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Dans un laboratoire de recherche de l'Institut universitaire du cancer, à Toulouse en 2014. (Photo d'illustration) Photo Pascal Pavani. AFP
Les innovations thérapeutiques, en plus d’être un poids croissant dans les dépenses de l’assurance maladie, ne sont pas systématiquement synonymes de progrès. Ne vaut-il mieux pas investir dans le personnel soignant ?
Tribune. Notre système de santé fantasme de multiples espoirs dans l’innovation. Elle serait moteur d’activité, d’attractivité et une solution pour la transformation du système hospitalier. Il ne faut pour autant pas perdre de vue que c’est le patient qui doit en être le premier bénéficiaire. L’accès privilégié à l’innovation offerte par notre système de santé est présenté comme un de ses atouts majeurs. Et sa remise en cause sonnerait comme une perte de chance pour les patients.
Pourtant ces innovations, en plus d’être un poids croissant dans les dépenses de l’assurance maladie, ne sont pas systématiquement synonymes de progrès thérapeutique. Pour prendre l’exemple de la cancérologie, qui centralise la majorité des nouveaux traitements, on constate que de moins en moins de preuves d’efficacité sont demandées pour leur mise sur le marché mais que, parallèlement, leurs prix s’envolent. L’émotion que créent les maladies incurables induit une course à l’innovation nuisible aux malades et à la pérennité de notre système de santé.
A l’heure de la crise qui touche nos hôpitaux et plus généralement notre système de santé, il semble que nous souffrons plus d’un manque de ressources humaines que d’innovations techniques ou médicamenteuses. Une réflexion collective sur ce sujet central et peu discuté devrait être menée.
L’accès à l’innovation pourrait en effet mettre à mal l’accès aux soins. Il faut s’interroger sur le sens et les bénéfices de cette course à l’innovation. On pourrait comparer cette interrogation à ce qui se passe actuellement dans le domaine des télécommunications : souhaitons-nous passer à la 5G qui nous fera gagner quelques millisecondes, ou pouvoir disposer a minima d’Internet sur tout le territoire ?
De fausses innovations qui coûtent
Deux études, publiées en 2017 (1) et 2019 (2), ont mis en avant que les nouveaux médicaments contre le cancer autorisés par l’Agence européenne du médicament l’avaient majoritairement été sans preuve d’allongement de la durée de vie. Et ce même trois ans après leur autorisation de mise sur le marché. Certaines spécialités médicamenteuses étaient même responsables d’une diminution de la durée de vie…
Parallèlement, l’association Mieux prescrire souligne régulièrement que malgré le peu ou l’absence de progrès démontrés pour les patients, ces médicaments sont vendus de plus en plus cher jusqu’à atteindre, en 2016 et en France, 176 000 euros par années de vie gagnée pour une personne.
Depuis les années 90, la France s’est dotée d’une politique d’accès précoce à l’innovation en santé. Le dispositif central de cette politique est l’autorisation temporaire d’utilisation (ATU) qui permet aux patients d’accéder à des innovations médicamenteuses avant qu’elles n’aient rempli toutes les conditions nécessaires à leur mise sur le marché. Or ce dispositif, qui pouvait sembler vertueux, suit aujourd’hui le même schéma que nous venons de décrire : les médicaments autorisés par ce dispositif coûtent de plus en plus en cher et sont rarement de réelles innovations. Selon les chiffres de la direction de la Sécurité sociale, alors que la dépense liée aux ATU plafonnait à 110 millions d’euros annuels jusqu’en 2013, elle a atteint deux pics successifs à 1 milliard d’euros en 2014 et 2016. Enfin, un rapport du Sénat de 2018 sur l’ATU montre que l’évaluation de ces médicaments prouve qu’ils apportent, pour 72% d’entre eux, qu’une amélioration thérapeutique mineure voire nulle.
Des innovations sources d’économies sur le dos de l’hôpital…
Selon le lobby de l’industrie pharmaceutique en France les Entreprises du médicament (Leem), les nouveaux anticancéreux, malgré leurs prix élevés, peuvent être source d’économies pour notre système de santé. Plusieurs études réalisées à leur demande montrent une potentielle diminution des dépenses. Ces économies sont dégagées en poursuivant le virage ambulatoire. Les nouvelles molécules permettraient de modifier le système de santé, notamment en transformant le cancer en pathologie chronique, avec une prise en charge en ville. On économiserait alors en diminuant le nombre de lits et de soignants à l’hôpital. Si l’idée peut sembler vertueuse, elle n’est pas en accord avec les revendications qui se font entendre de la part du monde soignant et des professionnels hospitaliers. En effet, en suivant cette logique, c’est l’hôpital qui devrait payer le prix de ces innovations.
Un système en manque de personnel
Le manque de personnel – et son manque de reconnaissance – est parmi les éléments que relèvent d’une voix unanime tous les acteurs du système de santé. Le défaut de personnel risque à terme de troubler l’accès aux soins en accentuant la fermeture des lits, la qualité des soins, par manque de temps que les équipes médicales peuvent consacrer aux patients, et enfin la survie de l’hôpital public, par une détérioration des conditions de travail et donc de l’attractivité de l’hôpital public. Faute d’investissement dans le personnel, des situations inadmissibles mais pourtant réelles deviendront plus fréquentes, comme les patients qui attendent des heures sur un brancard.
Conclusion
Depuis les années 90, nous avons souhaité remettre le patient au centre du soin. Mais sans soignant, le patient est livré à lui-même. Il aura tout un arsenal thérapeutique pour espérer guérir de sa maladie mais plus de soignant pour l’accompagner.
Ne serait-il pas judicieux d’allouer plus de moyens à l’humain qu’à la technique, en maintenant certes l’accès aux molécules qui ont fait leur preuve, mais en favorisant la possibilité d’avoir accès aux soins de base et en soutenant l’innovation sur l’humain ? Quelle que soit la décision finale, il faudrait au moins qu’une réflexion collective soit ouverte pour donner le choix à ceux qui vivront dans le système de santé de demain.
(1) C. Davis et coll. «Availability of evidence of benefits on overall survival and quality of life cancer drugs approved by European Medicines Agency : retrospective cohort study of drug approval 2009-2013» BMJ 2017 ; 359 : 13 pages.
(2) N. Grössmann et coll. «Monitoring evidence on overall survival benefits of anticancer drugs approved by the European Medicines Agency between 2009 and 2015» Eur J Cancer 2019 ; (110) : 1-7.
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