Installée en mars 2021, la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants a entamé depuis octobre un tour de France pour rencontrer les victimes. Elle devrait rendre ses premières recommandations mi-mars.
Elle a attendu que la réunion touche à sa fin. Manteau rose, masque rose, elle a d’abord écouté attentivement, pendant plus d’une heure et demie, les interventions de celles et ceux réunis, ce mardi 11 janvier, dans le grand amphithéâtre de l’Ecole supérieure de journalisme de Lille à l’invitation de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise). « Qui veut prendre la parole ? », interroge Edouard Durand, magistrat, qui copréside l’instance avec Nathalie Mathieu, directrice générale de l’association Docteurs Bru et de sa structure d’accueil pour jeunes filles victimes d’inceste.
La main de la dame en rose se lève. Mais, paniquée tout à coup, elle se tourne vers sa fille, assise à ses côtés : « Je vais pas y arriver… »Elle saisit pourtant le micro, et les mots sortent, entrecoupés de silences. « Je suis venue ici pour témoigner… Pour dire que quand on vit un viol quand on est jeune… ça va avoir des répercussions pour toute la vie, alors la protection est très importante. » Sa main tremble un peu, mais elle poursuit vaillamment : « J’ai 54 ans, et j’ai eu une amnésie traumatique pendant quarante-cinq ans. Je viens de découvrir que… que j’ai été abusée par mon père de 3 à 10, 11 ans. Pour vous dire quel enfer je vis depuis trois ans, je suis devenue agoraphobe, je ne savais plus sortir de chez moi tellement j’avais peur. »
Un sanglot, et elle conclut : « Donc c’est une super victoire aujourd’hui et un symbole très grand, parce que je viens d’assez loin. Et c’est la première fois que je fais un trajet aussi important, que je m’éloigne de mon domicile… Parce que c’est ça qui me fait peur. Accompagnée de ma fille, on a pu faire le trajet pour venir jusqu’ici… alors merci. » Des applaudissements accompagnent ces dernières paroles, tandis que mère et fille s’enlacent, en larmes.
Un gouffre depuis l’enfance
Nantes, Bordeaux, Avignon, Lille… Depuis qu’elle a entrepris, le 20 octobre, de se rendre à la rencontre des victimes d’inceste et de violences sexuelles une fois par mois, la Ciivise est confrontée à ces récits douloureux, exposés sans fard lors de ces réunions publiques. C’est à partir de ces témoignages, mais aussi de ceux reçus par le biais de son site Internet et des lignes d’écoute – 0-805-802-804 pour la métropole et le 0-800-100-811 depuis l’outre-mer –, que la commission, installée en mars 2021, a pour mission d’élaborer des recommandations de politiques publiques.
A chaque étape de ce tour de France, qui s’arrêtera le 16 février à Paris, c’est le même rituel. Les deux coprésidents et le secrétaire général, Benoît Legrand, accompagnés d’un représentant de la direction générale de la cohésion sociale et parfois de la militante féministe Ernestine Ronai, membre de la Ciivise, sont installés face au public. Derrière eux, les coordonnées de la commission sont projetées sur un mur. Après une brève introduction, le micro circule dans la salle pendant deux heures. Dans chaque ville, plusieurs dizaines de personnes – dans l’immense majorité des femmes – font le déplacement ; victimes ou proches de victimes, professionnels concernés par le sujet, elles partagent leur vécu, exposent quelquefois des pistes d’amélioration.
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