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mercredi 19 janvier 2022

Etude Fracture générationnelle: entre les «boomers» et la «génération climat», moins de divergences qu’on ne le dit

par Martin Duffaut

publié le 19 janvier 2022
L’idée d’une «rupture générationnelle» entre jeunes et seniors masque en réalité des relations plus pacifiées. En témoignent des convergences de préoccupation et une forte solidarité intergénérationnelle en temps de pandémie selon une étude publiée ce mercredi par la fondation Jean Jaurès.

L’expression «OK boomer» a consacré dans le monde entier l’idée d’une fracture entre des générations vieillissantes hors de propos, et des jeunes générations portant à bout de bras les sujets qui comptent, comme l’écologie ou la lutte contre les discriminations. La crise sanitaire a également été le lieu de la mise en scène d’une rupture consacrant des jeunes «sacrifiés» sur l’autel de la protection des plus âgés. Tous les marqueurs semblent donc consacrer l’existence d’une rupture générationnelle opposant les moins de 30 ans aux plus de 60 ans. Mais en y regardant de plus près, ces clivages relèvent plutôt de divergences entre classes d’âge, ne constituant pas pour autant des antagonismes insurmontables. Des convergences existent entre jeunes et seniors sur des sujets de société majeurs comme l’écologie, et la crise sanitaire est le théâtre d’une solidarité renforcée entre générations. C’est le principal enseignement de l’étude sur l’état des relations intergénérationnelles publiée ce mercredi par la fondation Jean Jaurès.

Dépasser l’idée de génération

Cette étude est une commande de Départements Solidaires, des collectivités se voulant cheffes de files dans les solidarités sur leurs territoires. «D’un côté, les départements voyaient que le débat public décrivait les relations entre les plus jeunes et les plus âgés sur le mode de la fracture, explique François-Xavier Demoures, co-auteur de l’étude. Et de l’autre le contact sur le terrain montrait une solidarité intergénérationnelle qui était assez forte, avec des jeunes qui s’engageaient pendant la pandémie pour aider les plus âgés.» Le cœur de ce rapport repose sur une enquête menée auprès de 3 000 personnes, en particulier des «jeunes» (18-29 ans) et des «seniors» (plus de 60 ans).

«Ce qui est mis en scène dans le débat public, c’est cette idée qu’on a un conflit de valeurs qui va poindre sur les questions de laïcité, de discriminations, d’ouverture et d’accueil des immigrés, sur la question du libéralisme des mœurs», décrit François-Xavier Demoures. De fait, l’étude met en avant de réelles divergences d’opinions entre les jeunes et seniors sur ces sujets. Ainsi, 69% des moins de 30 ans considèrent qu’il est normal qu’un couple homosexuel s’embrasse ou se tienne la main en public comme un couple hétérosexuel, contre 44% des plus de 60 ans. Leurs conceptions varient également sur la laïcité. Seuls 10% des seniors considèrent que les pouvoirs publics doivent veiller à ce que chacun puisse exprimer et afficher librement ses croyances religieuses dans l’espace public, alors que c’est une priorité pour 39% des jeunes.

Mais l’étude va plus loin : «La démarche qu’on a choisi d’assumer, c’est de zoomer là où beaucoup voient l’arc des fractures entre les plus âgés et les plus jeunes, pour voir si la réalité est aussi uniforme que l’on voudrait le dire, explique le chercheur. Quand on fait ça, le risque de fracture semble beaucoup moins marqué que le laisse entendre le débat public.» De fait, l’opinion majoritaire quel que soit l’âge est que «les désaccords entre les Français les plus jeunes et les Français les plus âgés sont surmontables», loin d’un conflit entre générations. Un large consensus intergénérationnel sur le fait que «les jeunes d’aujourd’hui ne sont pas plus sacrifiés que les jeunes d’hier» vient confirmer ce diagnostic.

Le mythe de la «génération climat»

Le concept de «génération climat», consacrant les jeunes générations comme les fers de lance de l’écologie face à des générations plus âgées coupables d’inaction, est également démonté par l’étude. «Ce que notre étude montre, c’est que sur la question climatique le niveau de préoccupation est sensiblement équivalent, les seniors déclarent même un peu plus être préoccupés par la question environnementale que les jeunes», avance François-Xavier Demoures. Ainsi, 87% des seniors et 82% des jeunes se disent préoccupés ou très préoccupés par les problèmes environnementaux et leurs conséquences. Les seniors sont également plus nombreux à déclarer des écogestes que les jeunes – ces réponses pouvant néanmoins cacher des différences de revenus, notamment sur la consommation bio ou locale.

Ce «clash générationnel» souvent brandi pour parler écologie cache des clivages plus classiques. «Il y a un effet de positionnement politique qui est très net chez les plus âgés : quand on est de droite on est un peu moins favorable à des politiques contraignantes que quand on est de gauche», schématise le chercheur. «Chez les jeunes, c’est le niveau de diplôme qui joue. Le fait que la famille politique joue moins chez les jeunes, montre que l’écologie est quelque chose qui a infusé chez eux. Dans le gros des clivages, il y a quand même des effets liés au renouvellement générationnel, mais il y a aussi tout simplement le clivage gauche /droite qui est loin d’avoir disparu.»

Selon François-Xavier Demoures, «les seniors sont tout autant prêts que les jeunes à adopter des politiques contraignantes. La seule vraie différence qu’ils ont, c’est leur manière de se projeter dans l’avenir : ils sont moins nombreux que les jeunes à se sentir directement concernés par les effets du changement climatique, mais là ce n’est pas lié à leur génération, c’est lié à leur âge.»

Solidarité intergénérationnelle pendant la crise sanitaire

Utiliser le concept de génération à tort et à travers peut relever d’un «effet de paresse» selon le chercheur. De fait, la génération apparaît loin derrière la famille, le métier, les loisirs ou encore les amis, dans les éléments que les Français déclarent comme constitutifs de leur identité. Parmi ceux-ci, les seniors sont néanmoins la classe d’âge qui accorde le plus d’importance à la génération, et «celle qui perçoit le plus une homogénéité de valeurs parmi les membres de sa génération», selon l’étude.

L’étude met en exergue les formes de solidarité qui ont vu le jour depuis le début de la crise sanitaire, loin de l’image de fracture entre des personnes âgées vulnérables et des jeunes «sacrifiés». Ainsi, environ six personnes sur dix, quelle que soit la classe d’âge, ont déclaré avoir aidé quelqu’un depuis le début de la pandémie. Une grande proportion de cette solidarité déclarée est à destination des parents, grands-parents, enfants et petits-enfants. «Sur les questions de soutien physique, mais aussi psychologique et moral, on sent que les générations se sont soutenues en étant présentes autant qu’elles pouvaient l’être, dans des situations un peu nouvelles et parfois vraiment difficiles», abonde François-Xavier Demoures. «Il y a des niveaux de transfert financier qui ne sont pas négligeables, qui ont toujours été élevés ces vingt dernières années entre les générations les plus âgées et les plus jeunes, et qui ont évidemment continué.»

En somme, le récit, pas si neuf et très fourre-tout, d’un conflit entre générations (se souvenir des Bonbons de Jacques Brel) ne tient tout simplement pas la route : «C’est un peu un sport national de faire la course à la fracture» conclut, ironique, François-Xavier Demoures.


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