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mardi 7 janvier 2020

« Nos artistes ne sont pas des “bons sauvages” qu’il faudrait couper du monde extérieur

Usbek & Rica

Benjamin Leclercq   05/01/2020
Au cœur des Ardennes belges, un centre d’art accompagne depuis vingt ans des personnes handicapées mentales dans leur pratique artistique. Loin du cliché de l’artiste isolé, en souffrance et anonyme, la « S » Grand Atelier défend un art brut exigeant mais produit dans un environnement joyeux et ouvert sur le monde. Un positionnement radical que valide la notoriété croissante de ses artistes, en Belgique comme à l’étranger.
Pour arriver à la « S », il faut d’abord se mettre au vert. Quitter la densité et rejoindre la contrée la plus boisée et la moins habitée de Belgique, la province de Luxembourg. Soit un océan de chênes, de bouleaux, d’érables et d’épicéas peuplant l’extrême sud du royaume. Puis, à égale distance des frontières allemande et luxembourgeoise, il faut trouver Vielsalm, discrète commune francophone de 7 800 âmes, dont le blason figure, coquetterie en ces terres ardennaises davantage réputées pour leurs sangliers, deux saumons rouges adossés. Il faut, enfin, accepter de se perdre dans les méandres de ce que les Belges nomment un « zoning » (une zone d’activité), et parvenir à s’extraire d’un voisinage composite : un club d’éducation canine, une PME de gemmothérapie, un vendeur de poêles à bois. On pense un temps s’être trompé de rue, de ville, voire de région. Puis surgit finalement, sur une façade de briques rouges, le grand S que l’on cherche. En matière de dépaysement, le centre d’art brut et contemporain de la « S » Grand Atelier tient donc toutes ses promesses.

Femme dragon et alphabet érotique

C’est ici, dans cette ancienne caserne militaire laissée vacante en 1994 par les Chasseurs ardennais – un bataillon d’infanterie de l’armée belge –, que la « S » s’évertue depuis 2001 à tenir son autre grande promesse, la plus essentielle : permettre à des personnes handicapées mentales de développer une pratique artistique, de s’épanouir en tant qu’artiste, et même, pour certains, de faire carrière.
Ce jeudi de fin d’été, c’est donc un bataillon d’artistes qui s’affaire dans les ateliers. Il y a, au textile, Barbara Massart, 32 ans, silhouette fluette arc-boutée sur sa « femme dragon », un fulgurant mannequin à taille humaine, visage de céramique blanc et corps de mailles complexes et colorées. Elle l'a exposée à l'automne 2019 au Mima, un musée bruxellois réputé. On aperçoit, au dessin, l’incontournable Dominique Théate, quinquagénaire bavard, qui peaufine, à doux traits de feutre en même qu’il conte de romanesques anecdotes familiales, un couple composé d’une jeune femme blonde et pop et d’un monsieur à trois jambes élégamment vêtu (« Moi-même avec une belle blonde », explicite-t-il). Un peu plus loin, c’est Joseph Lambert, 69 ans, clin d’œil facile et amical, adepte des sourires plus que des mots, et concentré sur les strates de couleurs qu’il compose et sédimente comme autant de phrases mystérieuses prononcées sur papier. À ses côtés, Rita Arimont. La jeune quinqua (52 ans) a déserté l’atelier textile pour venir sculpter ses pelotes aux côtés de Joseph : ici, elle peut mieux couver son amoureux du regard et répondre à ses tendres œillades.
Rita Arimont, 52 ans, fait feu de tout bois (laines, cellophanes, cartons, polystyrènes, calques, cordes) pour détourner et créer des objets singuliers
Rita Arimont, 52 ans, fait feu de tout bois (laines, cellophanes, cartons, polystyrènes, calques, cordes) pour détourner et créer des objets singuliers. / © Zoé Ducournau
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