Publié le 09 janvier 2022
Les propos tenus par le président de la République dans « Le Parisien » n’inciteront pas à la vaccination, au contraire, estime l’épidémiologiste et ancien directeur général de la santé, dans une tribune au « Monde ».
Tribune. Les récentes déclarations agressives d’Emmanuel Macron vis-à-vis des personnes non vaccinées contre le virus SARS-CoV-2 ont suscité beaucoup de commentaires. Cependant, le point principal n’a pas été souligné : le président de la République a présenté ses propos comme une « stratégie ». D’où la question : qu’est-ce qu’une stratégie de santé publique ?
Une stratégie recouvre l’ensemble des initiatives favorisant la faisabilité et l’acceptabilité des mesures de prévention. Elle vise à maximiser les bénéfices des actions et à minimiser leurs inconvénients. Elle part du constat que le risque sanitaire n’est pas qu’un objet médical : c’est une notion sociotechnique. Il existe de nombreux exemples d’actions de santé publique d’efficacité médicale démontrée, mais dont les résultats ne sont pas au rendez-vous faute d’une stratégie adéquate. Le dépistage des cancers du sein et de l’utérus chez les femmes et celui du cancer colorectal pour les deux sexes sont des exemples frappants. Si on applique cela à la question des personnes non vaccinées, qu’est-ce que cela signifie ? Nul doute qu’il s’agit d’un enjeu crucial pour l’évolution de l’épidémie et le fonctionnement du système de soins.
Premièrement, il faut savoir qui sont les personnes non vaccinées et quelles sont leurs motivations. Il est évident que cette catégorie n’est pas homogène. Entre les antivax proprement dits, ceux qui ont des contre-indications médicales, ceux qui hésitent et ceux qui sont méfiants, les postures sont différentes et appellent des réponses différentes. Dans chaque situation, les risques attachés à la contagion et les bénéfices des outils de prévention sont perçus différemment. Qu’en sait-on ? Où sont les enquêtes scientifiques qui permettent de le savoir ? Sans cette compréhension, la santé publique est aveugle.
Deuxièmement, pour chacun de ces groupes, il convient de lister les outils d’intervention disponibles et de s’interroger sur leur efficacité. Il y a des outils pour tenter de convaincre. Et des outils pour contraindre. Cela va de l’éducation à la santé, jusqu’à la répression, voire l’obligation. Que sait-on de leur intérêt, seuls ou en association ? Et si les données d’évaluation manquent, où est le nécessaire débat démocratique ?
Troisièmement, il est essentiel de repérer les acteurs favorables et les opposants. Ici, il y a une dimension politique évidente, mais pas que. La question de la confiance dans les autorités et les scientifiques est cruciale, ce que les récents travaux du Conseil d’analyse économique ont bien montré.Comment renforce-t-on cette indispensable confiance dans un contexte éminemment incertain ? En accusant les opposants, en les invectivant, en les méprisant ? C’est trop facile et inefficace.
« Ecouter avant et décider après »
Comment gouverne-t-on l’incertitude dans une démocratie, de quelle pédagogie use-t-on ? A un moment, l’exécutif doit trancher, mais il vaut mieux écouter avant et décider après plutôt que l’inverse. De même, faut-il anticiper les risques et les bénéfices attendus et les intégrer dans les messages à destination de la population générale et des groupes non vaccinés, en particulier.
Ces bases étant posées, la faisabilité s’analyse sur différents axes : techniques, juridiques, financiers et éthiques. Précisément, la question de l’acceptabilité est avant tout une question de valeurs et de culture. Heurter de front les différentes valeurs qui prévalent dans les groupes de personnes non vaccinées diminue fortement les chances de succès et peut susciter des mouvements de révolte sur le mode des « gilets jaunes ». C’est aussi une question de moyens : quelles sont les forces sur le terrain qui seront à même de déployer les actions décidées ?
En traitant les personnes non vaccinées comme il l’a fait, le président de la République réduit la stratégie au niveau de l’insulte, ce qui permet de masquer que, depuis deux ans, la santé publique de terrain n’a pas été renforcée, les obstacles ne sont pas anticipés (comme la saturation actuelle des pharmacies pour les tests), les protocoles dans les écoles sont inapplicables, l’amélioration de la ventilation des locaux n’est pas promue comme elle le devrait.
Il n’y a aucune chance que la stratégie présidentielle soit gagnante sur le plan sanitaire. La stigmatisation de certaines catégories de la population, la fabrique d’un conflit entre personnes vaccinées ou non, est une erreur stratégique en matière de santé. Quarante ans de lutte contre le sida nous l’ont démontré. Insulter les personnes non vaccinées, leur dénier le statut de citoyen est un mauvais service rendu à la santé publique.
William Dab est épidémiologiste, professeur associé à l’Institut catholique de Paris et professeur émérite du Conservatoire national des arts et métiers (laboratoire MESuRS). Il a été directeur général de la santé de 2003 à 2005.
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