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jeudi 13 janvier 2022

Quand l’urinoir se féminise

Par   Publié le 12 janvier 2022

Avis de tempête dans la cuvette. Des créatrices ont pris le pouvoir sur l’urinoir en créant son pendant féminin. Des toilettes sèches, colorées et ergonomiques qui permettent à leurs utilisatrices de ne toucher à rien.

Marcelle, urinoir pour femme, de Louise Raguet.

On les appelle les petits coins, les cabinets, les W-C, les toilettes ou les latrines, mais quel que soit le vocable, ces lieux d’aisance n’ont guère évolué depuis 1775, date d’un brevet pour système avec chasse d’eau, déposé par l’Ecossais Alexander Cumming. Voilà qu’avec de premiers urinoirs pour femmes la France a commencé depuis quelques mois une révolution des formes et… des usages.

Derrière ces toilettes sèches se cachent deux créatrices aux parcours très différents. Il y a Louise Raguet, étudiante à L’Ecole nationale supérieure de création industrielle (Les Ateliers), qui, pour son diplôme obtenu en 2019, conçoit l’urinoir Marcelle, permettant aux filles d’uriner en position squat, soit semi-accroupie comme dans la nature. Cette jeune chercheuse en biologie reconvertie dans le design, âgée aujourd’hui de 31 ans, veut allier combat féministe et écologie, « questionner le fonctionnement des toilettes actuelles avec leurs files d’attente interminables côté dames et permettre le recyclage des urines au féminin, ce qui n’était pas envisagé jusqu’ici ».

A peine diplômée, elle reçoit des propositions et la voilà qui vend ses premières créations, qui seront notamment installées dans l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul, à Paris, transformé temporairement en lieu de partage dit Les Grands Voisins.

Il y a aussi Nathalie des Isnards, 48 ans, ex-directrice des ressources humaines dans l’industrie, qui fonde en 2017 la start-up malicieusement baptisée madamePee (de l’anglais to pee,« uriner »), autour d’une « urinoire féminine » qu’elle brevette l’année suivante. « L’idée m’en est venue en tant qu’usagère », assure-t-elle. Dès le départ, elle s’entoure de designers, mais aussi d’ergonomes et de sociologues, car « sur ce sujet intime, la parole n’est pas aisée, il faut faire s’exprimer les réels besoins des femmes ». On convient aussi de féminiser le nom du produit mis au point, « parce que la définition de l’urinoir, dans les dictionnaires, ne se réfère qu’aux hommes », précise l’énergique autoentrepreneuse.

MadamePee, urinoir créé par Nathalie des Isnards, ici au festival Peacock Society, à Choisy-le-Roi (Val-de-Marne), en septembre 2021.

De ces deux approches naissent des urinoirs au féminin, du jamais-vu. Une cuvette très étroite en Inox peint (beige et orange), fabriquée par une chaudronnerie de Troyes pour Marcelle. Une forme plutôt géométrique façon bec de pélican, en aluminium et polyéthylène recyclable, avec un retour à l’avant pour éviter les éclaboussures, pour madamePee.

Les usagères n’ont besoin de toucher à rien, critère primordial car la plupart d’entre elles adoptent, hors de chez elles, une succession de stratégies de contournement qui prend beaucoup de temps : ne toucher le verrou qu’avec leur manche, ne surtout pas s’asseoir sur la cuvette ou la recouvrir de papier, etc. Dans les deux cas, la cuvette est un peu basse et il n’y a pas de chasse d’eau : l’urine est recueillie dans une cuve, direction le tout-à-l’égout ou bien les champs, comme engrais.

Star du concours Lépine

« Les confinements successifs, notamment en France avec la fermeture des bars et des restaurants  solution de repli traditionnel pour les femmes – ont confirmé l’intérêt de l’urinoir au féminin », fait remarquer Nathalie des Isnards, qui, après les festivals de musique Hellfest en Loire-Atlantique ou Solidays dans la capitale et des événements comme Paris Plage, a exporté sa formule du Portugal à la Belgique, en attendant ce printemps le Canada et la Côte d’Ivoire. De son côté, Louise Raguet cherche un ou une associé(e) pour développer la commercialisation de sa « Marcelle », qui, à l’été 2021, trônait au festival We Love Green, ou sur la péniche culturelle Le Barboteur, à Paris. Toutes deux ont dessiné et breveté leurs pictogrammes, clairement explicites quant à la posture à adopter devant la cuvette, nouveaux usages obligent.

Toutes ces innovations chahutent le marché peu original des sanitaires. A Bordeaux, on teste des urinoirs madamePee dans un lycée, afin de lever les craintes en termes d’hygiène qui conduisent une majorité de jeunes filles à se retenir d’aller aux toilettes à l’école.

A Rennes, après Toulouse, on expérimente de drôles d’urinoirs collectifs féminins en forme d’hélice, brevetés fin 2017 sous le nom de Lapee, par un jeune duo d’architectes, l’un danois, l’autre française.

Ces toilettes sèches, star du concours Lépine en France en 2019, ne comportent pas de portes – seule la tête dépasse – et accueillent trois filles d’un coup dans son cercle de plastique rose bonbon. Il s’agit de permettre un pipi express : en trente secondes, au lieu de trois minutes en moyenne dans des toilettes fermées. La ville de Copenhague a décidé de les installer dans ses parcs et jardins durant la belle saison, de juin à septembre. « Dans l’espace public, le manque de sanitaires où l’on se sent autorisée à entrer est criant. On habitue les filles très jeunes à se retenir, alors que faire pipi, c’est naturel et cela devrait être simple », martèle Gina Périer, 27 ans, cofondatrice de la marque Lapee.

Lapee, urinoirs collectifs féminins.
Des toilettes Lapee, au Roskilde Festival (Danemark), en 2019.

Même JCDecaux qui fête les quarante ans de ses Sanisettes – « les premières toilettes universelles, unisexes et autonettoyantes », selon Albert Asseraf, directeur général communication et nouveaux usages – a révisé sa copie. Pour rassurer les femmes qui répugnaient à les utiliser, on a fait entrer la lumière du jour par un oculus dans le toit, et ajouté un poussoir d’urgence, visible dès l’entrée.

Et depuis 2019, des urinoirs pour messieurs ont été accrochés au dos d’une cinquantaine de Sanisettes à Paris (notamment au Trocadéro et à la tour Eiffel), mais aussi à Marseille, Bayonne, Berlin ou Düsseldorf, en Allemagne. Il s’agit « de libérer davantage la cabine pour les personnes en fauteuil roulant et pour les femmes et les enfants », explique le designer Patrick Jouin, qui a signé toutes ces adaptations. L’urinoir ne dispose pas d’eau, mais de gel hydroalcoolique, et se cache derrière un joli drapé vert chêne, comme la Sanisette.

L’« urinoire » féminine de madamePee n’est pas restée célibataire longtemps. A la demande des loueurs de sanitaires, une version masculine a vu le jour. « Des festivaliers se rendaient trop souvent chez les filles, arguant préférer, eux aussi, un minimum d’intimité », explique Nathalie des Isnards. Ainsi est née misterPee, une cabine aux portes battantes façon saloon, habillée de noir quand celle des filles est rouge vermillon. On a pu voir les deux parader dans des mariages.


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