par Marlène Thomas
Au milieu des crispations identitaires et enjeux sécuritaires donnant le ton de ce début de campagne présidentielle, les enfants peinent pour l’heure à se frayer une place. Le comité d’action CEP Enfance, regroupant une centaine d’organismes agissant dans tous les domaines de l’enfance, organise ce samedi à Paris un forum afin de pousser dix mesures d’urgences auprès des candidats. Six représentants de ces derniers ont répondu présents (PS, PC, LFI, LREM, LR et EE-LV). Pierre Suesser, pédiatre en protection maternelle et infantile (PMI) et membre de ce comité, revient sur les priorités de ce rendez-vous, s’inscrivant dans la continuité de l’ouvrage Enfance, l’Etat d’urgence. Nos exigences pour 2022 et après (éditions Erès) publié en septembre.
Avoir un ministère de plein exercice permettrait-il de construire une réelle politique de l’enfance ?
C’est l’une des premières idées que l’on met en avant : avoir un ministère de plein exercice qui serait le chef d’orchestre de cette politique aujourd’hui bien trop émiettée. Il faut aussi regrouper l’ensemble de la législation, actuellement éparpillée, en un seul code de l’enfance. Un exemple des difficultés actuelles : lorsqu’on a soumis au secrétaire d’Etat en charge de l’Enfance, Adrien Taquet, une des situations qui à notre avis fait scandale, c’est-à-dire qu’on peut expulser des enfants et leurs familles d’un logement, il n’avait pas de prérogative sur la politique du logement et pas, à notre sens, une position assez influente dans les arbitrages interministériels pour obtenir une mesure visant à les empêcher.
Un autre exemple ? On souffre d’un manque criant de pédopsychiatres, médecins scolaires et de personnels en PMI [Protection maternelle et infantile, ndlr], dont les statuts sont peu attractifs. Là encore, Adrien Taquet n’a pas de prérogatives vis-à-vis de Bercy ou de l’Education nationale en ce qui concerne les médecins scolaires. L’enfance devrait donc, selon nous, être une priorité du prochain président ou présidente de la République et s’incarner dans un ministère pouvant diriger une politique interministérielle avec l’ensemble des autres départements concernés, le tout dans un continuum allant de la naissance jusqu’à leur majorité, voire jusqu’à ce qu’ils soient de très jeunes adultes.
Quel bilan tirez-vous de la politique menée ces dernières années ?
On constate beaucoup de défaillances dans les politiques publiques. Un premier constat, qu’on impute aux politiques menées depuis plusieurs quinquennats, est la question du nombre d’enfants vivant dans des situations de précarité extrêmes, qui a augmenté au cours des vingt dernières années. La France ne se situe pas très bien sur le plan international avec 20% de jeunes vivant dans des familles sous le seuil de pauvreté. Nous demandons un plan Marshall pour lutter contre cette précarité. D’autres défaillances concernent les droits de l’enfant : la France, signataire de la convention internationale du même nom, a été rappelée plusieurs fois à l’ordre. On demande son respect intégral. Par exemple, des enfants, voire des bébés peuvent encore se retrouver, même pour des périodes très courtes, en centre de rétention avec leurs parents. Il y a aussi des refus de scolarisation pour ceux qui n’ont pas d’hébergement fixe. On a évidemment le problème des retards très importants d’accès à un certain nombre de soins dans le champ du handicap, de la santé psychique ou aux aides appropriées en ce qui concerne la protection de l’enfance. Nous pouvons aussi parler du scandale absolu qu’est le non-rapatriement des 200 enfants se trouvant dans des camps en Syrie.
Les services publics connaissent aussi d’importantes difficultés. Un rapport parlementaire de 2019 montre que si le sujet n’est pas pris à bras-le-corps d’ici une dizaine d’années, la PMI aura disparu de la plupart des départements. Le grand délitement de la pédopsychiatrie est également bien connu, la Défenseure des droitsy a consacré un rapport cet automne. Quant à la justice des enfants, elle n’est pas dans une forme olympique, à en croire les magistrats. L’insuffisance des ressources matérielles et humaines dans ces services se recoupe avec le non-respect d’un certain nombre de droits aux soins ou à la protection. La revitalisation des services publics pour l’enfance fait aussi partie de nos doléances.
Quel regard portez-vous sur la place accordée à l’enfance dans la campagne ?
Pour l’instant, on a plutôt le sentiment d’un silence assourdissant. C’est une des raisons pour lesquelles on veut donner de la visibilité à ces enjeux. Les programmes commencent juste à être rendus publics, on n’a pas eu le temps de les étudier en détail, on espère y trouver certaines réponses à nos préoccupations. Mais dans l’expression générale des candidats jusqu’à présent, il y a peu de choses. Emmanuel Macron, bien que pas encore candidat, s’est exprimé en janvier au congrès de la FNARS |Fédération des acteurs de la solidarité] sur la petite enfance. Il a tracé un certain nombre de lignes sur les propositions d’un service public de l’enfance. Nous y sommes favorables. Le bémol est que d’un côté, on entend des propositions comme celle-ci et de l’autre, le gouvernement vient d’éditer un certain nombre de textes législatifs, réglementaires sur les crèches et assistantes maternelles, qui ne vont pas dans le sens de créer de nouvelles places avec des professionnels supplémentaires. L’idée est plutôt d’augmenter une forme de rentabilité de l’accueil en permettant à chaque professionnel d’accueillir plus d’enfants. Il y a un écart entre les annonces et les actes.
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