Victor Castanet le dit en leur nom : «Il est temps d’agir.»

Même s’il s’applique à répondre le plus précisément possible à chaque question des députés, Victor Castanet le sait pertinemment : ses mots ne pourront pas remplacer ceux des dirigeants d’Orpea, qui s’enfoncent dans le déni, à chacune de leurs interventions publiques, au mépris des souffrances des familles. Pas plus tard que la semaine dernière, ils évitaient tout bonnement les questions de députés outrés. Assis à la même place ce mercredi, Victor Castanet l’affirme : si cette commission des affaires sociales n’est pas transformée en commission d’enquête, «vous n’aurez pas de réponses.»


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