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mercredi 19 janvier 2022

Enfants et écrans : une consommation en hausse et des parents souvent démunis

Par   Publié le 18 janvier 2022

Dans les foyers français, les confinements ont bouleversé l’usage des appareils connectés par les plus jeunes. Face à l’augmentation du temps passé en ligne, des parents racontent leur désarroi.

« Tout outil qui nous permettrait de mieux gérer le contrôle parental plus simplement est bon à prendre. Sur certains appareils, les paramètres sont tellement compliqués qu’on finit par abandonner », assure Ghislain Halter. Cet entrepreneur guyanais de 38 ans, père d’un garçon en CE1, voit donc « d’un bon œil » la discussion à l’Assemblée nationale, mardi 18 janvier, d’une proposition de loi visant à encourager l’usage du contrôle parental sur certains équipements et services vendus en France et permettant d’accéder à Internet.

Elaboré par des députés de la majorité présidentielle, le texte entend contraindre les fabricants d’appareils connectés – les smartphones, ordinateurs ou consoles de jeux notamment –, à installer par défaut un système de contrôle parental gratuit et simplifié. Si le texte est adopté, lors de la première mise en service de l’appareil, les parents auront le choix d’activer ou non le dispositif, dont la nature exacte sera détaillée ensuite par décret.

Ghislain Halter se considère « concerné » et « vigilant » quant au temps et aux activités de son fils unique sur la tablette familiale, mais parfois un peu démuni, comme beaucoup d’autres parents. « On a supprimé l’appli YouTube, car il regardait trop de vidéos de gens qui ne font que déballer des jouets », explique-t-il. Il reconnaît que l’utilisation de la tablette mène parfois à des disputes. « C’est difficile de le faire arrêter quand le temps qu’on a fixé est dépassé. » Se pose aussi la question d’avoir une console de jeux à la maison : « Il commence à découvrir le jeu vidéo avec ses camarades qui sont déjà équipés. On est pour l’équilibre. On fait attention, mais on a aussi envie qu’il soit à l’aise avec les outils numériques, pour son avenir. »

Cette harmonie entre usage modéré des écrans, intégration sociale et aisance numérique de leur progéniture, ils sont de nombreux parents à l’appeler de leurs vœux. Et à trouver sa recherche de plus en plus compliquée, en particulier depuis le début de la crise sanitaire.

« C’est la guerre depuis vingt mois »

Jusqu’à l’arrivée du Covid-19, les règles étaient plutôt claires et bien respectées dans le foyer isérois de Farah Guillot, 42 ans, professeure-documentaliste, mère de deux garçons de 16 ans et 15 ans et d’une fille de 13 ans. A l’entrée au collège, ses enfants ne se sont pas précipités pour réclamer un smartphone, se souvient-elle ; la télé est allumée seulement pour des occasions comme une finale de foot, et un seul ordinateur trônait dans la maison. « Les enfants devaient demander un mot de passe pour jouer, et on avait limité le temps de jeu à environ une heure trente ou deux heures par semaine. »

Mais lors du premier confinement, avec la mise en place des cours à distance et du télétravail, il a fallu équiper chacun. « Du jour au lendemain, ils ont donc eu entre les mains un ordinateur personnel à leur disposition dans leur chambre, sans mot de passe pour pouvoir travailler », résume Mme Guillot. Résultat : les temps de connexion de la fratrie explosent. « On a dû serrer la vis et remettre du contrôle parental. » Car, entre deux recherches pour l’école se glissaient des parties de quatre heures du jeu Counter Strike, des discussions personnelles, des vidéos YouTube ou TikTok qui n’avaient rien à voir avec le cours. Aguerris aux enjeux du numérique avec son époux, ils n’en demeurent pas moins décontenancés. « C’est la guerre depuis vingt mois ! »,résume-t-elle ainsi les longs débats et tentatives de filouterie des adolescents qui, eux, « estiment qu’on empiète sur leur liberté et qu’aucun parent de leurs amis n’est aussi strict ».

C’est aussi pendant le premier confinement que l’appétit pour les jeux multijoueurs en ligne du fils de Matthieu Peignoux s’est aiguisé. « Il avait 10 ans et, pour occuper un peu le temps, nous le laissions jouer à Brawl Stars sur la tablette de la maison, c’était un moyen de garder le contact avec ses amis qui jouaient aussi. Puis ça a été Roblox et Minecraft. Très rapidement, les discussions autour de l’autorisation d’utiliser la tablette et le temps passé à jouer sont devenues conflictuelles et sujettes à négociations »,confie ce résident de la Seine-Saint-Denis. « On sait que c’est de sa génération, on essaie de s’ouvrir à ses passions, de comprendre, mais ce n’est pas simple. La pratique se heurte souvent à nos principes », constate-t-il aussi, faisant par ailleurs remarquer « qu’on ne donne pas toujours l’exemple, rivés sur nos téléphones ou en télétravail ».

Virginie (qui n’a pas souhaité donner son nom de famille) élève seule son fils de 12 ans, « ventousé à ses écrans depuis deux ans »,et se sent « dépassée » face à ses humeurs. « Il passe d’écran en écran. Quand je lui dis d’arrêter de jouer sur sa console, il prend son téléphone pour regarder des vidéos TikTok », soupire-t-elle.

Vigilance numérique

Certains surfent désormais, par jour, l’équivalent du temps qu’ils y passaient autrefois par semaine. Et le retour à l’école n’a guère changé les habitudes de connexion prises lors des restrictions. Un constat que partage l’Union nationale des associations familiales (UNAF), qui a renouvelé son étude sur la parentalité numérique auprès de 2 000 parents et 600 enfants et adolescents de 7 à 17 ans et en publiera les résultats début février. « Les règles ont été plus difficiles à tenir et l’utilisation des écrans s’est effectivement assouplie pendant le confinement, les pratiques se sont pérennisées au-delà. Les parents interrogés ont vécu ces changements comme une régression », explique Olivier Gérard, responsable des médias et usages numériques à l’UNAF, qui assure par ailleurs que la question inquiète « toutes les catégories de parents », sans distinction de milieux sociaux.

« Tout est imbriqué, désormais, il n’y a plus de frontière entre temps scolaire et temps de loisirs en ligne. Difficile de savoir ce que les enfants font réellement devant leur ordinateur, même si on a confiance, qu’on en discute avec eux et qu’on gère le temps passé », regrette Farah Guillot. Certains, qui ont répondu à un appel à témoignages lancé sur le site du Monde le 7 janvier, déplorent également ne pas avoir parfois le contrôle sur les tablettes et autres équipements informatiques fournis aux élèves par l’éducation nationale.

« Il ne suffit pas d’équiper », lance Laurane Raimondo, chercheuse associée au Centre lyonnais d’études de sécurité internationale et de défense. Fondatrice de l’entreprise LR Conseils & Stratégies, elle forme souvent des parents et collégiens démunis lors d’ateliers de sensibilisation aux usages du numérique. « La question de la sécurité numérique, des paramétrages, de la protection de l’identité et des données est cruciale. Parents, enseignants comme enfants doivent aussi être formés en ce sens », défend-elle, d’autant que la charge en matière de vigilance numérique est devenue très lourde dans les foyers entre « un télétravail qui s’est organisé en urgence avec des outils personnels » et des enfants de plus en plus connectés. « Cela implique pour les parents d’y consacrer du temps, de comprendre le contenu et les enjeux. Ce qui demande une énergie qui n’est pas évidente à mobiliser dans le contexte actuel »,analyse Olivier Gérard, de l’UNAF.


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