par Elsa Maudet
Aux «Champs-Elysées», la matinée démarre en douceur. Dans cette unité de vie de l’Ehpad de l’hôpital gériatrique Les Magnolias, à Ballainvilliers (Essonne), un monsieur en charentaises pédale face à un petit écran qui lui indique la pression exercée par chacune de ses jambes, sous la supervision d’une éducatrice sportive, pendant que deux autres résidents en fauteuil roulant font du coloriage, dans la salle commune. A l’autre bout de l’unité, quatre femmes participent à un atelier de jeux de mémoire et l’on aperçoit deux hommes papoter dans une chambre.
«On a un respect du rythme de vie, chacun se lève à l’heure qu’il veut», indique Ophélie Lembret, responsable du Pôle Europa, le petit nom de cet Ehpad associatif. Le petit-déjeuner est servi, en salle commune ou dans la chambre, quand chacun le souhaite. Odette Montelet, bientôt 88 printemps, émerge naturellement à 8h15, le corps réglé comme une horloge. «Avec mon mari, je n’ai jamais eu mon café au lit, mais là je l’ai», sourit cette dynamique femme aux courts cheveux blancs, ex-salariée des laboratoires pharmaceutiques Delagrange.
Dans cet Ehpad adossé à un hôpital et à une unité de soins longue durée, la sortie des Fossoyeurs a secoué les professionnelles. Ce livre-enquête, sorti mercredi, révèle les dérives du groupe privé Orpea, leader mondial des hébergements pour personnes âgées dépendantes. Son auteur, le journaliste Victor Castanet, a recueilli de nombreux témoignages et documents montrant comment l’optimisation extrême des coûts a mené à de la maltraitance, tant des résidents que des personnels. Orpea conteste les accusations, qu’il qualifie de «mensongères, outrageantes et préjudiciables». Son directeur général, Jean-Christophe Romersi, est convoqué mardi par la ministre déléguée à l’Autonomie des personnes âgées, Brigitte Bourguignon.
«Il faut prendre soin de ceux qui soignent»
«Pour nous, ce genre de publicité est dur, parce qu’on lutte chaque jour contre ça, et ça fait tache d’huile», souffle la médecin Céline Maisonobe. «Ça met en lumière certains dysfonctionnements du monde privé lucratif, mais des établissements non lucratifs, comme nous, sont mis dans le même panier. Ça jette le doute», craint pour sa part Isabelle Agostino, directrice des soins de l’établissement.
Le livre les Fossoyeurs donne l’exemple d’un luxueux établissement de Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine) où les résidents n’ont droit qu’à trois couches par jour, qu’importent leurs besoins réels, qu’importe qu’ils aient une gastro. «Ça paraît inconcevable…hallucine Isabelle Agostino, il y a des leviers pour réussir à faire fonctionner des établissements de façon adaptée.»
Aux Magnolias, tout est pensé pour assurer le bien-être collectif. A commencer par celui des professionnelles. «Il faut prendre soin de ceux qui soignent», défend Isabelle Agostino, dans les murs depuis quinze ans. «J’ai fait des vacations ailleurs, ça n’a rien à voir. Ici, on n’est pas là à courir après des protections, des appareils, assure Judith Lufuankenda, aide-soignante de 38 ans dont sept aux Magnolias. On fait cinq à six toilettes par jour en moyenne, donc on a le temps de bien accompagner nos résidents. Et si, le matin, un résident veut dormir ou n’a pas envie, on peut reporter la toilette à l’après-midi.»
«Vous êtes ici chez moi»
En juin 2019, l’établissement a obtenu le label Humanitude, attestant de ses pratiques bientraitantes. Les professionnelles sont dûment formées et ont droit à des piqûres de rappel régulières pour ne pas perdre les bons réflexes. «Il faut toquer à la porte et attendre que les gens répondent, illustre la directrice des soins. Il n’y a pas de raison qu’en Ehpad, qui est leur domicile, on n’attende pas qu’ils répondent.» Dans les couloirs, la plupart des portes des chambres portent un petit écriteau indiquant «vous êtes ici chez moi, merci de frapper avant d’entrer».
Un effort est par ailleurs mené sur la «verticalité», c’est-à-dire la marche et la position debout. «Pour aller du lit à la salle de bains, par exemple, on va faire marcher le résident quelques pas au lieu de prendre le fauteuil roulant, afin de conserver sa motricité. Ça va plus vite en roulant qu’en marchant, mais ce n’est pas l’objectif», dit Isabelle Agostino.
Certes, l’Ehpad met le paquet pour assurer de bonnes conditions de vie et de travail. Mais «on n’est pas à l’équilibre économiquement. L’établissement est déficitaire de façon structurelle, à hauteur de 5% de son chiffre d’affaires, alors que toutes nos places sont toujours occupées», indique le directeur de la structure, Stéphane Grazzini. L’Ehpad étant 100% éligible à l’aide sociale, son prix journée est plafonné à 80 euros, mais peu de résidents payent autant. Bien que déficitaire, il peut maintenir son niveau de prestation car il est adossé à un hôpital et profite d’un budget globalisé. Pour le directeur, Orpea a certes «une philosophie qui n’est pas là [leur]»,mais le problème est plus large, qui touche à l’intérêt porté au grand âge : «Les pouvoirs publics ne nous donnent pas assez de moyens.»
Dîner dans la chambre
Avec ses dessins et sa peluche de bonhomme de neige, la porte de la chambre d’Odette Montelet se remarque. Et donne une idée de ce qui attend le visiteur à l’intérieur : des murs couverts de photos de famille et de canevas, des étagères remplies de flacons de parfum miniatures et de bibelots. «J’habite là, je passe beaucoup de temps dans ma chambre, alors j’essaye d’avoir un intérieur où je me sente bien», justifie cette férue d’activités manuelles. C’est elle qui a pris la décision, il y a onze ans, de venir vivre ici. «Si je n’avais pas été satisfaite, je ne serais pas restée», lâche-t-elle comme une évidence.
Un bémol, toutefois : les repas. «On en a marre de la volaille !» lance-t-elle à Isabelle Agostino. Laquelle lui répond : «Il faudra le dire à la prochaine commission de restauration.» Ce rendez-vous régulier permet aux résidents de faire part de leurs remarques sur le contenu des repas et de pousser, quand c’est possible, à des changements. Chaque mois, Odette Montelet reçoit la liste de tous les menus prévus pour les quatre semaines à venir et peut signaler ce qu’elle souhaite voir changer. En haut de sa fiche, une indication peu courante : elle n’aime pas le chocolat.
Mauricette Salfati, 80 ans,, s’est déjà émue en commission de restauration de la quantité de nourriture jetée. Elle réitère sa critique auprès de la directrice des soins. «C’est la contrepartie du fait de ne pas rationner les repas», nous indiquera l’intéressée. Mauricette Salfati prend ses déjeuners dans la salle commune mais ses dîners dans sa chambre. Elle ne voudrait pas rater Plus belle la vie.
Ses propres parents ont fini leurs jours en Ehpad, et pas dans de très bonnes conditions, pense-t-elle. «Une fois qu’on était partis, je ne sais pas ce qui se passait…» Sa mère est décédée à 5 heures du matin sans que personne ne s’en rende compte. Craignait-elle alors sa propre entrée en Ehpad ? «J’avais confiance en mes enfants, je savais qu’ils me trouveraient quelque chose de bien», répond-elle. Bien sûr, elle aurait préféré rester chez elle. Mais ici, elle a beaucoup d’activités, ses enfants lui rendent souvent visite, l’emmènent au restaurant… Un lien avec l’extérieur primordial pour assurer le bien-être des résidents.
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