blogspot counter

Articles, témoignages, infos sur la psychiatrie, la psychanalyse, la clinique, etc.

mardi 11 janvier 2022

CheckNews A quoi sert le pass vaccinal si le vaccin n’empêche pas la transmission ?

par Emma Donada et Elsa de La Roche Saint-André

publié le 8 janvier 2022 
Si l’exécutif défendait le pass sanitaire comme un outil de limitation des contaminations, le pass vaccinal est davantage justifié comme un moyen de limiter la survenue des cas graves et l’engorgement des hôpitaux.
Question posée sur Twitter le 1er janvier.

A quoi sert le pass vaccinal ? A-t-il une utilité sanitaire au moment où le variant omicron, désormais ultra-majoritaire en France, fait montre d’une capacité d’échappement à l’immunité vaccinale et post-infectieuse ? Nous avons reçu de nombreuses questions sur le sujet, alors que le projet de loi qui l’institue a été adopté (non sans débats) en première lecture par les députés dans la nuit de mercredi à jeudi, avant un examen en début de semaine prochaine au Sénat. Ces questions se posaient déjà pour le pass sanitaire. L’exécutif y apportait deux réponses : le dispositif constituait une incitation à la vaccination, tout en limitant la propagation de l’épidémie.

Ce deuxième argument est plus difficile aujourd’hui à manier concernant le pass vaccinal. Jour après jour, de nombreuses études soulignent la capacité du variant omicron, archidominant aujourd’hui, à échapper à l’immunité conférée par la vaccination (ou par un antécédent d’infection). Ce qui explique la réticence d’autant plus forte des non-vaccinés vis-à-vis du projet, dans une période où le vaccin apparaît donc, aux yeux d’une partie de l’opinion, comme moins efficace.

Le ministre de la Santé, dans un premier temps, s’est pourtant accroché à l’idée de défendre un pass vaccinal réduisant la circulation du virus dans les lieux concernés par ce dispositif. «Les mailles doivent se resserrer pour garantir que les lieux qui reçoivent du public soient indemnes de gens potentiellement contagieux», avait justifié Olivier Véran lors de son audition devant l’Assemblée nationale, le 29 décembre. Un propos jugé inaudible pour les parlementaires les plus réfractaires au pass. «Comment peut-il affirmer des telles fadaises avec les vagues delta et omicron qui démontrent que la contagion existe bel et bien entre vaccinés ?» avait réagi auprès de CheckNews Loïc Hervé, sénateur (UDI-Les Centristes) de la Haute-Savoie.

«Toujours mieux que rien»

«Ce n’est pas la panacée, le vaccin ne permet pas d’avoir une armure en acier face au virus, mais il limite les risques», commente de son côté le ministère de la Santé, interrogé par CheckNews sur cette déclaration. Ajoutant : «Il ne faut pas oublier que nous faisons face aujourd’hui à la circulation de deux variants. En réponse, la stratégie sanitaire ne peut pas uniquement cibler omicron.» Au 3 janvier, 79,1 % des échantillons positifs criblés présentaient un profil fortement compatible avec omicron, d’après les données de Santé publique France. Mais en nombre de cas, le variant «delta est resté assez stable», observe l’épidémiologiste Dominique Costagliola sur Twitter.

Si, aujourd’hui, l’espoir de contrôler le nombre de cas grâce à la vaccination semble vain, les épidémiologistes interrogés par CheckNews notent que le vaccin conserve tout de même un impact sur la transmission. «Au début, il n’y avait aucune donnée sur l’efficacité contre l’infection et la transmission. On s’est posé la question ensuite, et des tas d’études ont montré que le vaccin avait une efficacité, pas totale mais importante, sur les premières souches. Cette efficacité a diminué avec le variant delta, sans être nulle. Aujourd’hui, il ne faut pas croire non plus que la vaccination n’a aucune efficacité sur la transmission», explique Yves Buisson, qui préside la cellule «Covid-19» de l’Académie nationale de médecine.

Pour l’épidémiologiste Pascal Crépey, une efficacité contre la transmission, même réduite, peut avoir un impact sur la circulation du virus. «Si la protection contre la transmission avoisine les 30 %, c’est toujours mieux que rien car lorsqu’on a un taux de reproduction du virus autour de 1,3, avec 30 % de réduction, il passe en dessous de 1», analyse-t-il, seuil en dessous duquel on peut considérer que l’épidémie régresse.

Priorité aux formes graves

Mais l’argument du freinage de l’épidémie, indéniablement, porte moins. Dans les sphères antivax et antipass, on scrute avidement les statistiques allemandes et danoises (deux pays documentant régulièrement le statut vaccinal des personnes infectées par omicron) qui suggèrent qu’omicron se joue, effectivement, davantage du vaccin que ses prédécesseurs. Au point qu’Yvon Le Flohic, médecin très actif sur les réseaux, a invité, sur Twitter, à changer de paradigme dans la manière de défendre la vaccination :«Il faut faire le deuil de la vaccination comme outil de maîtrise de la propagation et de l‘incidence. Et insister sur le fait que les vaccins protègent des formes graves, qu’ils protègent notre système de soins. Je constate en consultation que les gens ne comprennent bien souvent plus rien à ce qui se passe, et ils constatent que la réalité diverge fortement des messages qui ont été répétés sur la vaccination.»

Avec le pass vaccinal, l’exécutif prend plus explicitement ce virage :«Avec le nouveau variant omicron, on peut effectivement, même en étant vacciné, contracter la maladie, a reconnu Jean Castex sur BFM TV. A un moment donné, on a pu penser qu’avoir un schéma vaccinal complet empêchait la possibilité d’avoir la maladie. La vaccination diminue quand même les possibilités de l’avoir et de la transmettre. Mais le point central dans la lutte contre cette pandémie, c’est de savoir si vous pouvez avoir une forme grave de la maladie, d’abord pour vous, et ensuite pour notre système hospitalier qui est dans une situation extrêmement tendue, nos soignants qui sont fatigués. Le sujet majeur, c’est quand même d’être vacciné, car là les chiffres sont très clairs : si vous êtes vacciné, même si vous êtes positif, vous avez vingt fois moins de risques d’aller en soins critiques.»

«Etre bien vacciné, c’est-à-dire être à moins de trois ou quatre mois de son injection de rappel, permet de protéger contre les formes graves, et même bien souvent contre les formes symptomatiques tout court»,confirme Bruno Hoen, professeur de maladies infectieuses et tropicales. Yves Buisson rappelle d’ailleurs que c’était le rôle premier dévolu aux vaccins, «mis sur le marché avec des dossiers démontrant leur efficacité clinique, c’est-à-dire leur efficacité contre les formes graves, les hospitalisations et les décès».

Sur ce point, les autorités et les scientifiques disposent pour l’instant de très peu de recul concernant omicron. A l’étranger, commencent à être publiées de premières données issues de pays où ce variant s’est imposé plus tôt. Notamment une étude menée en Afrique du Sud, qui montre, selon l’épidémiologiste Eric d’Ortenzio, «qu’en période de circulation prédominante d’omicron, l’efficacité vaccinale contre les formes graves chez des patients vaccinés avec deux doses de Pfizer est conservée, mais réduite [en comparaison avec les précédentes souches], et s’élève à 70 %». Ce membre de l’agence ANRS-Maladies infectieuses émergentes en déduit que «probablement, avec trois doses, le vaccin confère une meilleure protection contre les formes graves». Bruno Hoen fait également état de résultats obtenus «in vitro», suggérant «que le sérum des individus récemment et complètement vaccinés contient un niveau d’anticorps capable d’empêcher le développement d’une infection». Autrement dit, ces personnes peuvent «acquérir, héberger et répliquer le virus», mais ont de très faibles risques d’être hospitalisées, et «souvent ne sont même pas symptomatiques».

Protection individuelle et collective

Et c’est là que réside l’intérêt du pass vaccinal, selon Eric d’Ortenzio : en faisant pression sur les non-vaccinés pour qu’ils se fassent vacciner, «d’une part, on les protège contre les formes graves de la maladie et, d’autre part, on empêche un engorgement des hôpitaux par les non-vaccinés». La pression sur les services de réanimation se réduit, «et on permet à des malades qui ont d’autres pathologies de ne pas être déprogrammés sur des chirurgies ou des traitements». «C’est à la fois une protection individuelle et collective», conclut l’épidémiologiste.

Pour Yves Buisson, avec une couverture vaccinale complète, le Covid deviendrait même quasi inoffensif, du fait du maintien de cette protection contre les formes graves. «Si toute la population était vaccinée, le variant omicron passerait sur la population sans faire aucun dégât, à part quelques cas légers. Il n’aurait pas plus d’importance qu’une épidémie saisonnière de grippe», développe-t-il. Le professeur Bruno Hoen se veut plus nuancé et estime que, dans ces conditions, «certaines personnes seraient fatalement infectées, et un petit pourcentage d’entre elles ferait des formes graves. Ce seront soit les gens identifiés comme ayant un risque de mal répondre à la vaccination en raison d’une pathologie associée, soit des gens qui même sans le savoir sont des mauvais répondeurs à la vaccination». Par ailleurs, réserver l’accès à certaines activités aux personnes vaccinées «permet aussi d’éviter que des personnes non protégées s’exposent dans des lieux recevant du public», estime un autre épidémiologiste, Pascal Crépey.

Les contempteurs du pass vaccinal objectent qu’omicron apparaît plus modéré que les précédents variants. Sur ce point, Yves Buisson insiste sur l’impossibilité de savoir, pour l’heure, si le variant est intrinsèquement moins dangereux, ou si la raréfaction des cas graves, qui semble se confirmer, s’explique par le fait qu’il touche des gens immunisés : «Le variant omicron échappe partiellement à l’immunité post-infection et à l’immunité post-vaccination, mais pas complètement. Il semble ne pas donner de formes graves, du moins beaucoup plus rarement que le variant delta. Est-ce que c’est une spécificité de ce variant ou est-ce dû au fait qu’il se répand dans des populations partiellement immunisées ? Cela reste à prouver. Il y a probablement un peu des deux.»

Quoi qu’il en soit, l’exemple britannique montre qu’omicron, même s’il occasionne moins de cas graves, peut, en raison de sa forte contagiosité, mettre les services de santé sous pression. Outre-Manche, sur les 137 autorités régionales hospitalières du National Health Service, le service de santé publique britannique, 24 se sont déclarées en «incident critique», c’est-à-dire potentiellement incapables de répondre aux urgences.

Le choix de l’Italie

Reste qu’assumer la fonction du pass vaccinal comme une incitation à la vaccination pour empêcher essentiellement les formes graves amène aussi à poser la question de sa généralisation à toute la population. Pourquoi contraindre aussi les personnes les plus jeunes, a priori peu exposées aux formes graves ? Bruno Hoen note que les autorités italiennes ont suivi ce raisonnement, «avec l’obligation vaccinale de tous les sujets de plus de 50 ans».

«Certes, on peut dire que les personnes jeunes sans comorbidités ne risquent pas grand-chose. Le pass vaccinal n’est malheureusement pas une mesure parfaite. Mais les mesures parfaites peuvent tellement entrer dans la dentelle qu’elles en deviennent incompréhensibles», rétorque Pascal Crepey.

Yves Buisson considère également l’idée de conditionner le pass vaccinal à l’âge comme peu pertinente. D’abord, «parce qu’on commence à admettre, à tort, que la vaccination n’empêche pas la transmission. En réalité, elle ne l’empêche pas totalement, mais elle a quand même un rôle quand elle est complète, récente et réalisée chez des personnes immunocompétentes». En découle dès lors «un effet populationnel très important», puisque «dans une population très vaccinée, le virus aura beaucoup plus de mal à passer». Ensuite, souligne-t-il, dans la catégorie des personnes considérées comme à risque de développer une forme grave, figurent aussi toutes celles présentant des comorbidités, telles que l’obésité, le diabète ou l’hypertension. Or, ces pathologies «n’ont pas d’âge», et il serait donc très compliqué de mener des contrôles : demander, par exemple, «leur taux glycémique aux personnes diabétiques»constituerait une violation du secret médical. Yves Buisson en conclut qu’une telle mesure reste «irréalisable».


Aucun commentaire: