Le 1er février 1954, l’abbé Pierre avait trouvé les mots justes pour toucher les Français et les appeler à la mobilisation : «Grâce à vous, aucun homme, aucun gosse ne couchera ce soir sur l’asphalte ou les quais de Paris.» Et pourtant, 68 ans et 10 jours plus tard, ce drame quotidien resurgit : chaque matin en France, des enfants vont à l’école après avoir passé la nuit à la rue. Une situation intolérable.
Dans la nuit du 31 janvier 2022, en pleine semaine, près d’un millier d’enfants, dont la famille avait sollicité en vain le numéro d’appel d’urgence 115 pour une demande d’hébergement, ont passé la nuit dehors ou dans des abris de fortune. En mai 2021, 6 000 mineurs vivaient en bidonvilles en France métropolitaine. En cause, un parc d’hébergement saturé sur beaucoup de territoires, qui ne permet toujours pas de répondre à l’ensemble des besoins et une crise du logement, marquée par un manque de logements accessibles, dont les enfants sont des victimes collatérales.
Paradoxalement, le fait d’être en famille peut devenir un obstacle à la mise à l’abri en raison du manque de places d’hébergement compatibles avec la composition familiale… et quand un hébergement est disponible, les familles sont parfois contraintes de se séparer pour y passer la nuit. Le recours aux nuitées hôtelières, plus de 70 000 actuellement, est devenu la principale réponse apportée aux demandes de personnes en famille. Or, l’hôtel est inadapté à la vie de famille et ne permet pas de répondre aux besoins fondamentaux des enfants qui y vivent : alimentation équilibrée, soins, hygiène, intimité, proximité de l’école et du centre de loisirs, possibilité de faire ses devoirs dans le calme, d’inviter ses amis. Le mal-logement pèse sur la vie quotidienne des enfants et affecte leur vie sociale, familiale, sanitaire et scolaire, mais aussi leur avenir en fragilisant leur développement et perturbant leur insertion socioprofessionnelle future. C’est la double peine dès le plus jeune âge.
Des collectifs se mobilisent
Face à ces manquements, des collectifs se mobilisent dans plusieurs villes de France auprès des élèves sans domicile et de leurs familles. Régulièrement, ces équipes éducatives, associations, syndicats, parents d’élèves et citoyens indignés s’activent pour défendre leurs droits, et leur permettre d’accéder à une solution d’hébergement. Acteurs privilégiés pour repérer les difficultés chez les élèves, ils sont en lien étroit avec les dispositifs de veille sociale en charge du 115 sur leur territoire. Lorsque aucune solution n’est trouvée, des familles sont mises à l’abri dans les écoles et les gymnases.
A Lyon, le collectif Jamais sans toit en est déjà à sa centième occupation en sept ans. Depuis 2014, près d’une soixantaine d’établissements ont servi de refuges temporaires à plus de 450 enfants, sans toutefois parvenir à répondre à l’ensemble des besoins : malgré leur action, en plein hiver, 94 enfants sont toujours à la rue dans la métropole lyonnaise. A Strasbourg, un collectif d’enseignants et parents a fait de même. Un peu partout en France, souvent de façon informelle, des initiatives citoyennes cherchent des solutions en urgence.
Respecter l’unité familiale
En laissant ses enfants à la rue, la France ne respecte pas la convention internationale des droits de l’enfant et le code de l’action sociale et des familles qui prévoit que «toute personne en situation de détresse médicale, psychique et sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d’hébergement d’urgence». S’agissant des personnes étrangères, cet accès à un hébergement n’est pas subordonné à une condition de régularité du séjour.
Cette situation ne peut plus durer. Nous, associations de lutte contre le mal-logement, parents d’élèves et citoyens engagés, appelons le 10 février à Lyon à la création d’un réseau citoyen d’alerte et d’entraide pour les familles d’enfants sans domicile.Equipes éducatives, parents, citoyens, utilisons notre vigilance collective pour interpeller les pouvoirs publics, faire respecter le droit inconditionnel à l’hébergement et au logement, et s’assurer qu’aucun enfant ne soit plus forcé de passer la nuit dehors.
La fin du sans-abrisme chez les enfants passe par la volonté politique d’appliquer un certain nombre de mesures : création de nouvelles places d’hébergement et de logements accessibles aux plus pauvres et permettant le respect de l’unité familiale, humanisation des structures d’hébergement, facilitation de l’accès aux droits des familles, renforcement du Logement d’abord,revalorisation des minima sociaux et des aides au logement (APL), assouplissement des régularisations de personnes à droits incomplets, pour enfin, leur permettre une stabilisation par le logement. En pleine campagne présidentielle, ce sujet doit mobiliser en urgence toutes les consciences en éveil dans ce pays. Nous ne pouvons plus fermer les yeux.
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