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samedi 12 février 2022

Criminaliser le viol conjugal, un dilemme indien

Par   Publié le 11 février 2022

La justice doit trancher alors que le pays considérait jusque-là que ce crime ne peut exister au sein d’un couple, une épouse étant présumée donner son consentement tacite et perpétuel à son mari.

Lors d’une manifestation contre le viol et les violences faites aux femmes, à New Delhi, le 29 janvier 2022.

Le débat est hautement inflammable dans un pays patriarcal où une très grande majorité des mariages est arrangée, où bien souvent les futurs époux ne se rencontrent que lors de la cérémonie, et où le divorce est une exception.

L’Inde s’interroge depuis plusieurs semaines sur l’opportunité de reconnaître le viol marital. Le sous-continent fait partie des trente-six pays, dont le Pakistan, l’Afghanistan, le Bangladesh, l’Egypte, l’Algérie et le Botswana, qui n’ont pas criminalisé le viol conjugal. Cent cinquante Etats, à l’inverse, ont adopté une législation dans ce sens pour bannir les rapports sexuels non consentis au sein d’un couple. La Grande-Bretagne a reconnu son illégalité dans une loi sur les infractions sexuelles en 2003, estimant que « de nos jours, on ne peut sérieusement soutenir que par le mariage, une épouse se soumet irrévocablement à des rapports sexuels en toutes circonstances ».

Le sujet s’est imposé en Inde à l’occasion d’un recours devant la Haute Cour de Delhi, le 12 janvier, formé par plusieurs associations, dont RIT Foundation et All India Democratic Women’s Association. La justice doit trancher alors que l’Inde considérait jusque-là que ce crime ne peut pas exister au sein d’un couple, une femme étant présumée donner son consentement tacite et perpétuel à son mari après avoir entamé des relations maritales.

Les dispositions sur le viol inscrites à l’article 375 du code pénal indien, écrit du temps des colons britanniques en 1860, exemptent de poursuite les rapports sexuels forcés entre un mari et une femme. Cet article qui définit « le crime de viol » énonce les circonstances dans lesquelles le consentement a été vicié et dispose que « les rapports sexuels d’un homme avec sa propre épouse, si l’épouse a plus de 15 ans, ne constituent pas un viol ».

« Archaïque », « arbitraire »

Les associations contestent cette exception et affirment qu’elle est inconstitutionnelle et contraire aux droits fondamentaux des femmes. Une disposition dénoncée par les avocats comme « archaïque »« arbitraire » donnant la primauté à l’institution du mariage sur les individus.

L’affaire a soulevé l’effroi de groupes de défense des droits des hommes, opposés à tout changement, qui font valoir que la reconnaissance du viol dans le couple reviendrait à transformer les maris en « violeurs » et conduirait ni plus ni moins à l’effondrement de l’institution de la famille. Ils ont appelé sur les réseaux sociaux à une « grève du mariage » ! L’argument de la déstabilisation de l’institution du mariage n’est pas l’apanage de ces groupes, il est également avancé par le gouvernement.

Les magistrats ont donné deux semaines à celui-ci, jusqu’au 21 février, pour faire connaître sa position. Jusqu’à présent, le gouvernement de Narendra Modi s’est montré opposé à la criminalisation du viol conjugal. En 2016, la ministre de la femme et du développement de l’enfant, Maneka Gandhi, la belle-fille de l’ancienne première ministre d’Inde, avait expliqué devant la Chambre haute du Parlement que le concept de viol conjugal ne pouvait pas s’appliquer en Inde compte tenu « du niveau d’éducation, d’alphabétisation, de la pauvreté, de la myriade de coutumes et de valeurs sociales, des croyances religieuses, de l’état d’esprit de la société qui considère le mariage comme un sacrement ».

Un argument qui, selon les avocats des associations à l’origine de la saisine, « revient à dire que si vous êtes une femme pauvre ou analphabète, le viol conjugal ne devrait pas être criminalisé ».

Malgré des avancées, la situation de la femme en Inde est difficile sous bien des aspects. Elle reste soumise à son mari et continue d’être considérée par les familles comme un fardeau en raison notamment de la dot, une pratique interdite depuis 1961, mais qui perdure et qui oblige les parents à s’endetter pour marier leur fille et offrir au futur époux argent et biens. Le garçon est au contraire vénéré, attendu. Il perpétue le nom du père, hérite du patrimoine familial, soutient financièrement les parents âgés et accomplit les rites funéraires hindous que les filles ne sont pas autorisées à effectuer.

Augmentation constante des violences conjugales

Les enquêtes nationales sur la santé de la famille, de 2006 à 2019, ont montré une augmentation constante de l’incidence de la violence conjugale en Inde, en particulier dans certaines régions, comme le Karnataka ou le Bihar. En 2016, 33 % des femmes indiennes mariées ont déclaré avoir subi des violences conjugales, physiques, sexuelles ou émotionnelles. Seulement 14 % des victimes ont demandé de l’aide.

En juin 2018, une enquête de la Fondation Thomson Reuters réalisée à partir d’un sondage auprès de plus de cinq cents experts avait suscité un vif émoi en Inde, en classant le pays comme le plus dangereux du monde pour les femmes, devant l’Afghanistan, la Syrie et l’Arabie saoudite. Ce palmarès avait été établi sur plusieurs critères : soins de santé, ressources économiques, pratiques culturelles ou traditionnelles, violence et harcèlement sexuels, violence non sexuelle et traite des êtres humains.

Moins controversée, une étude du centre indépendant américain World population review publiée en 2021 a positionné l’Inde en neuvième au regard de la situation des femmes, derrière l’Afrique du Sud, le Brésil, la Russie, le Mexique, l’Iran, la République dominicaine, l’Egypte et le Maroc. Pas de quoi pavoiser.


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