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jeudi 13 janvier 2022

Greffes En France, les dons d’organes à la pénurie

par photos Théophile Trossat et Pablo Chignard et Lucie Beaugé

publié le 12 janvier 2022 
Avec 30 % de refus de dons depuis vingt-cinq ans, l’Hexagone peine à convaincre les réticents. Greffés et donneurs militent pour une meilleure reconnaissance de l’acte.

«La seule année où le taux de refus du don d’organes est descendu significativement en dessous des 30% en France, c’est quand Grégory est mort en 2007», raconte Pierre Lemarchal, père du jeune chanteur repéré par la téléréalité, décédé à 23 ans. Atteint de mucoviscidose, il était en attente d’une transplantation pulmonaire mais le greffon n’est jamais arrivé. Depuis, outre l’association qu’il a créée avec son épouse pour lutter contre la mucoviscidose, Pierre Lemarchal milite pour que le don d’organes devienne un vrai sujet de réflexion et de meilleures politiques publiques en France : «Cela me rend fou car on pourrait sauver des gens avec une meilleure communication et une meilleure conscience sur le sujet.»

En France, 500 personnes meurent chaque année faute de greffe. Selon les données compilées par le collectif Greffes +, qui regroupe neuf associations de patients et de familles, plus de 700 personnes sont mortes en 2019 sur les 26 000 en attente d’une greffe de rein, de poumon ou encore de foie. 5 900 malades ont pu être greffés cette année-là. Des chiffres bien différents en Espagne, leader mondial du don d’organes. Avec un taux de refus de seulement 14 % et 48,9 donneurs morts par million d’habitants en 2019, le pays devance très largement la France et ses 27,9 donneurs par million d’habitants, d’après les chiffres avancés par l’association de greffés du rein Renaloo.

Dans l’Hexagone, la courbe du nombre de demandeurs ne cesse d’augmenter, alors que celle du nombre de donneurs stagne, que ce soit de leur vivant ou post-mortem. Parmi les raisons avancées par les spécialistes, un manque de «culture» du don d’organes. Greffes +, dans son manifeste publié cet automne, a pris la sensibilisation de la société sur ces questions à bras-le-corps, au même titre que des questionnements plus scientifiques sur le prélèvement et la transplantation. Les choses bougent un peu puisque la France a tenu en octobre ses premières Assises du don d’organes.

«Tu vas être balafré du corps»

La question du don d’organes se pose au-delà du domaine médical, verse dans le sociologique voire le philosophique. A la mort d’un proche, aux yeux des familles le corps reste une personne, une anatomie à laquelle se raccrocher pour atténuer le chagrin. Quand Sébastien, 48 ans, a annoncé à son épouse qu’il avait l’intention de donner ses organes post-mortem, elle lui a répondu : «Tu vas être balafré du corps». Même remarque dans l’entourage de Lucien, greffé d’un rein grâce à un donneur en état de mort encéphalique : «Un ami pensait qu’il fallait laisser le corps en entier, ça le choquait qu’on puisse détruire un corps mort. Il ne se rendait pas compte que ce n’était pas le fait de détruire, mais de sauver. On ne va pas faire mourir ces donneurs deux fois !»

Lorsque la mort survient de manière abrupte, les proches ne connaissent pas toujours la position du défunt sur le don d’organes.«Le décès des gens en général, ça reste tabou, raconte Sébastien, qui est agent de service dans un Ehpad. Nous, en tant que soignants, on écoute les familles et la plupart ne sont prêtes à aucune démarche. Ils ne savent même pas si leurs papas et mamans veulent être incinérés ou enterrés, alors donner un de leurs organes…»

Pour Pierre Lemarchal, l’enjeu est dans la communication, une formule permettrait de sensibiliser davantage les Français : «Le don ne doit plus être rattaché à la mort, mais à la vie.» D’autant qu’un don peut signifier une renaissance pour le donneur et pas seulement pour le greffé. «C’est une aventure humaine incroyable. Après ça, on trouve la vie un peu moins monotone», confirme Cyril Prudhomme, 48 ans, qui a donné un rein à son ami Frédéric. Ils se sont rencontrés en 2006 grâce à une connaissance commune et partagent une passion pour la musique, la moto, «la vitesse en général». Leur lien prend une nouvelle tournure lorsque Cyril voit Frédéric, qui souffre de diabète, décliner à cause d’une insuffisance rénale : «J’ai proposé de lui donner un de mes reins.»

Frédéric commence par refuser : comment accepter un organe qui pourrait servir plus tard aux enfants de Cyril ? Ce dernier prend les choses en mains. «J’ai décidé d’appeler sa femme et de commencer le parcours du donneur sans le prévenir. Quand est venue l’étape du mélange des sangs, je n’ai plus eu le choix», se remémore le donneur. Son ami finit par accepter. Depuis l’opération il y a trois ans, Frédéric, dont la vie sociale était très affectée par la maladie, a retrouvé un CDI et acheté une maison. «Il y a plein de choses au-delà de la greffe en elle-même qui font que vous redonnez un bout de vie à quelqu’un, vous redonnez vie à une famille entière», s’enthousiasme Cyril, sans regret.

Mieux abordé dès l’école

Dans ce long processus du don et de son acceptation, médecins et infirmiers jouent un rôle essentiel. En plus des actes médicaux, ils s’acquittent de l’accompagnement psychologique des familles confrontées au décès d’un proche. «On les aide à prendre la bonne décision dans le cas où la personne morte n’a pas clairement signifié sa volonté», explique Jean-Christophe Venhard, responsable de la coordination des prélèvements d’organes au CHRU de Tours. Ce qui signifie, pour lui, ne forcer personne, même si, en France, tout le monde est présumé donneur – à moins de s’être inscrit sur le registre national des refus ou d’avoir fait part de son souhait aux proches.

«Il existe des situations dramatiques, comme la perte d’un enfant de 6 ans, où les parents sont incapables de verbaliser une autorisation, relate le médecin. Nous, on respecte : on ne peut pas résumer la loi française à : “Il n’est pas inscrit, on prélève !” Ce serait contre-productif, en plus de ne pas être éthique.»

Plus que changer la perception du corps et de la mort, c’est une discussion qui doit s’engager dans les familles ou entre proches.«Parler de sa volonté peut rendre service à tout le monde», résume Jean-Christophe Venhard. Dans son service, il constate tous les jours que les familles acceptent plus facilement de donner les organes quand elles ont la certitude de respecter la volonté du mort.

Pour le collectif Greffes +, le sujet du don d’organes devrait par ailleurs être mieux abordé dès l’école. «On a retiré le seul programme scolaire sur le sujet en 2015, qui était destiné aux élèves de troisième», dénonce Pierre Lemarchal. Les associations s’invitent parfois dans les classes, mais il n’y a rien d’établi. «On aimerait rendre les élèves responsables plutôt que de les informer ponctuellement», milite-t-il. S’ils prennent conscience qu’ils peuvent sauver des vies, les adolescents ouvrent parfois le dialogue avec leurs parents : «Cela les amène à dire leurs intentions lorsqu’ils rentrent le soir à la maison, en plus de sensibiliser le reste de la famille.»

Coucher sa gratitude sur papier

Dans la famille de Lucien Petitjean, 65 ans, le don d’organes est dans tous les esprits et presque tous les corps. Sur six frères et sœurs, ils sont cinq à souffrir d’une polykystose rénale, maladie génétique caractérisée par la formation de kystes au niveau des reins. «Ma première sœur a été greffée il y a vingt ans. Moi en 2013, un frère en 2014. Les deux autres sont décédés car ils n’étaient pas greffables à cause de problèmes cardiaques», raconte Lucien.

Avant sa transplantation, il y a eu l’ablation d’un premier rein en 2011, puis du deuxième un an avant la greffe, en 2012. Et puis l’attente, celle du coup de fil qui mène à la table d’opération et à la délivrance. A l’époque, Lucien n’était pas très branché technologie. Mais «mon père avait acheté un téléphone portable exprès pour être sûr de ne pas laisser passer sa chance», raconte aujourd’hui sa fille Marie.

Contacté un jeudi d’octobre, Lucien part de Haute-Savoie pour Grenoble en ambulance et ressort de l’hôpital avec un rein fonctionnel, celui d’un donneur dont il ne connaîtra jamais l’identité, le don d’organes post-mortem étant soumis à l’anonymat. Grâce à un médecin, Lucien fait néanmoins passer une lettre à la famille. Il avait besoin de coucher sur papier sa gratitude : «Je l’ai écrite avec le cœur. Je ne sais pas si elle est bien arrivée, mais j’ai ma conscience pour moi.»

Pour le collectif Greffes +, cette reconnaissance du donneur et des proches est primordiale, et devrait être améliorée. Dans leur manifeste publié en octobre, les associations souhaitent qu’un courrier du président de la République ou d’un ministre soit envoyé pour chaque don. Ils préconisent également la mise en place d’un lieu d’hommage visible dans les hôpitaux.

Ruban vert

Depuis son opération, Lucien est devenu un militant. «C’est naturel pour moi, si je tombe sur des gens qui hésitent, bien sûr que je vais les convaincre. Celui qui est greffé, par respect pour le donneur et les équipes médicales, il doit défendre cette cause», raconte-t-il. D’autant que du côté des malades, il existe aussi des réticences. Lucien se souvient de celles de ses camarades de dialyse : «L’un d’eux avait peur de l’opération, au point de ne pas vouloir de la greffe. Je lui ai parlé de mon expérience, dit qu’il fallait qu’il arrête ses bêtises ! La vie est bien meilleure que d’attendre la dialyse dans un lit…»

Pour informer et convaincre, Marie, sa fille, a opté pour une communication numérique plus raccord avec sa génération :«Lorsqu’il était gravement malade, je partageais tous les posts et les vidéos sur le sujet.»

Selon Pierre Lemarchal, tous les détails sont importants dans ce combat pour le don d’organe. Notamment une charte graphique commune. «On reçoit tous, dans nos boîtes aux lettres, des tracts en lien avec le don d’organes, des papiers concoctés par des associations différentes où aucun ne ressemble à un autre.» Greffes + souhaite ainsi que le ruban vert devienne un symbole du don d’organes, pour montrer qu’il s’agit d’un enjeu de santé publique, sur le modèle du ruban rouge pour le sida ou du ruban rose pour le cancer du sein. «Il y a des choses très simples à réaliser, assure Pierre Lemarchal. C’est simple, la culture du don.».


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