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samedi 29 janvier 2022

« Avoir fait des enfants est ma plus grosse erreur » : le regret maternel, douloureux et encore tabou





Par   Publié le 28 janvier 2022

« On peut aimer ses enfants mais ne pas aimer la maternité », rappelle la psychologue Fabienne Sardas. Plusieurs femmes, sollicitées par « Le Monde », racontent leur histoire.

Quand ses enfants lui réclament un câlin, Laura leur en fait. Pas parce que cela lui fait « plaisir » mais parce qu’ils « en ont besoin ». Depuis qu’elle est mère, la jeune femme de 33 ans ne se « reconnaît pas ». Au point, dit-elle, d’avoir « développé une sorte d’alter ego ». Chaque jour, Laura revêt son costume de mère et s’occupe de ses enfants « mécaniquement, en feignant l’enthousiasme », n’éprouvant « aucune joie » à participer à des activités avec eux. Enfermée dans ce rôle qui lui est insupportable, elle « compte les minutes jusqu’à ce que [s]es enfants soient au lit ». La fin d’un tunnel, dans lequel elle s’engagera de nouveau inéluctablement le lendemain matin, perdue au milieu d’un « no man’s land émotionnel ».

Laura, qui aime ses deux enfants, âgés de 2 et 4 ans, regrette pourtant d’être mère. Comme des dizaines d’autres femmes – une centaine au total – qui ont répondu à notre appel à témoignages diffusé sur Le Monde.fr, cette chef de projet dans le marketing ferait le choix de ne pas avoir d’enfant si elle pouvait revenir en arrière. Toutes racontent avoir découvert la maternité comme on ouvre la boîte de Pandore : une succession d’obligations et de devoirs auxquels elles doivent faire face malgré elles, où l’amour, bien présent, ne suffit pas à compenser la perte d’insouciance et de liberté ressentie. Beaucoup disent se sentir « prises au piège »« prisonnières » d’un statut auquel elles ne peuvent échapper.

Car, constate Aradia (le prénom a été changé), 43 ans, que son adolescent de 15 ans soit là ou pas, il est toujours présent « dans [s]a tête » « on peut tout oublier : les soucis, le boulot, mais pas le fait d’être mère, cela fait partie de vous. Etre mère, c’est s’aliéner à vie. »Elle, qui ne s’est jamais imaginée sans enfant et se considère comme une « mère poule », explique que ce sentiment est né avec l’arrivée de son fils, dont elle a été enceinte plus vite qu’elle ne l’imaginait : « Je me suis tout de suite dit que je me mettais un boulet supplémentaire au pied. » Le « boulet », ce n’est pas son fils, dont elle est « si fière » et qu’elle « aime plus que tout », mais ce nouveau statut de mère.

Séparée du père de son enfant depuis que ce dernier a 2 ans, Aradia pointe du doigt la charge mentale qui repose uniquement sur ses épaules, et la pression de la société, qui trouve cela normal. « J’ai parfois l’impression que j’aurais moins de regrets si les responsabilités étaient partagées » de manière égale, avec le père de son fils, reconnaît-elle.

« Ça bouffe la vie, le corps, les nuits »

« On peut aimer ses enfants mais ne pas aimer la maternité, regretter la somme des responsabilités parentales, qui nécessite des sacrifices, une telle dévotion, de telles contraintes », analyse Fabienne Sardas, psychologue et psychanalyste, autrice de Maman blues : du bonheur et de la difficulté d’être mère (éd. Eyrolles, 2016), dans lequel elle dénonce l’idéalisation de la grossesse et de l’arrivée de l’enfant. « Le regret est une émotion lourde, un état de conscience douloureux. La femme peut avoir le sentiment de passer à côté de son identité profonde, à côté du sens de sa vie », ajoute Mme Sardas, qui a travaillé durant treize ans au sein de la maternité parisienne des Diaconesses.

Stéphanie, 46 ans, estime n’avoir « rien de plus précieux que [s]es deux fils, mais rien de plus lourd non plus »

« Je n’ai jamais compris le sens de la maternité », abonde Stéphanie, 46 ans, qui estime qu’« avoir fait des enfants est [s]a plus grosse erreur ». Quand elle dresse la liste des avantages et des contraintes, le résultat est sans appel. Mère seule depuis dix ans de deux garçons de 12 et 15 ans, qu’elle a désirés et dont elle a la garde principale, elle estime n’avoir « rien de plus précieux que [s]es deux fils, mais rien de plus lourd non plus ». Poids de l’organisation, de l’éducation – qu’elle souhaite la meilleure possible. Adolescents, ses garçons comprennent cette ambivalence, assure cette chef d’entreprise dans la communication, qui dit gérer ce sentiment tabou par la parole, que ce soit avec ces derniers ou ses amies, qui comprennent plus ou moins.

Si elle avait su… Sans faire de prosélytisme contre la parentalité, Stéphanie met un point d’honneur à prévenir les femmes de son entourage qui n’ont pas encore d’enfant. Que « chaque étape est si difficile ». Que « ça bouffe la vie, le corps, les nuits…, ça bouffe tout, en fait ». Même si « ça ne se dit pas ». Une femme a osé le dire haut et fort : la comédienne Anémone. « Je n’aurais pas eu d’enfants, j’aurais été beaucoup plus heureuse… », lâche-t-elle dans une interview sur Franceinfo en 2011, pour le plus grand soulagement de Stéphanie, libérée en constatant qu’elle n’était pas seule à éprouver cela, elle qui se sent parfois jugée. La comédienne, morte en 2019, qui a eu deux enfants, confiait aussi dans cet entretien :

« Moi je ne voulais pas d’enfants. Il y avait, il y a toujours, une pression sociale très forte. On vous fait passer le message que si vous n’avez pas d’enfants, vous n’êtes pas une femme. »

Ces mères « se sentent piégées, leurrées, trahies. La promesse de bonheur faite par la société ne semble pas tenue », analyse Fabienne Sardas, rappelant que « nos sociétés patriarcales sont dans leur majorité natalistes et incitatives, faisant admettre aux femmes qu’il est dans leur nature biologique d’être mère ». Et, paradoxalement, « l’accès à l’IVG, les droits des femmes difficilement acquis ont laissé croire que tous les enfants étaient désirés. Ils ont renforcé la pression de la satisfaction qui devait suivre », constate la psychologue.

Les réseaux sociaux, libérateurs de parole

Les près de 2 000 commentaires concernant notre appel à témoignages, relayé sur Facebook, l’attestent : la libération de la parole des femmes sur ce sujet tabou – applaudie et comprise d’un côté, rejetée et conspuée de l’autre – suscite encore un fort clivage, tant le mythe de la bonne mère est encore prégnant. « Les femmes ont peu la possibilité de parler de leurs expériences difficiles, et souvent ingrates. Elles osent le faire en consultation et nouvellement sur les réseaux sociaux », se réjouit Fabienne Sardas, qui voit là un moyen de déculpabiliser les mères.

A la fin de mars 2021, le sujet du regret maternel se hissait dans les tendances sur Twitter, après le témoignage de @DocMarmottine, qui faisait part de sa « désillusion ». Se sont ensuivis de nombreux témoignages, rassemblés sous le hashtag #RegretMaternel. Quelques mois auparavant, à l’été 2020, c’est sur Instagram qu’Ambre, 36 ans, a créé un compte consacré au sujet : @le_regret_maternel, pour y écrire son histoire, et relayer celles d’autres mères. La jeune femme, qui avait « peur de se prendre des tomates dans la figure », a été agréablement surprise par le nombre de messages de soutien ou de remerciements.

Laura regrette la femme sportive et qui travaillait beaucoup qu’elle était ; Aradia, son insouciance ; Stéphanie, sa liberté

Après la naissance de son fils, il y a trois ans et demi, Ambre a connu la dépression post-partum, dont elle est sortie grâce à des antidépresseurs et une thérapie. « La différence avec le regret d’être mère, c’est que la dépression, ça se soigne », dit-elle posément. Le regret, lui, s’enracine dans la peine ressentie face à la perte de sa vie d’avant la maternité. Lors des consultations, Fabienne Sardas a observé pêle-mêle le regret d’une liberté, d’une jeunesse, d’un style de vie, d’une relation de couple, de temps pour soi, d’un quotidien plus léger, d’un corps sans stigmate de grossesse… C’est également ce qui ressort des témoignages reçus : Laura regrette la femme sportive et qui travaillait beaucoup qu’elle était ; Aradia, son insouciance ; Stéphanie, sa liberté.

« La femme est devant un inaccomplissement, voire une abnégation », analyse la psychologue. Pour autant, « ce regret, s’il est verbalisé, partagé, peut être réversible. Il s’agit alors de se défaire de la culpabilité et de la honte ressenties, et de retrouver d’autres modes d’expression de soi, un nouvel élan vital, une confiance en ce qui reste à accomplir », juge Mme Sardas, précisant toutefois que, dans certains cas, notamment la dépression, une prise en charge thérapeutique peut se révéler nécessaire. Laura, très affectée par cette situation, en parle sans complexe avec son conjoint, très à l’écoute. « Mes frustrations s’atténuent une fois verbalisées, la culpabilité prend de moins en moins de place », conclut-elle, estimant qu’elle est une meilleure mère depuis qu’elle se questionne à propos de ce sentiment.

« Le prix à payer est trop important »

« C’est une souffrance terrible à porter », constate, de son côté, Stéphanie Thomas, autrice de Mal de mères (éditions JC Lattès), paru en octobre 2021. C’est l’étude de la sociologue israélienne Orna Donath, Le regret d’être mère (éd. Odile Jacob, 2019), pionnière dans ce domaine, qui l’a poussée à questionner et à défricher les idées préconçues relatives à ce sujet, encore tabou. « Au début de mes recherches, je pensais que ces femmes confondaient le sentiment de regret de maternité avec une dépression post-partum, mais j’ai réalisé très vite que cela n’avait rien à voir », confie la journaliste et productrice à France Culture :

« Pour elles, la vie quotidienne avec leur enfant, c’est comme Sisyphe roulant son rocher. C’est vide de sens. »

Point commun entre ces femmes qui lui ont livré leur parcours de vie, remarque Stéphanie Thomas, une histoire familiale complexe, à différents degrés, et souvent une grossesse et/ou un accouchement difficile, voire traumatique. Et, pour beaucoup, un sentiment de regret immédiat. Ambre, qui a publié sur son compte Instagram une trentaine de témoignages, complète : la charge mentale subie et supportée presque exclusivement par ces femmes, et, dans la majorité des cas, un désir d’enfant pour « faire plaisir au conjoint ou par pression de la société » – deux cases qu’elle coche personnellement – font le lit du regret maternel.

Avec le recul, Nathalie pense qu’elle a fait un burn-out parental, dont il lui a fallu plusieurs années pour se remettre

Selon une étude de l’Union nationale des associations familiales (UNAF), réalisée en 2012 auprès de 11 000 familles, 85 % d’entre elles estimaient qu’avoir un enfant, c’est avant tout fonder une famille ; pour 68 %, c’est aimer et être aimé ; et pour 42 %, c’est une source d’épanouissement personnel.

Pour Nathalie, 35 ans, l’envie d’enfant était « l’aboutissement naturel de la famille ». Mère de deux enfants, de 8 et 9 ans, et également belle-mère d’une fille de 18 ans en garde alternée, elle s’est retrouvée submergée à l’arrivée de son deuxième enfant. Avec le recul, Nathalie pense qu’elle a probablement fait un burn-out parental, dont il lui a fallu plusieurs années pour se remettre. A l’époque, elle occupait pourtant un poste de cadre égal à celui de son mari, dans la même entreprise. « C’est moi qui gérais tout, et cela me paraissait insurmontable. Le prix à payer, surtout pour les femmes, est trop important », dit-elle, avouant éprouver encore du ressentiment à l’égard de son époux.

Aujourd’hui « très au clair » avec ce qu’elle ressent, Nathalie estime que « ça va mieux », grâce aussi à un changement de poste avec plus de responsabilités, qui a un peu rééquilibré la charge parentale. Elle ose désormais en parler à son mari, dans une certaine mesure avec ses enfants, et à ses amies, collègues, notamment celles qui n’ont pas encore d’enfant, qu’elle « pousse à s’interroger sur leur désir d’enfant ». Amandine, elle, n’a pas eu le temps de se poser vraiment la question. A 18 ans, « c’est arrivé », et elle a fait avec, « par amour, pour faire plaisir au papa, qui adore les enfants ». Sauf qu’elle, les enfants, c’est « pas trop son truc », ça l’« ennuie ». Le deuxième est arrivé quelques années plus tard, une maladroite tentative de sauver le couple, à la dérive.

La jeune femme de 26 ans se rend compte du gouffre qu’il y a entre elle et ses copines lorsqu’elle les observe en compagnie de leurs enfants : « Elles sont gagas, ont mille photos d’eux dans leur portable. Pas moi. » « Parfois, j’ai juste envie de changer d’identité, de partir sans jamais revenir », souffle-t-elle. En pleine séparation d’avec son compagnon, Amandine aimerait lui laisser la garde exclusive de leurs enfants, mais elle sait que sa famille ne le lui pardonnerait pas – « tant pis », elle demandera la garde partagée. Alors, « pour ne pas péter les plombs », Amandine s’évade en pensant à son futur projet : reprendre ses études. Et surtout, « faire ce que je veux, quand je veux, sans rien demander à personne ». Au moins une semaine sur deux.


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