Par Charlotte Herzog Publié le 15 janvier 2022
Le protocole sanitaire mis en place dans les écoles ne cesse d’être modifié. Le gouvernement, les enseignants, les parents s’expriment à l’envi sur ce sujet. Et au milieu, il y a les enfants, avec leurs questions et leurs craintes.
Il y a comme une petite musique rassurante qu’on ne cesse de jouer depuis toujours : les enfants ont une formidable capacité d’adaptation. Commode, lorsqu’il faut encaisser ce que la majorité des adultes ne supporte pas. Par exemple : trois tests par semaine et le port du masque à l’extérieur. Gaspard a 8 ans. Il est en CE2 dans une école élémentaire du 5e arrondissement de Marseille. Il aimerait « demander au président si on pouvait ne plus jamais porter les masques. Ou sinon, juste pas dans la cour de récré. Mais, quand même, plus du tout, ce serait mieux. » Comme les autres petits écoliers français, Gaspard absorbe, depuis un peu moins de deux ans, l’empilement des règles sanitaires mises en place à l’école.
Et ils s’adaptent. Non sans pleurs ni sans peur, mais ils font ce qu’on leur dit, les petits. Malgré la fragilisation de leurs liens sociaux, un apprentissage perturbé, l’incertitude du lendemain, l’angoisse de la mort, les petits écoliers français sont forts. « C’est pas difficile, mais c’est dur », voilà le fondement de leur philosophie. Le 14 janvier, l’éducation nationale annonçait plus de 330 000 contaminations en une semaine chez les élèves, et 14 380 classes fermées. Un record depuis mars 2020. Après avoir tournicoté derrière l’écran ou assis à une table, face à nous, des élèves d’école primaire, âgés de 7 à 10 ans, ont accepté de répondre, à distance, à la question : « Comment ça va, toi ? » Dans leurs réponses sans filtre ni complainte, c’est moins l’insouciance qui s’exprime que la résistance inconsciente.
« Ça nous retire du temps pour jouer ensemble »
Arthur, 10 ans, se couche tous les soirs sans savoir si le lendemain matin il ira à l’école. « Quand maman reçoit le mail le soir à 22 heures, moi je dors déjà. » Quand il n’y a pas école, « des fois c’est un peu dur de faire les devoirs tout seul, parce que maman elle est là, mais elle travaille ». Et puis « des fois je m’ennuie beaucoup parce que je vois pas trop mes amis. Y en a, ça fait tellement longtemps que je les ai pas vus que j’arrive pas à compter. C’est pour ça que j’aime bien aller à l’école, pour rigoler un peu, parce qu’on rigole toujours avec mes copains. »
Quand il n’y a pas école et que les devoirs sont faits, il y a Mortelle Adèle, les livres, les gommettes, les jouets, la télé ou la sieste. Les chips à volonté, les crêpes avec maman. Les histoires que l’on se raconte en s’ennuyant ou les activités qu’on a la chance de pouvoir faire à côté. Cours de danse, de solfège, de gymnastique, de musique, de langues étrangères… Tous les enfants ne sont pas logés à la même enseigne.
Ce qui est sûr, c’est que quand il n’y a pas école il n’y a pas les copains. Pas la récré – même s’il est défendu de s’y mélanger. Pas la pause à la cantine. On ne peut même plus choisir sa place à côté de ses copines. « C’était le seul moment où on pouvait se faire un petit coucou démasqué », confie Noémie qui vient tout juste de se faire vacciner. Lovée contre son papa, comme pour se recharger, en évoquant le manque de ses copines. Quand il n’y a pas école, il n’y a pas la maîtresse. Même si parfois c’est pas trop mal avec maman qui reste ou papa qui revient exprès. Fini aussi, alors même que personne n’est puni, les sorties scolaires, les classes de neige et les gros goûters d’anniversaire.
L’autre jour, Arthur avait le droit d’aller voir son copain qui habite le plus près de chez lui, à Changé (Mayenne). Super. « Sauf qu’on a dû faire des tests pour être sûrs, et puis attendre le résultat. Tout ça, ça nous retire du temps pour jouer ensemble avant de devoir rentrer. »
Dans la bouche des petits ne sont pas abordés le problème des fins de mois difficiles, la question de boire debout ou assis, les doutes sur l’efficacité du vaccin, la méfiance vis-à-vis des politiques, le dilemme du télétravail. Quoique. Comme Antoine, scolarisé en CM2 à l’école élémentaire de Bennecourt (Yvelines), certains reçoivent de la part de leur maître « du télétravail à faire à la maison » en cas d’absence. Mais les petits ne descendent pas dans la rue crier un ras-le-bol, alors qu’à leur échelle subsistent des problématiques de l’ordre de l’existentiel, auxquelles ils semblent malgré tout faire face.
« On s’habitue », disent-ils. Comme des anciens qui lâchent prise sur ce qui n’est pas contrôlable. A 7, 8, 9, 10 ans, voilà que les petits nous donnent du « On fait aller, ça va ». Voilà qu’ils acceptent ce qui les rend « dingues », comme Joseph, le petit frère de Gaspard, pour qui supporter le masque de 8 heures à 18 heures – Joseph a une maman célibataire, alors le soir, il va à la garderie –, c’est « difficile parce que c’est tout le temps, que ça pue, ça gratte, ça tient chaud, c’est humide, mais c’est un peu facile parce que c’est un petit bout de tissu ». Qu’ils culpabilisent de ruser : « L’autre jour, j’ai fait exprès de casser mon masque pour respirer un peu, mais on m’en a tout de suite donné un autre. » Qu’ils se justifient alors même qu’ils n’y sont pour rien : « C’est pas que j’aime pas l’école, c’est que l’école à la maison, c’est pas l’école. »
Voilà qu’ils relativisent, comme Luna, 8 ans, en CM1 à Gennes (Maine-et-Loire) : « Ça peut être de plus en plus pire avec les tests et tout, mais quand j’en ai marre je me dis que le lendemain j’en aurais peut-être moins marre. »
Normaliser leur quotidien anormal est dangereux
« Les enfants sont des bons petits soldats. Ils obéissent aux règles. On les a éduqués pour ça. C’est aussi ce qu’ils apprennent à l’école », affirme au Monde la pédopsychiatre Marie Touati-Pellegrin. Mais c’est « dangereux de normaliser tout ce qu’il se passe. Ce qui est devenu leur quotidien, leur norme, c’est en réalité fortement anormal », met-elle en garde.
Il faut avoir conscience que « l’impact de la crise sanitaire sur les enfants est énorme ». « C’est mieux quand on a le temps de s’habituer », constate d’une petite voix Antoine, notre CM2 bennecourtois, « sauf que dès qu’on est habitués, il faut arrêter ». Oui, c’est mieux, c’est vrai. Selon Marie Touati-Pellegrin, « il faudrait pouvoir expliquer aux enfants que les protocoles changent en fonction de l’évolution des sciences et du contexte épidémique, et les aider à comprendre qui est cas contact et qui ne l’est pas, mais c’est en réalité difficile à suivre pour tout le monde ».
Aïssatou est assistante sociale et mère célibataire. Sa fille de 7 ans, Mayia, « a trop pleuré pendant deux semaines à cause des tests ». « Je ne peux pas continuer comme ça. Je suis coincée entre traumatiser mes enfants vis-à-vis des professionnels de santé ou sacrifier leur scolarité. Je fais vraiment du mieux que je peux », affirme Aïssatou. « Mais moi je t’aide, maman ! », lance la petite Mayia, pleine d’énergie, scolarisée en CE1 à l’école Rosa-Parks d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne). Elle ne parle pas des tests, c’est déjà enfoui au fond de sa personne. Son problème, cependant, c’est qu’elle « n’arrive pas à écraser le coronavirus. Ni tous les variants du monde. Et puis à cause de tous les morts, on peut pas toucher les copains avec les mains ».
Selon Marie Touati-Pellegrin, les enfants n’ont pas nos mots d’adulte, mais ils sont, comme nous, traversés par l’angoisse de la mort et de l’incertitude : « D’abord avec la peur de perdre les grands-parents et, maintenant, l’angoisse remonte avec tout ce qu’ils entendent sur Omicron. » Leur rapport à l’acceptation de la douleur est aussi mis à l’épreuve, relève la pédopsychiatre : « La douleur des tests répétés n’est pas anodine pour les enfants.Douloureux tous les deux jours, c’est pas possible. C’est pas comme pour aller voir mamie à Noël. »
Justine, jeune élève de CE1 au Bouscat (Gironde), frétille sur sa chaise. « La maîtresse, on sait jamais si elle est contente ou pas contente avec son masque, mais c’est pas grave ça, moi je l’aime bien. » Sa vitalité toute particulière semble incarner le courage de tous ces petits qui endurent sans le savoir, et qui trouvent pirouettes et cacahuètes pour rebondir ailleurs : « On a des zones dans la cour, ils nous séparent avec des plots, ça me dérange pas trop parce que j’ai pas de copains en CM1. »
Comme elle, Avril, également en CE1 mais dans le 10e arrondissement de Paris, a la chance de partager des moments riches en famille. Ses parents sont musiciens et font tout leur possible pour que la crise n’abîme pas les rêves de leur fille. Avril a d’ailleurs décidé que chaque fois qu’elle retournerait dans un labo, elle prendrait ça comme une expérience car, plus tard, elle « [sera]chimiste », assure-t-elle de toutes ses dents de lait.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire