par Julie Vayssière
Depuis ses premiers pas à l’école, à Courbevoie (Hauts-de-Seine), la scolarisation d’Ambrine, 8 ans et autiste, s’est vite muée en parcours du combattant. Elle bénéficie d’une notification MDPH (maison départementale pour les personnes handicapées), lui donnant droit à quinze heures d’accompagnement pour un temps scolaire complet de vingt-quatre heures par semaine. Le reste du temps, Ambrine est à la maison avec sa mère, en déscolarisation partielle.
Fin janvier 2020, pour raisons personnelles, son accompagnante d’élèves en situation de handicap (AESH) décide de mettre fin à son contrat. Elle n’est pas remplacée. «Vu qu’il n’y avait plus d’accompagnement, l’encadrement scolaire a commencé à nous dire qu’Ambrine ne pouvait plus venir tout le temps car elle s’adaptait mal à la classe», explique Abdelhakim Berboucha, son père. La direction de l’école lui recommande de ne scolariser Ambrine qu’une heure par jour, de 8 h 30 à 9 h 30 chaque matin. «Ça a été un choc pour nous, déplore Abdelhakim Berboucha. Ambrine était devenue l’élément perturbateur de la classe.»
Recrutement aux frais des parents
Pour pallier les carences de l’Education nationale, les parents d’Ambrine sont forcés de chercher eux-mêmes une accompagnante. La famille se tourne alors vers une association pour la scolarisation des enfants handicapés implantée dans les Hauts-de-France, appelée Cap Handi Cap. Grâce à un contrat Cesu (chèque emploi service universel), dont les dépenses d’emploi sont remboursées à 50 % en crédits d’impôt, les parents d’Ambrine embauchent une personne qui travaille déjà pour la mairie de leur commune et qu’ils connaissent bien. A hauteur de quinze heures par semaine.
Comment ce recrutement est-il possible ? Par une convention signée avec une association, qui permet à des personnels en libéral d’entrer dans l’école. En Ile-de-France, par exemple, une vingtaine d’entre elles bénéficie de cet agrément. L’AESH n’agit plus sous les directives de l’enseignant·e mais sous celles d’un·e psychothérapeute qui travaille avec l’association. Elle se charge aussi de la formation de l’AESH et la convention lui permet de se rendre dans la classe observer le travail de l’accompagnant·e. «Cette pratique a cours depuis quinze ou vingt ans et concerne surtout les associations pour la scolarisation d’enfants présentant des troubles du spectre autistique (TSA) ou un TDAH, un trouble déficit de l’attention /hyperactivité», explique Stéphanie Valentini, la présidente de Cap Handi Cap.
Un meilleur statut en libéral
Gladys est AESH dans le Val-de-Marne. L’année dernière, elle a travaillé en tant qu’accompagnante privée, avec deux enfants en école Montessori, et un adolescent autiste en classe de troisième. Selon elle, «la demande en AESH privées est forte». Ces dernières sont aussi mieux payées, «en moyenne 15 euros net de l’heure, alors que celles sous contrat avec l’Education nationale sont à peine payées le smic. Dans l’Education nationale, on conseille aux AESH de ne pas être en contact avec la famille. Elle peut être nommée et ne rien connaître au trouble ou à la pathologie de l’enfant. En libéral, elles ont des profils bien mieux formés, on est aussi supervisées, on prend le temps de connaître l’enfant». A condition, bien sûr, que les familles aient les moyens d’un tel accompagnement.
Cette pratique, légale, est prévue par le code de l’éducation. Mais la loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées pose le droit à l’éducation pour tous les enfants, quel que soit leur handicap, comme un droit fondamental. «Si ce droit est bafoué, la responsabilité de l’Etat est engagée et celui-ci a l’obligation de permettre la scolarisation», analyse Me Valérie Piau, avocate en droit de l’éducation. Plutôt que de souffrir l’attente d’une procédure juridique, les familles les plus aisées se tournent vers un recrutement privé.
«Trous de l’action publique»
D’où vient cette pratique ? Pour le sociologue Pierre-Yves Baudot, spécialisé dans les politiques du handicap, Sophie Cluzel, avant de devenir secrétaire d’Etat aux Personnes handicapées, dirigeait la Fnaseph (fédération nationale des associations au service des élèves présentant une situation de handicap) qui, jusqu’en 2003, fournissait des AVS (ancien nom des AESH) aux parents et aux écoles. «Ce dispositif a ensuite été nationalisé pour devenir progressivement ce que nous connaissons aujourd’hui. Le déficit de couverture des besoins en AESH et l’encore trop faible recrutement de ces personnels laissent forcément une place au marché : des parents qui ont besoin d’une AESH peuvent se résoudre à payer pour combler les manques et les trous de l’action publique. On imagine alors facilement les inégalités qui peuvent découler de cette privatisation.» Situation dénoncée par le député insoumis François Ruffin lors d’une intervention sur «l’école inclusive low cost» à l’Assemblée nationale le 21 janvier.
Alors que les AESH se mobiliseront auprès des enseignants ce jeudi pour la reconnaissance de leur statut et des revalorisatons salariales, du côté du cabinet de Sophie Cluzel, on assure que ce recours au privé «n’existe plus»: «Toutes les AESH sont rémunérées par l’Education nationale.» Sans en démordre, y compris lorsque nous présentons des preuves de rémunération provenant des parents. En Ile-de-France en 2021, Stéphanie Valentini affirme avoir permis le recrutement d’une centaine d’AESH pour sa seule association, dont seulement une dizaine a finalement été financée par l’Education nationale.
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