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Dans un message sur Twitter, une bibliothécaire et blogueuse a mis en lumière l’absence des mères sur les photos de famille, déclenchant de nombreuses réactions.
« Sur les 450 photos que j’ai triées, mon mari apparaît deux fois plus que moi aux côtés de nos enfants », souligne la mère d’un garçon de 9 ans et d’une fille de 6 ans, qui apparaît seulement une fois toute seule. « J’ai ressenti un profond agacement de ne figurer sur aucune photo du quotidien alors que j’en fais autant partie », commente Laura, qui apparaît principalement sur « les photos rituelles » réalisées chaque année par un tiers sur leur lieu de mariage.
Vécu intime ou énième manifestation de la charge mentale et émotionnelle qui incombe le plus souvent aux femmes ? Pour corroborer son intuition, Laura a publié, lundi 3 janvier, sur Twitter, une question laconique : « Mères de famille : on vous prend en photo, vous ? » Près de 400 réponses, comme autant de « moi non plus ». « Ça a résonné chez beaucoup de femmes, je ne m’y attendais pas », confie-t-elle.
« Un système où la mère est toujours lésée »
« Dès lors que l’on soulève un sujet, on fait émerger une nouvelle réalité de la charge mentale et émotionnelle », constate-t-elle, évoquant, dans le cas précis, « le fait de prendre des photos, de les trier, de créer des albums pour permettre à la famille de se construire son récit familial ».
Pour Illana Weizman, sociologue et autrice de Ceci est mon post-partum (Marabout, 2021), cette illustration de la charge émotionnelle est loin d’être anodine. « Ça participe à la charge qui incombe aux mères dans à peu près tous les domaines de la parentalité, aux émotions, aux souvenirs », estime la militante féministe sur le site Madmoizelle, selon qui l’engouement autour de ce tweet met en lumière « un système où la mère est toujours lésée, où elle doit toujours penser à tout. »
Un constat partagé par Claudine Veuillet-Combier et Emmanuel Gratton, psychologues et chercheurs à l’université d’Angers et auteurs de Photographies de familles contemporaines, perspectives croisées entre sociologie et psychanalyse (Presses universitaires de Rennes, 2021). « On observe que ce sont souvent les femmes qui gèrent le patrimoine familial, qui prennent les photos, les classent, les commentent et les partagent », analyse Claudine Veuillet-Combier, interrogée par France Inter.
Invisibilisation
Pis, selon plusieurs témoignages publiés à la suite du tweet de Laura, cette dynamique participe à l’invisibilisation des femmes dans la sphère familiale. « De mon côté, avec les photos, on croit que c’est le papa qui donnait tous les jours le bain à ma fille », commente une internaute, précisant que les photos en question venaient, au contraire, souligner un moment rare du quotidien.
« Les femmes ont besoin de faire trace visuelle du fait que les hommes s’occupent des enfants, analyse encore Claudine Veuillet-Combier. Les hommes, eux, n’ont pas besoin de le montrer, comme si finalement, de façon traditionnelle et stéréotypée, c’était normal que les femmes s’occupent des enfants. »
Un stéréotype qui alimente une vision faussée de la famille. « Je m’occupe aussi de faire les photos. Mes albums, c’est donc mon mari, vaillant père célibataire, qui élève seul ses trois enfants, quel courage », ironise une autre internaute. « Pas du tout représentatif de qui s’occupe le plus des mômes », appuie encore une mère. Pour anticiper d’éventuelles remarques de sa progéniture, une internaute répète souvent à ses deux enfants : « N’oubliez pas que si vous êtes tous les trois avec votre père sur la photo c’était que j’étais derrière la caméra ! »
Parmi les centaines de témoignages reçus par Laura figurent « des récits douloureux » de mères de famille n’ayant « aucune trace » de moments du quotidien passés avec leurs enfants. Dans un billet publié sur le HuffingtonPost américain, la photographe Chelsey Hill se souvient avoir dressé le même constat, concernant l’absence de souvenirs avec sa mère :
« Je sais que j’ai passé des heures entières avec ma mère, pendant qu’elle me lisait des histoires, qu’elle me brossait les cheveux ou jouait à la dînette avec moi. Mais il n’existe aucune preuve tangible de ces moments. »
Devoir quémander
La photographe s’est alors lancée dans un projet personnel : « me prendre en photo aux côtés de mes filles. » Elle incite les autres mères à faire de même, « quelles que soient leurs compétences en photographie ». Parmi les témoignages reçus par Laura, certains évoquent des astuces plus ou moins fructueuses pour se rendre plus visibles, comme celle de demander à leur compagnon de les prendre en photo. « Je persécute mon mari à intervalles réguliers, sinon, on dirait que je ne suis même pas là dans ma propre vie », ironise la dessinatrice et blogueuse Maman BCBG. De nombreuses femmes regrettent de devoir « quémander », évoquant des photos forcément ratées, car sans aucune spontanéité.
Pour beaucoup, le selfie apparaît comme la parade idéale pour compenser leur effacement. « J’ai zéro photo de moi avec enfant ou conjoint. Sauf selfie pris par mes soins », témoigne Lisa sur Twitter. « Les seules photos que j’ai de moi, c’est des selfies, et avec ma fille, c’est des selfies à deux », abonde Edwige sur le même réseau social. D’autres, moins nombreuses, optent pour l’option du photographe professionnel : « Mais zéro regret, maintenant j’ai quelques photos et réussies en plus ! »
Comment permettre une prise de conscience ? Après une « énorme engueulade sur le sujet », une mère raconte avoir mis au défi son mari « de trouver une seule photo de notre fille et moi qui ne soit pas un selfie. » En s’apercevant de l’absence d’image de sa femme, ce dernier a réalisé le problème, avant de prendre spontanément leur famille en photo.
« Chez certaines, cela a permis de faire bouger les lignes, de prendre les choses en main », se réjouit Laura, persuadée que « c’est aussi sur ces détails du quotidien que les choses changeront. »
1 commentaire:
n'est ce pas simplement par ce que ce sont elles qui prennent le plus les photos, ce qui déplace la question sue le pourquoi de cette prévalence. Mais aussi sur l'absence du photographe et de son regard en première perception pour ceux qui les regardent ensuite. J'ai souvenir d'une ado de 15 ans expliquant que sa mère dénonçait l'absence du père puisqu'il n'était jamais sur les photos et qui a fait tilt à mon regard interrogatif, d'un "ho la salope ! " qui l'a beaucoup rassérénée ... mais peut-être qu'à lire ce papier on voit la chose déjà analysée...
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