La thérapie assistée par animal est de plus en plus reconnue et utilisée. La présence d’un animal apaise, réconforte et réduit les angoisses des patients. Mais saviez-vous que c’est le créateur de la psychanalyse lui-même, Sigmund Freud, qui a inauguré cette pratique ? Retour sur une grande histoire d’amour… et de travail, entre un homme et son chien.
Le premier chien à être entré dans la vie de Freud était un berger allemand du nom de Wolf. Le psychanalyste l’avait acquis pour protéger sa fille Anna, alors que les rues de la Vienne des années 1920 devenaient de moins en moins recommandables pour une jeune femme juive. Il se tourne ensuite vers les chow-chows, dont il appréciait particulièrement le profil léonin. Il adopte notamment la chienne Jofi (יפי, « beauté » en hébreu), à laquelle il s’attachera beaucoup et qui l’accompagnera lors de ses séances. De quoi poser les bases de la thérapie assistée par animaux, dont il sera un précurseur. La version institutionnelle de ce qu’on appellera la « zoothérapie » prendra forme en 1953, grâce aux travaux du psychiatre américain Boris Levinson.
Un psychanalyste qui a du flair
Dès le début des années 1930, Freud réalisa que son chien, outre le fait qu’il lui tenait compagnie dans son bureau, pouvait grandement enrichir ses séances d’analyse. Dans ses derniers écrits, il recommande même l’utilisation systématique des chiens en thérapie. Il remarqua que Jofi se comportait différemment en fonction de l’humeur du patient : affectueuse si celui-ci était déprimé, plus distante si elle sentait de la colère ou de l’anxiété. Étant parfaitement indifférente à ce que racontaient les patients, elle adoptait une attitude tout à fait compatible avec les méthodes de l’association libre. Tout autre présence aurait sûrement constitué un obstacle à cette méthode à la base de toute psychanalyse, qui est fondée sur le flot spontané et continu de paroles que déverse l’analysé dans un premier temps, avant de tenter, par la suite, de leur donner un sens. Freud nota également que la présence de Jofi apaisait la plupart de ses patients, notamment les enfants. Dans Totem et Tabou (1913), il avait déjà eu l’intuition de ce lien si particulier entre l’enfant et l’animal : « Les enfants n’ont aucun scrupule à considérer les animaux comme leurs semblables à part entière. Ils se sentent davantage apparentés aux animaux qu’à leurs parents, qui peuvent bien être une énigme pour eux. Dans un premier temps, la ressemblance est du côté de l’animal, la différence du côté de l’adulte ».
Quand l’homme avide montre les crocs
Cette idée d’inclure un animal – qui plus est un chien – dans le panorama d’une séance de psychanalyse n’avait à l’époque rien d’évident. Ceci tient notamment à la frontière traditionnellement établie entre l’être humain et l’animal, sur laquelle Freud revient dans Pour introduire le narcissisme (1924). Elle correspond à la tendance humaine de marquer sa domination sur le monde et de renforcer sa position de « maître et possesseur de la nature », dans une optique cartésienne. Freud explique ainsi : « Au cours de son évolution culturelle, l’homme s’éleva au rang de maître des créatures animales qui l’entouraient. Mais insatisfait de cette domination, il commença à creuser un fossé entre leur nature et la sienne. Il leur dénia la raison et s’attribua une âme immortelle, invoqua une origine divine élevée qui autorisait à rompre le lien de communauté avec le monde animal. » Seule l’âme pure de l’enfant (ou des peuples dits primitifs, explique-t-il) pouvait être capable de considérer l’animal comme son égal, voire une figure alliée. La compagnie du chien dans l’espace thérapeutique, véritable « gardien du cadre », lui apparaît ainsi comme la promesse d’une reconnexion de l’individu avec la vérité originelle de son Moi profond.
Un modèle de vertu à quatre pattes
En définitive, l’amour de Freud pour les chiens tient beaucoup au fait qu’il leur voue une admiration non dissimulée. Là où l’homme se distingue par son ambivalence et son inclinaison à mordre son bienfaiteur et aduler son bourreau, le chien fait preuve d’une clarté de cristal. Dans sa Chronique du 12 mai 1939, Freud explique : « Les chiens aiment leurs amis et mordent leurs ennemis, ils sont en cela bien différents des hommes qui sont incapables d’amour pur et doivent toujours mêler l’amour à la haine dans leurs relations d’objet. » Cette image du chien comme miroir de l’âme humaine ouvre un champ de réflexion immense, que Freud approfondit dans ses ouvrages des dernières années. Dans une lettre du 6 décembre 1936 à son amie et disciple Marie Bonaparte, qui la première eut un chow-chow, Topsy – ce qui incita Freud à non seulement adopter sa chienne de même race, mais aussi à traduire en allemand l’ouvrage que Marie consacra à son propre compagnon à quatre pattes –, Sigmund Freud exprime toute l’intensité de sa relation à Jofi : « Telles sont réellement les raisons pour lesquelles on peut aimer un animal comme Topsy (ou Jofi), avec une profondeur aussi singulière, cette inclination sans ambivalence, cette simplification de la vie libérée du conflit avec la civilisation, conflit si difficile à supporter, cette beauté d’une existence parfaite en soi. […] Un lien d’amitié nous unit tous deux… » À en croire le témoignage du psychiatre (et biographe de Freud) Ernest Jones, Jofi remplaçait même l’horloge de son bureau : elle se redressait, bâillait et s’étirait pour indiquer la fin de la séance. Seule petite entorse à la pureté morale du chien, Jofi avait parfois l’habitude de raccourcir les séances des patients qu’elle n’aimait pas ! À croire que nul n’est parfait…
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