CHRONIQUE
Le dernier film d’Adam McKay est interprété comme une parabole grinçante de l’incapacité à prendre au sérieux le réchauffement. Mais d’autres crises sont bien plus ignorées des politiques et des médias que celle du climat.
Chronique. Un péril immense menace l’humanité, mais il est accueilli par des ricanements sceptiques, une désinvolture imbécile, des manœuvres dilatoires et, finalement, un « techno-solutionnisme » voué à l’échec. Impossible de ne pas voir dans Don’t Look up, le dernier film d’Adam McKay, une parabole à la fois désopilante et désespérante de la réaction des sociétés occidentales face au réchauffement. Deux astronomes américains, Randall Mindy (Leonardo DiCaprio) et Kate Dibiasky (Jennifer Lawrence), identifient par hasard une comète géante qui fonce droit sur la Terre et entreprennent d’alerter les politiques et les médias ; ils ne rencontrent qu’inconséquence, cécité, cynisme et corruption. Grinçante, la satire force parfois à peine le trait.
Bien au-delà de la question climatique, Don’t Look up donne à voir notre incapacité à prendre au sérieux les catastrophes lentes et invisibles. Tant que la comète n’a pas frappé la Terre, il demeure possible de l’ignorer, de l’éviter du regard. L’actualité scientifique nous rappelle qu’une autre crise se prête bien à l’analogie : celle de la baisse rapide de notre fertilité. Mi-décembre 2021, la revue Nature Reviews Endocrinology publiait une longue synthèse sur le sujet, sous la signature d’une quinzaine de chercheurs d’une douzaine d’institutions européennes.
Le premier auteur, le Danois Niels Skakkebaek (université de Copenhague) est un peu à la fertilité humaine (en particulier masculine) ce que le Randall Mindy de Don’t Look up est à la comète qui se dirige sur la Terre. Au début des années 1990, M. Skakkebaek a été l’un des premiers – sinon le premier – à alerter d’une baisse de la fertilité masculine. Et il a travaillé sur la question trois décennies durant, œuvrant à documenter le phénomène et à en chercher les causes.
Course vers la stérilité
Celles-ci sont notamment à chercher dans l’exposition des populations à une diversité de substances issues de la pétrochimie – plastifiants, pesticides, solvants, ignifuges, cosmétiques, etc. Ces dérivés du pétrole qui interfèrent avec le système hormonal font si intimement partie de la vie moderne qu’ils imprègnent depuis des décennies nos organismes à bas bruit. Les chiffres cités par les auteurs sont éloquents. Entre 1973 et 2011, la concentration en spermatozoïdes dans la semence de l’homme occidental moyen aurait chuté de près de 60 %. Et cette course vers la stérilité s’inscrit dans un tableau général de baisse de la santé reproductive des hommes : très forte augmentation du cancer testiculaire à peu près partout dans le monde, incidence accrue des malformations congénitales de l’appareil reproducteur (hypospadias, cryptorchidie), pubertés précoces, etc.
Au Danemark, écrivent M. Skakkebaek et ses coauteurs, un enfant sur dix naît grâce à une assistance médicale à la procréation. En France, entre un couple sur six et un couple sur quatre ne parvient pas à procréer naturellement au bout d’une année. En moins de deux générations, ce qui était vécu comme exceptionnel est devenu banal.
Comme le rappellent les auteurs, un grand nombre de travaux indiquent que l’omniprésence des produits de la pétrochimie dans l’environnement et l’alimentation est l’une des causes de l’infertilité galopante. De manière bien plus iconoclaste, Niels Skakkebaek et ses collègues suspectent aussi que la chute de la natalité dans les pays occidentaux ne soit pas seulement le fait de facteurs socio-économiques et de choix personnels – rendus possibles par l’accès à la contraception. Peut-être, expliquent-ils, la baisse du nombre moyen d’enfants par femme est-elle déjà partiellement subie, pour des raisons biologiques.
Plusieurs éléments sont apportés à l’appui de cette hypothèse. D’abord, notent les auteurs, les longues séries de données disponibles dans certains pays suggèrent que la révolution du pétrole et la naissance de la pétrochimie, au début du XXe siècle, est associée à un début d’érosion du taux de fécondité, sans que celui-ci soit clairement attribuable à des évolutions socio-économiques. De même, les grossesses non désirées et les avortements sont en forte baisse dans le monde occidental, alors que les techniques de contraception n’ont guère évolué depuis les années 1960 et la généralisation de la pilule.
Désinvolture et cynisme
Aujourd’hui, dans la plupart des pays de l’Union européenne, les taux de fécondité se situent sous le seuil de remplacement des populations, expliquent Niels Skakkebaek et ses collègues. De ce fait, même si une petite part de la tendance à la baisse de ces dernières décennies est liée aux expositions environnementales aux dérivés de la pétrochimie, « des actions réglementaires décisives soutenues par des collaborations scientifiques non conventionnelles et interdisciplinaires seront nécessaires pour inverser le phénomène ».
La crise de la fertilité n’est certes pas comparable à une comète qui fonce sur la Terre, mais elle a quelque chose à voir avec la crise climatique. A l’image des Randall Mindy et Kate Dibiasky de Don’t Look up, les scientifiques et médecins qui donnent, depuis de nombreuses années, l’alerte sur la nécessité de mieux réguler la chimie ont le sentiment de prêcher dans un désert de désinvolture et de cynisme.
Bien plus que le réchauffement, leurs préoccupations – et la santé environnementale en général – sont à peu près absentes de l’horizon mental des responsables politiques. En 2016, dans une tribune au Monde, une centaine de scientifiques de premier plan (dont M. Skakkebaek) appelaient à considérer de la même manière ces deux questions, toutes deux liées à l’addiction de nos sociétés au pétrole – que ce soit comme combustible ou comme matière première des industries chimiques. Leur texte devait être un électrochoc : il n’a eu aucun effet.
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