par Olivier Lamm
Passé le titre français (en VO, C’mon C’mon), navrant, il faut se fader une séquence d’introduction très «cringe», comme on dit désormais, scabreuse à force d’apprêt esthétique, comme calculée par un logiciel dédié qui aurait intégré, recyclé, systématisé tous les signes de reconnaissance du film américain indépendant à succès depuis le début des années 2000, en noir et blanc, comme il se doit. Un bel homme de la bonne gauche du nom de Johnny (Joaquin Phoenix, bedonnant de nouveau dans sa chemise Cos, après la parenthèse rachitique de Joker), journaliste à la première personne dans un podcast à succès, vole de ville en ville interroger la jeunesse multiculturelle, favorisée ou défavorisée, sur ses espoirs et inquiétudes quant à l’avenir qui vient.
Autosatisfaction mélancolique
Sur un tapis de néoclassique gnangnan (composé par les frères Aaron et Bryce Dessner), les banalités fusent, entrecoupées de plans de coupe de Johnny dans ses chambres d’hôtel, entre autosatisfaction mélancolique et grosse dépression sous roche, et on a peur, très peur, de ce que semble être devenu le branché Mike Mills, clippeur, écrivain, chouchou de l’intelligentsia indie mais auteur d’un excellent documentaire sur la naissance de la dépression au Japon, Does Your Soul Have A Cold?, il y a quinze ans, et d’une enfilade de longs d’inspiration autobiographique tout à fait charmants.
Fort heureusement, ce monceau de joliesse qui, après cinq ans de Netflix en perfusion, ne fait plus illusion sur personne, n’était déployé que pour être renversé. Se met en place, dès la visite de Johnny à Viv (la revenante Gaby Hoffmann), sa sœur dont il s’était éloigné depuis le décès de la maman, un assez réjouissant programme de désintégration, par touches très successives, de cette existence qui semblait se juger accomplie et satisfaisante. Viv a un fils de neuf ans, Jesse, dont elle ne pourra pas s’occuper quelque temps, pour venir en aide à son père, en proie à la maladie mentale. Celui-ci devra vivre avec son oncle, cet inconnu, et foutra suffisamment le dawa dans son quotidien pour remettre un peu d’ordre dans sa pyramide des priorités, quand Johnny apprendra en retour à son neveu à gérer l’atroce chaos agité par son père, et celui de sa propre folie qui ne manquera pas de venir, c’est notre lot à tous.
Angoisses d’abandon
C’est tout ? C’est tout et c’est déjà pas mal, tant Phoenix et le petit Woody Norman (né au Royaume-Uni, 10/10 pour l’accent californien) sont crédibles en semi-famille sur un volcan, tant Mills surtout, grand connaisseur de cette chose qu’on appelle la névrose, a du talent pour en injecter à chaque coin de réplique, subrepticement. Si bien qu’on oublie souvent tout ce qui clinque, la musique et le noir et blanc, pour apprécier ce qui s’agite derrière, sorte d’oscillation incessante entre une vision lumineuse de l’enfance et son envers terrorisant, remugle psychanalytique à ciel ouvert fleurant le pire de l’âme humaine en formation, bouillasse d’envies suicidaires spontanées et d’angoisses terminales d’abandon. Touché, comme disent les Anglo-Saxons.
Nos âmes d’enfants de Mike Mills. Avec Joaquin Phoenix, Gaby Hoffmann… 1 h 49.
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