Par Margherita Nasi Publié le 11 janvier 2022
Les IST connaissent une recrudescence, en particulier chez les moins de 30 ans. Avec la baisse du nombre de dépistages depuis la crise sanitaire, les professionnels s’inquiètent d’un effet boule de neige.
« Salut, Anouk, est-ce que tu es là ? » Quand David, un amour de vacances, écrit à Anouk Perry ce SMS, celle-ci est un peu surprise. Le texto suivant va lui couper le souffle : « J’ai une mauvaise nouvelle : je suis positif à l’IST [infection sexuellement transmissible] chlamydia. Il faut que tu te fasses dépister. Je ne sais pas où je l’ai attrapée, mais je suis désolé si je te l’ai filée. » Le jour même, la jeune femme de 24 ans se rend dans un laboratoire, dont elle repart avec un test urinaire à réaliser le lendemain matin. Le résultat tombe : elle est positive.
« Les IST, je pensais que ça n’arrivait qu’aux autres. Dans mon entourage, on n’en parle pas, ou alors c’est pour rigoler. On trouve ça dégueulasse », se souvient celle qui devient vite obnubilée par une question : David l’a-t-elle contaminée, ou est-ce l’inverse ? Elle contacte ses anciens partenaires, interroge le corps médical. Son enquête devient un podcast baptisé « Qui m’a filé la chlamydia ? », disponible sur la plate-forme Nouvelles Ecoutes. Depuis, elle reçoit de multiples témoignages de jeunes touchés par cette maladie. Anouk Perry a contribué à la libération de la parole sur un sujet aussi tabou que récurrent.
« Les infections à chlamydia et à gonocoque sont en progression depuis le début des années 2000 », explique Florence Lot, de la direction des maladies infectieuses de Santé publique France (SpF). Selon les données de SpF, entre 2017 et 2019, le nombre de diagnostics d’infection à chlamydia a augmenté de 29 %. Cette progression est plus marquée chez les femmes de 15 ans à 24 ans (+ 41 %) et chez les hommes de 15 ans à 29 ans (+ 45 %). Le nombre de diagnostics de gonococcie a augmenté de 21 % sur la même période.
Les données plus récentes, qui portent sur l’année 2020, montrent une baisse du nombre de cas… directement liée à la baisse du nombre de dépistages. D’après le dernier bulletin de SpF, les dépistages des IST bactériennes en centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic ont chuté de 30 % en 2020 par rapport à 2019. Si cette baisse est, en partie, liée à la fermeture de centres lors du premier confinement, l’activité n’a jamais repris comme avant, s’inquiète Florence Lot : « Qui dit dépistage tardif dit diagnostic tardif, et une plus grande circulation de ces infections, avec un effet boule de neige. »
Risque d’infertilité
Ces infections, qui touchent les hommes comme les femmes, se transmettent lors de rapports sexuels non protégés, bucco-génitaux, vaginaux ou anaux. La gonorrhée, aussi appelée « chaude-pisse », est révélée par des douleurs en urinant ou des écoulements au niveau du pénis ou du rectum chez les hommes – elle est généralement asymptomatique chez les femmes. Les signes de l’infection à chlamydia sont assez semblables, mais n’apparaissent que chez une petite proportion des personnes infectées.
Si ces deux IST se soignent par antibiotiques lorsqu’elles sont diagnostiquées rapidement, elles peuvent devenir dangereuses si elles ne sont pas traitées, entraînant des complications comme des douleurs génitales, un risque de grossesse extra-utérine, et peuvent être à l’origine d’une infertilité.
Or, ces infections passent souvent inaperçues. « Les jeunes ignorent tout de ces IST, ils ne connaissent ni les symptômes, ni les complications, ni les traitements, ni les modes de transmission »,regrette Catherine Fohet, médecin, trésorière de la Fédération nationale des collèges de gynécologie médicale. Depuis quelques années, elle diagnostique de plus en plus d’IST bactériennes dans son cabinet de gynécologue. Lorsqu’elle parle à ses patients de la digue dentaire, un carré de latex permettant de se protéger lors des rapports bucco-génitaux, ils font les yeux ronds. « On peut attraper une IST avec un simple frottement. Mettre une capote au moment de la pénétration est insuffisant, mais les jeunes l’ignorent. Sans parler des rapports oraux : qui se protège lors d’un cunnilingus ? », pointe Anouk Perry.
Une enquête menée en 2021 auprès de 2 000 jeunes (en moyenne âgés de 20 ans) par la mutuelle étudiante Heyme montre que le port du préservatif est loin d’être systématique, même lors de la pénétration : 26 % des répondants ne l’utilisent « pas tout le temps », voire « jamais » lorsqu’ils rencontrent un nouveau partenaire.
C’est pourtant le port du préservatif qui avait permis d’éradiquer les infections à chlamydia et à gonocoque dans les années 1980, rappelle Roland Viraben, vice-président du Syndicat national des dermatologues-vénéréologues : « L’arrivée de la PrEP [prophylaxie pré-exposition], le traitement préventif pour les personnes exposées au VIH [virus de l’immunodéficience humaine, responsable du sida], a mis à distance le préservatif. Il a suffi de baisser la garde, d’oublier de rappeler l’importance du dépistage, et ces IST se sont progressivement réinstallées dans le paysage des pathologies. Les jeunes ne se sentent pas concernés. » Selon une précédente enquête Heyme, datant de 2019, un peu moins d’un étudiant sur deux se fait dépister en cas de changement de partenaire et un étudiant sur cinq ne le fait jamais.
« Le vrai sujet aujourd’hui, c’est l’éducation. La médecine scolaire est en crise et l’apprentissage de la santé sexuelle dépend de l’énergie et de la volonté des enseignants. Sans parler des établissements privés, où la sexualité est souvent abordée de façon très moralisante »,regrette Adrien Gantois, maïeuticien en Seine-Saint-Denis, président de l’association Prévention sage-femme. Il a contribué au lancement des Pipelettes, un tchat animé par des sages-femmes, accessible gratuitement et de manière anonyme, pour parler de santé sexuelle.
A terme, l’association souhaite faire des interventions en collèges, lycées, et même dans les festivals, pour parler notamment de prévention des IST, alors que la pandémie de Covid-19 a entraîné une baisse des consultations. « Beaucoup de jeunes ayant eu des comportements à risque pendant la pandémie ne sont pas suivis. Comme ils n’étaient pas censés sortir pendant le confinement, ils craignent le jugement du professionnel de santé s’ils vont consulter », déplore Adrien Gantois.
« Swipe ta chlam »
Pour sensibiliser les étudiants, l’association HF Préventionorganise des opérations de dépistage sur les campus. Avec des résultats édifiants. « Dans certaines facultés, on atteint des taux de 60 % de personnes dépistées contaminées à chlamydia. Ça explose. La crise sanitaire a eu un impact catastrophique sur ce plan-là »,alerte Jérôme André, directeur de HF Prévention. L’accès au dépistage est une des priorités de la Stratégie nationale de santé sexuelle et reproductive, affirme Catherine Fohet, qui a fait partie du comité de pilotage de la deuxième feuille de route 2021-2023 : « Il faut multiplier les lieux de dépistage, les rendre gratuits et accessibles sans ordonnance. »
Dans le centre de santé universitaire de Grenoble, la chlamydia est l’IST la plus récurrente : « En 2019, on avait un taux de positivité proche de 10 %, ce n’est pas anodin. Mais le sujet reste tabou »,constate Lison Neyroud, chargée de prévention santé dans cet établissement. « Rien que le terme “chlamydia” est inconnu. Quant aux modes de transmission, ça reste très flou », pointe Julie Chanseaume, conseillère conjugale et familiale.
En avril 2021, les deux femmes ont organisé une journée de sensibilisation sur les chlamydiae à Polytech Grenoble, appelée « Swipe ta chlam ». Un slogan choisi « pour dédramatiser, montrer que ce n’est pas grave d’en parler », expliquent-elles.
Après avoir passé des mois à enquêter sur les IST bactériennes, la podcasteuse Anouk Perry a appris à relativiser : « Quand j’ai été dépistée positive à la chlamydia, j’avais l’impression de me prendre un tsunami sur la gueule. J’ai été surprise de comprendre à quel point cette infection n’est pas compliquée à soigner : prise à temps, elle est moins embêtante qu’une angine et plus facile à traiter. Pour lutter contre les IST, il faut en parler, et arrêter de les diaboliser. »
L’un des outils les plus efficaces de prévention viendra sans doute de la culture populaire : la résurgence de ces IST chez les jeunes inspire des scénaristes de fiction. La série britannique Lovesick, dont la deuxième saison est sortie en 2020 sur Netflix, raconte les tribulations d’un jeune homme revivant ses liaisons à mesure qu’il contacte ses partenaires pour les prévenir qu’il a une chlamydiose. Et la deuxième saison de la série Sex Education,produite par Netflix, débute avec une épidémie de chlamydia qui secoue tout le lycée fréquenté par les protagonistes.
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