Publié le 9 février 2022
TRIBUNE
Le statut juridique des établissements n’influe pas sur la qualité de l’accueil des personnes âgées, analyse l’ancien ministre de la santé dans une tribune au « Monde ». Il observe que la prise en charge de la dépendance n’est pas la priorité de notre société.
Tribune. Le livre de Victor Castanet, Les Fossoyeurs [Fayard, 400 p., 22,90 euros], devrait provoquer, du moins espérons-le, un débat nécessaire concernant la prise en charge de nos aînés. Il a, en tous les cas, d’ores et déjà suscité diverses propositions pour éviter que des situations comparables à celles rapportées dans ce livre ne perdurent. Même si elles appellent des réponses urgentes, essayons de poser sereinement quelques principes pour éviter de partir dans des débats stériles.
Evitons, tout d’abord, de tomber dans la simplification. La financiarisation au détriment du service rendu aux personnes âgées est inacceptable mais la qualité de ce service et le respect des droits des personnes ne dépend pas du statut juridique des établissements. Dans son rapport publié en mai 2021 sur « Les droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en Ehpad », la Défenseure des droits a indiqué que 45 % des réclamations reçues par ses services concernaient un Ehpad à statut public, 30 % un Ehpad privé associatif et 25 % un Ehpad privé commercial [en 2020, les structures publiques représentaient 51 % des places, le privé 29 %, et les établissements privés commerciaux 20 %].
La question de la prise en charge du grand âge ne se réduit pas non plus à la question des Ehpad. Disons clairement que les choix de notre société ne se font pas prioritairement en faveur de la prise en charge de la dépendance des personnes âgées. Cela se traduit notamment par la décision, sans cesse repoussée, de la mise en place d’une reconnaissance de la perte d’autonomie comme étant un risque de protection sociale à part entière, qu’on l’appelle « cinquième risque » ou autrement. Un tel sujet nécessite des choix financiers.
Le rapport que Dominique Libault [directeur de la Sécurité sociale de 2002-2012] avait remis au gouvernement en mars 2019, après une large concertation, évaluait le besoin de financement public supplémentaire par rapport à 2018 à 6,2 milliards d’euros en 2024 et 9,2 milliards d’euros d’ici 2030. Les finances publiques ont, depuis, été mises à rude épreuve par la crise sanitaire et la conjoncture actuelle peut expliquer le report des choix à opérer lorsque se pose aussi la question du financement des retraites. Et ce dernier sujet préoccupe beaucoup plus le corps social. A-t-on vu des mouvements sociaux de grande ampleur descendre dans la rue pour revendiquer des moyens afin de compenser la perte d’autonomie des personnes du quatrième âge ?
Pilotage cohérent
L’entrée en institution est rarement l’expression d’un choix. C’est plus souvent la conséquence d’une mauvaise coordination des différents intervenants au domicile, lorsque les proches ne peuvent remplir ce rôle. Bien que le terme soit inapproprié, les quelques « Ehpad à domicile » qui ont vu le jour au cours de ces dernières années assurent, de manière efficace, cette fonction d’opérateur organisant à la fois l’aménagement du domicile, sa surveillance, la coordination des services de soins avec les services d’aide. C’est le pilotage cohérent des services à domicile qu’il faut renforcer. L’Ehpad de demain ne sera pas uniquement un lieu d’hébergement mais une plate-forme de services : accueil temporaire, accueil de jour, plate-forme d’accompagnement et de répit pour les aidants.
Pour garantir une bonne qualité de la prise en charge du grand âge, il s’agit donc d’inventer de nouveaux modes d’intervention en même temps que de moderniser l’existant.
Cette modernisation passe aussi par une rénovation du bâti. De trop nombreux établissements, particulièrement publics, ne peuvent offrir que des chambres à deux lits sans salle d’eau ou toilettes individuelles. On ne peut garantir la dignité de l’accueil des personnes âgées et la qualité des conditions de travail des personnels dans des locaux vétustes qui ne respectent même pas l’intimité de la personne.
Le besoin de rénovation des Ehpad était évalué en 2019 à 15 milliards d’euros sur dix ans, ce qui, selon Dominique Libault, nécessitait le triplement des sommes alors allouées à l’investissement. Le Ségur de la santé a permis d’augmenter sensiblement la dotation 2021 et a ouvert des perspectives pour les quelques prochaines années mais, lorsque des établissements construits il y a plusieurs dizaines d’années n’ont jamais été rénovés, il est devenu insupportable de ne pas prendre les décisions qui s’imposent.
Les groupes privés ont, en partie, pris leur place dans le secteur des Ehpad par manque d’argent public. Leur mode de financement leur a permis de moderniser des Ehpad sans subventions d’investissement. Ceux qui, aujourd’hui, voudraient s’en passer (en les nationalisant ou en ne leur donnant plus d’autorisations) devraient réfléchir à l’impact budgétaire d’une telle orientation.
Libérer la parole
Même si, comme je l’ai déjà exprimé, ce n’est pas le statut juridique qui garantit la qualité du service rendu, les entreprises privées qui gèrent des établissements à caractère social pourraient évoluer quant à leur statut juridique et devenir ainsi, par exemple, des entreprises à mission tel que la loi Pacte de 2019 en a ouvert la voie. Mais, c’est surtout le contenu des engagements contractuels passés entre les établissements et les autorités de tarification et de contrôle qui donnera crédit au suivi des engagements pris.
Le renforcement des contrôles, s’il s’avère utile, ne réglera pas pour autant tous les dysfonctionnements vécus au quotidien par les personnes accueillies dans les établissements. Tous ces dysfonctionnements ne justifient pas non plus la mise en œuvre d’une inspection.
Le livre de Victor Castanet va sans doute libérer la parole, comme d’autres témoignages l’ont permis concernant l’inceste ou le harcèlement sexuel. Les personnes prises en charge dans les Ehpad, ainsi que leurs proches, ne se sentent pas toujours autorisées à exprimer leurs griefs, craignant, à raison ou non, d’en subir les conséquences.
C’est pour avoir laissé des situations s’enkyster que la prise en charge, souvent, s’est détériorée. Les procédures d’expression des usagers au sein des établissements médico-sociaux ont montré leurs limites. Le temps est venu de mettre à leur disposition des médiateurs conventionnels, indépendants et impartiaux, afin d’entendre leur voix et de leur permettre de résoudre les différends qu’ils rencontrent au sein des établissements.
Claude Evin est avocat, médiateur, ancien ministre de la santé (1988-1991) dans le gouvernement de Michel Rocard et ancien directeur d’agence régionale de santé.
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