Par Violaine Morin Publié le 25 janvier 2022
REPORTAGE A l’heure où Eric Zemmour, candidat à la présidentielle, dénonce « l’obsession de l’inclusion », le collège Pierre-et-Marie-Curie, dans la Somme, essaye que les enfants handicapés vivent au maximum l’expérience du collège.
« Si je n’étais pas en ULIS, je n’y arriverais pas. » Lou, 14 ans, se décrit comme « multidys » : elle souffre de plusieurs troubles de l’apprentissage comme la dyslexie. Elle est scolarisée dans une unité localisée pour l’inclusion scolaire (ULIS) du collège Pierre-et-Marie-Curie, à Albert (Somme). L’ULIS, c’est d’abord une salle de classe et une petite salle d’activités adjacente, qui regroupe des enfants de la 6e à la 3e. Tous ont en commun d’être porteurs de handicaps – même si les niveaux de difficulté varient d’un enfant à l’autre – qui les empêchent de suivre un enseignement « ordinaire » sur 100 % du temps scolaire.
Les ULIS, qui ont changé plusieurs fois de nom (on les appelle ainsi depuis 2015), se sont développés après la loi de 2005 créant le droit à la scolarisation pour les enfants handicapés. Ils sont au cœur de la polémique déclenchée, le 14 janvier, par Eric Zemmour, candidat d’extrême droite à l’élection présidentielle, qui a fustigé « l’obsession de l’inclusion » en réclamant que ces enfants soient pris en charge dans des centres spécialisés.
Mais pour Lou, qui est en 3e une partie du temps, ce dispositif a tout changé. La jeune fille, qui s’apprête à passer son brevet et voudrait travailler dans le secteur de la petite enfance, y est scolarisée depuis la 5e. « En 6e, ç’a été la dégringolade, se souvient Déborah Philippe, sa mère. On mettait des heures à faire les devoirs, Lou se sentait complètement décalée. » Désormais, tout est plus simple. « On peut revoir des choses que l’on n’a pas comprises en classe, assure-t-elle. Et puis la prof est beaucoup plus disponible. »
Impact essentiel de la « socialisation »
« La prof », c’est Anne Charpentier, professeure des écoles spécialisée. Avec Catherine Camberlin, accompagnante d’élèves en situation de handicap (AESH), elle s’occupe de la classe ULIS à plein temps. Celle-ci compte quatorze élèves, mais quatorze autres sont en attente d’une place – une deuxième unité devrait ouvrir à la rentrée de septembre.
« Le principe de l’ULIS, c’est de s’adapter à chacun, explique Anne Charpentier. On n’a pas forcément besoin de connaître leur diagnostic médical, l’important étant de les mettre en situation d’apprentissage pour savoir de quoi ils ont besoin. Ce qui ne marche, évidemment, que s’ils sont en petit effectif. »
Ses élèves, âgés de 11 à 14 ans, ont en général un niveau scolaire plus faible que les autres enfants du même âge. En théorie, leur degré d’inclusion dans la classe « ordinaire » est indexé sur leur handicap. « Vous avez par exemple Inès, en inclusion quasiment tout le temps, indique-t-elle en désignant deux élèves côte à côte, alors que sa camarade est en ULIS douze heures par semaine. » En pratique, certains sont inclus dans des cours qu’ils ne sont pas tout à fait capables de suivre. Anne Charpentier pense notamment à une élève de 3e, qui a insisté pour continuer à assister au cours d’histoire. « C’est très important de continuer à aller dans la classe, même si elle ne donne pas forcément autant de sens au contenu que les autres. »
Si les dispositifs ULIS sont désormais répandus à l’école élémentaire et au collège, ils sont plus rares au lycée. Ce qui est, à première vue, plutôt logique : plus les apprentissages se complexifient, moins les élèves en situation de handicap peuvent suivre les cours « ordinaires ». Au collège Pierre-et-Marie-Curie, à Albert, on constate les bénéfices de l’inclusion sur la « confiance en soi » et la « socialisation », qui favoriseront leur insertion, plus tard, dans une vie d’adulte.
Du côté des enseignants, pourtant, l’inclusion est parfois difficile à assumer. Dans ce collège où quatorze élèves devraient être en ULIS, selon les diagnostics de la maison départementale du handicap, le recrutement des AESH en nombre suffisant a « sauvé » l’année mais l’on déplore le manque de formation à la prise en charge du handicap dans les classes « ordinaires ».
« On me demande d’étudier Les Métamorphoses d’Ovide, en 6e, avec des élèves qui ne sont pas lecteurs, et je n’ai pas les outils pour le faire », pointe Anaïs Bonneaud, qui enseigne le français. « Heureusement que l’on peut venir un peu dans l’ULIS pour avoir des clés », ajoute-t-elle. Devant le nombre d’enfants en attente de places en ULIS, le principal a choisi d’utiliser le budget dévolu au soutien scolaire pour rajouter des heures. Un temps sur lequel élèves et enseignants peuvent découvrir le dispositif et apprendre quelques astuces.
« Des progrès spectaculaires »
Tous sont d’accord, en outre, pour dire que « rien ne tiendrait » sans les AESH, qui, de leur côté, pointent la faible reconnaissance de la profession, pour un salaire de 800 euros net par mois. Virginie Belot, accompagnante depuis 2006, est toujours en CDD. « Mais dans ce collège, heureusement, le travail d’équipe fonctionne, ajoute-t-elle. Notre expertise est reconnue par l’équipe pédagogique, qui sait que nous sommes au plus près des enfants. »
Depuis la rentrée 2021, le collège Pierre-et-Marie-Curie accueille une « unité d’enseignement externalisée ». Douze enfants de l’institut médico-éducatif (IME) d’Albert viennent effectuer leur temps pédagogique dans une salle prêtée par l’établissement. Ils ne seront pas en inclusion dans les classes, puisque les IME sont réservés aux enfants dont les handicaps sont trop importants pour permettre une scolarisation, et où le « soin prime sur l’académique », explique-t-on. Le petit groupe bénéficie cependant de la cantine et de la cour de récréation, et peut participer aux clubs du temps méridien, comme la chorale, avec les autres. Cela permet à ces enfants de faire l’expérience d’un grand établissement – et, pour certains, d’envisager ensuite de basculer vers un CAP, espèrent les éducateurs.
« Ici, c’est beaucoup mieux, on peut jouer au futsal tous les quinze jours avec les autres », confirme Julien, 13 ans. Autour de la table, ses copains – ils sont tous âgés de 12 ans à 14 ans – approuvent vigoureusement. Leur éducatrice spécialisée, Marion Lagache, précise que certains enfants du groupe souffrent de « déficiences intellectuelles » ou de « troubles autistiques » qui expliquent qu’ils n’aient pas été orientés vers l’école « ordinaire » via le dispositif d’inclusion ULIS. « L’adaptation n’a pas été facile, et un de nos élèves a dû repartir à l’IME, commente l’éducatrice. Mais ça reste un espace très protégé, dont il est important de sortir pour ceux qui le peuvent. Depuis septembre [2021], ceux qui viennent au collège ont d’ailleurs fait des progrès spectaculaires, dans les apprentissages scolaires et en termes d’épanouissement. »
Quand on est porteur de handicap, le regard des autres est-il difficile à supporter ? « Franchement, on était un peu stressés au début, confirme Kenzo, 13 ans, qui arbore un sweat-shirt et une écharpe bleu ciel de l’Olympique de Marseille. Mais finalement, ça va. » Ethan pense avoir été « regardé différemment » au début, mais ajoute que cette sensation a « disparu avec le temps ». « Il y a eu une fois où quelqu’un a dit qu’on était des mongols, à la récré, ajoute Kenzo. Mais je m’en fiche, puisqu’on s’est fait des copains. »
L’inclusion, « c’est normal »
A l’école « ordinaire » aussi, la « différence » est parfois difficile à accepter, plutôt pour les enfants qui la portent que pour les autres. Léa, en 6e, est accompagnée par une AESH pour suivre le cours d’histoire. L’an prochain, si l’ouverture d’une deuxième ULIS se confirme, elle pourra rejoindre le dispositif. « Je n’ai pas très envie d’y aller, assure-t-elle. En ULIS, ils font tout le temps des dessins. Moi, j’ai envie de faire des maths ! » Le fait d’être sans cesse accompagné d’un adulte n’est pas simple. « Cela me gêne un peu », explique l’adolescente. « Je ne veux pas que les autres sachent que j’ai des difficultés. » Alors qu’au tableau, le cours de synthèse sur les cités-Etats de Mésopotamie se poursuit, Léa ajoute, après réflexion : « En fait, c’est vrai qu’on ne m’en parle jamais. Je ne suis même pas sûre que mes copines le remarquent tant que ça. » Son accompagnante, Catherine Laplaud, la rassure : « Tu sais, je pense que c’est surtout dans ta tête. Avoir une AESH, maintenant, c’est bien accepté. »
La confirmation est apportée, dans la cour de récréation, par Suzanne, Camille et Eva, toutes trois scolarisées en 4e. Savent-elles ce qu’est l’inclusion, à quoi cela sert, et pourquoi d’aucuns voudraient la remettre en question ? Pour Suzanne, il n’y a même pas lieu de se poser la question. « C’est normal qu’on aide ceux qui en ont besoin », observe-t-elle, même si elle s’inquiète du « regard » qui pèse parfois, sans doute, sur les élèves accompagnés ou intégrés au dispositif ULIS. « En même temps, est-ce qu’on a souvent entendu quelqu’un dire que les élèves qui ont une AESH sont moins intelligents ? », questionne-t-elle. « Non, mais il y a peut-être des gens qui le pensent », fait valoir Camille, même si l’inclusion, pour ces jeunes filles nées après 2005, « c’est normal ».
« Il y a toujours eu des AESH dans nos classes, depuis la primaire, précise Eva. C’est bien que tout le monde puisse venir à l’école, même si certains ont besoin d’apprendre différemment. Si on était tous pareils, ça ne serait pas drôle. » Ses copines approuvent.
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