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jeudi 20 janvier 2022

Catherine Corsini : «Les soignants bossent, on les stigmatise, aucun candidat n’en parle»

par Eric Favereau  publié le 18 janvier 2022 

Dans son récent film «la Fracture», la cinéaste racontait une nuit dantesque aux urgences. Elle s’indigne aujourd’hui du manque de prise de parole sur le sujet, dans les médias comme dans le monde politique.

Elle le dit avec une surprise non feinte : «Je ne comprends pas ce qui se passe. On sait l’état de l’hôpital public, et il ne se passe rien.» La cinéaste Catherine Corsini est intarissable mais aussi désarçonnée, sans voix, devant ce désabusement accepté. Comme s’il n’y avait rien à faire, juste à regarder le Titanic hospitalier s’enfoncer un peu plus. «Ce qui m’attriste depuis que j’ai fait mon film la Fracture et que je me suis rendu compte de l’état de l’hôpital public, c’est que les manifestations pour soutenir le personnel soignant sont peu suivies, que le constat d’échec sur l’état de l’hôpital ne suscite aucune prise de parole suffisante de la part des politiques, aucune annonce de mesures concrètes. Le Ségur de la Santé a été plus qu’insuffisant», raconte Catherine Corsini.

«Les soignants m’ont confié leur désarroi»

La Fracture, présentée à Cannes cet été, est un film très prenant : c’est une nuit aux urgences mais une nuit particulière où se mêlent des histoires individuelles et l’arrivée massive de blessés à la suite d’une manifestation des gilets jaunes violemment réprimée. Tourné en plein Covid, avec des stars (Marina Foïs et Valeria Bruni-Tedeschi) mais aussi des soignantes jouant magnifiquement leur propre rôle comme Aïssatou Diallo Sagna, il y a cette impression que cela peut craquer à tout moment.

«Je n’en revenais pas de cette tension, mais aussi des qualités humaines de certaines soignantes», dit Catherine Corsini. Qui réfléchit à voix haute : «L’hôpital était pourtant une fierté des Français, un endroit affectionné pour ce savoir-faire, là où l’humanité avait encore sa place, un endroit où on se sentait en confiance. Tout le monde est ou sera amené à fréquenter l’hôpital dans sa vie. Pourquoi y a-t-il un renoncement à renouer avec ce qui en a fait un endroit d’excellence ?»

Et de s’interroger encore : «Les soignants m’ont confié leur désarroi, ils m’ont montré qu’ils étaient à bout. Je me demande pourquoi les journalistes ne sont pas là à marteler l’urgence de la situation, à unir leurs forces, à mordre aux mollets les politiques.» Infatigable, encore : «J’ai présenté mon film dans plein de villes de France, fait des débats avec des médecins, des soignants. Tout le monde dresse le même constat amer. Les soignants sont dégoûtés, ils sont en première ligne, les premiers à se faire attaquer. Ils bossent, on les stigmatise, aucun candidat n’en parle. Personne ne les interpelle. Aucune alliance ne se fait. Comme si le monde des soignants ne méritait pas qu’on s’y arrête. Toute velléité d’union, de solidarité, part dans un trou noir. Alors que l’hôpital est notre poumon, que le soin devrait être érigé comme droit.» Et elle finit par cette apostrophe :«Comment peut-on faire quelque chose ?»

Promesses hors-sol

Derrière la relative ingénuité de ces propos, on retrouve l’impuissance de bien des acteurs. Voilà des mois que l’on débat, en effet, sur la crise de l’hôpital public, des mois que l’on dissèque les erreurs politiques passées, et le statu quo demeure. A-t-on entendu un début de réforme qui pourrait changer la donne ? Il y a eu le Ségur. Il y a, certes, de grandes affirmations. Et il y a des mesures chocs – «Je vais embaucher 25 000 aides soignantes et infirmières de plus par an» (Anne Hidalgo), «Ils ou elles auront enfin un salaire décent» (Jean-Luc Mélenchon).

Mais cela reste comme des promesses hors sol. Plus on en parle, moins le dossier semble évoluer. Sur la liste très suivie d’e-mails du professeur André Grimaldi, où se retrouvent les médecins parisiens pour disséquer la crise hospitalière, chacun y va ainsi de son commentaire, de sa posture, de sa mesure, mais pour quelle avancée ? Se trompent-ils de diagnostics ? Que cache ce discours catastrophiste sans effet dans la réalité ?

Certains font remarquer que l’hôpital devait s’effondrer avec la cinquième vague de Covid-19. Ladite vague a été forte, longue, et elle dure encore. Et pourtant, contrairement aux prévisions des uns ou des autres, l’hôpital a tenu, certes non sans mal, mais il a résisté. Chaque vendredi, des soignants et des médecins, à midi, se retrouvent devant leur établissement pour faire une minute de silence. Et Catherine Corsini de lâcher encore : «Tout ne se résout pas en mettant la logique gestionnaire au centre. Pour le cinéma, c’est pareil, on ne parle plus de films mais de contenus, de produits… Nous ne sommes plus des spectateurs mais des abonnés. C’est cette dérive qui est dangereuse. Prendre le temps de s’occuper convenablement des patients, ça a un prix et c’est aussi le respect du travail des soignants.»


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