Par Manuel Armand Publié le 14 janvier 2022
Une dizaine de magistrats participent à cette chambre pénale de la famille. Le Puy-de-Dôme est l’un des rares départements à utiliser un dispositif associant tous les acteurs de la chaîne, des médecins du CHU aux policiers, en passant par les associations d’aide aux victimes.
Clémence Cirotte insiste. Il ne faut pas dire que l’audience correctionnelle qu’elle préside ce mercredi 12 janvier au tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand est consacrée aux seules violences conjugales. « Trop réducteur », selon la jeune magistrate. « Nous parlons en réalité de violences intrafamiliales. Les faits que nous jugeons s’inscrivent dans un contentieux plus général qui touche beaucoup d’aspects de la vie familiale. L’idée, c’est d’avoir une approche globale pour mieux individualiser les peines. » Mise en place à l’automne 2019, la chambre pénale de la famille – c’est son nom officiel – reste une rareté dans le paysage judiciaire. Les initiatives similaires se comptent sur les doigts d’une main, notamment à Nantes et à Pontoise (Val-d’Oise).
A la barre, un quinquagénaire la joue très indolent. « C’est très exagéré », se défend-il face aux accusations de violences physiques et de menaces de mort à l’encontre de son ex-compagne. Dans une audience correctionnelle ordinaire, l’affaire aurait été expédiée en vingt minutes. Clémence Cirotte va y passer plus d’une heure. Le contexte est délicat. La plainte intervient alors qu’une procédure de séparation est en cours et que la plaignante demande la garde exclusive de la petite fille du couple.
L’interrogatoire du prévenu est long et méticuleux. Tout y passe. Les faits évidemment, mais aussi les démarches engagées pour soigner son alcoolisme, le contexte familial, l’exercice de son droit de visite à l’enfant et les procédures déjà engagées devant le juge aux affaires familiales. Résultat : six mois d’emprisonnement avec sursis probatoire pendant deux ans, interdiction d’entrer en contact avec son ex-femme, obligation de soins pour l’addiction à l’alcool et obligation de chercher un travail.
Des infractions pas comme les autres
La création de la chambre pénale de la famille est une initiative de Catherine Grosjean, la présidente du tribunal judiciaire, pour qui ce type de violences ne sont pas des infractions comme les autres :
« Cela remet en question le projet de vie des victimes, qui voient leur existence et leur vie de famille remises en cause et doivent souvent protéger leurs enfants. Dès qu’on entre dans la sphère de l’intime, c’est très compliqué. A Clermont-Ferrand, nous avons décidé de nous donner les moyens de faire une justice de grande qualité pour améliorer le sort des victimes. Il faut aussi s’occuper des conjoints violents pour mettre un terme à des processus de répétition grâce à une action forte de la justice. »
Chaque mois, il y a au moins deux audiences consacrées aux violences intrafamiliales. Une dizaine de magistrats participent au fonctionnement de la chambre. « Nous avons raccourci les délais entre la plainte et l’audience à moins de six mois », précise Mme Cirotte.
Dans les couloirs du tribunal, d’autres actrices ont pris place. Ce sont trois salariées de l’association d’aide aux victimes Association Victime Ecoute Conseil (AVEC 63). Comme à chaque audience, elles ont pris contact avec toutes les plaignantes. « Elles ont besoin d’être rassurées, conseillées et préparées au déroulement de l’audience », explique Véronique Lanquette, la référente violences conjugales de l’association.
A ce dispositif s’ajoute la présence permanente de trois intervenants sociaux de l’association dans les locaux de la police et de la gendarmerie pour accompagner les victimes dans leur dépôt de plainte. « Le Puy-de-Dôme est un département assez innovant, où se met progressivement en place toute une chaîne de prise en charge multidisciplinaire des violences conjugales », se réjouit David Dégery, le directeur d’AVEC 63.
« Améliorer le dépistage des victimes »
Le matin même de l’audience, une convention a été signée entre le CHU de Clermont-Ferrand, le procureur de la République et les services de police et de gendarmerie. Désormais, les victimes qui arrivent aux urgences peuvent déposer une préplainte en ligne. « Nous avons mis en place une formation spécifique des soignants pour améliorer le dépistage des victimes de violences conjugales, explique Julien Raconnat, le patron des urgences du CHU. Nous profitons de la confiance qui s’instaure avec les patients pour les orienter vers la préplainte. J’ai l’impression que c’est le bon moment pour agir et que c’est une démarche décisive, parce qu’on estime que trois victimes sur quatre ne portent jamais plainte. »
« Si on veut casser ce processus, il faut en avoir une vision globale et décloisonner l’action des différents acteurs », selon l’avocate Maud Vian
« Les violences conjugales sont rarement l’histoire d’un jour, constate l’avocate Maud Vian. C’est en réalité un mode de fonctionnement qui commence par de petites humiliations, qui se poursuit par des gifles et par la mise en place d’un système d’emprise de l’auteur des violences sur sa victime et qui peut aller très très loin quand il voit que son pouvoir n’a pas de limites. Si on veut casser ce processus, il faut en avoir une vision globale et décloisonner l’action des différents acteurs. » Un avis que partage la présidente du tribunal, Catherine Grosjean : « Il faut travailler main dans la main avec les associations et les médecins, établir le lien entre la justice pénale et la justice civile, et rechercher la plus grande cohésion possible dans les décisions. »
Ce sont de très jeunes gens qui se sont présentés mercredi à la barre de la chambre pénale de la famille, 21 ans pour lui, 20 ans pour elle. « J’ai un peu déconné, j’y suis allé fort », reconnaît-il. La jeune femme a mis trois ans avant de pouvoir se libérer d’une relation violente et destructrice. Lors de sa première visite dans une gendarmerie, elle raconte qu’on lui aurait dit : « On ne peut rien faire, revenez quand vous aurez du sang sur vous. » Elle n’a osé parler de ses souffrances ni à sa famille ni à ses amis. « J’avais trop honte », répète-t-elle en boucle, et « trop peur des représailles ».
Dans sa décision, Clémence Cirotte prononce une interdiction absolue, pour le prévenu, d’entrer en contact pendant deux ans avec la plaignante, qui se voit reconnaître comme victime de violences. « Il faut que la honte change de camp », conclut son avocate.
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