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jeudi 6 juin 2019

Les services de lutte contre les stupéfiants en passe d’être réformés

L’Office central antidrogue va remplacer l’actuel Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants, dont le fonctionnement a fait l’objet de polémiques. Il aura pour mission de centraliser toutes les informations.
Par  et   Publié le 5 juin 2019
Quelque 232 paquets de drogues ont été saisis par les douanes maritimes près de Toulon, le 25 mai.
Quelque 232 paquets de drogues ont été saisis par les douanes maritimes près de Toulon, le 25 mai. SYLVAIN THOMAS / AFP
Il aura fallu plus d’un an pour que le projet se décante. La réforme des services chargés de la lutte contre le trafic de drogue, dont les derniers détails ont été fignolés lors d’une réunion interministérielle fin mai, devrait être présentée dans les jours qui viennent au président de la République, selon les informations du Monde.
Emmanuel Macron avait appelé de ses vœux ce « plan stup », en mai 2018, pour une présentation en juillet de la même année. Mais, entre l’affaire Benalla, la démission de Gérard Collomb du ministère de l’intérieur et la crise des « gilets jaunes », la Place Beauvau n’avait jamais trouvé le temps de rendre sa copie. C’est désormais chose faite. Laurent Nunez, le secrétaire d’Etat auprès de Christophe Castaner, ministre de l’intérieur, a pris la main sur ce dossier complexe.

Sur le modèle de ce qui a été fait avec la DGSI

De nombreuses entités travaillent aujourd’hui sur la lutte contre les stupéfiants : l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (l’Ocrtis, qui dépend de la police judiciaire), les sûretés départementales, les douanes, les sections et brigades de recherche des gendarmes… Le tout plus ou moins en lien direct avec les magistrats des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS). Une multitude d’acteurs qui opèrent parallèlement, voire en concurrence. « L’idée directrice du plan est de décloisonner le fonctionnement des nombreux services qui travaillent sur la lutte contre les stupéfiants et de mieux partager les informations », explique-t-on place Beauvau.
Les ministères de l’intérieur et de la justice, sous le contrôle de Matignon, ont fini par se mettre d’accord pour désigner un nouveau chef de file de la filière « stup », sur le modèle de ce qui a été fait avec la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) pour la lutte antiterroriste.
Un Office central antidrogue (OCAD) va être créé, en remplacement de l’Ocrtis, avec un rôle de centralisation de toutes les informations. Il sera sous la coupe de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), grande gagnante du bras de fer. Au désarroi des gendarmes, qui participeront bien à la nouvelle entité, mais auraient préféré la diriger. Le ministère de la justice avait aussi espéré un temps placer un magistrat à la tête de cet office.
Cette refonte nationale s’accompagne de la création de cellules de renseignement opérationnelles sur les stupéfiants, au niveau départemental.

Faire coup double

Composées de policiers et de gendarmes, elles seront chargées de collecter toute l’information localement avant de transmettre les éléments au procureur. Elles devront faire le lien avec la police de sécurité du quotidien, en prise directe avec les quartiers les plus difficiles en termes de trafics. Des comités de pilotage entre les préfets et les magistrats seront mis en place pour chapeauter le tout. Ce nouveau schéma s’inspire de ce qui est déjà pratiqué à Marseille et à Lille.
Le « plan stup » présenté au président de la République devrait enfin comporter un volet international pour améliorer la collaboration avec les pays voisins et les grands organismes comme Europol. Les douanes seront particulièrement mises à contribution pour lutter en amont contre l’importation des produits.
Si le phénomène des mules – ces personnes qui transportent la drogue pour passer les contrôles des aéroports, notamment en provenance de Guyane – inquiète les autorités, il ne représente « que » deux millions de kilos de drogue sur les 16 millions qui arrivent chaque année sur le territoire, principalement par conteneurs, selon les autorités.
A travers cette grande réorganisation des services, le gouvernement espère faire coup double. S’il s’agit bel et bien de changer de braquet dans la lutte contre les trafics, ce plan est surtout l’occasion de tirer un trait sur plusieurs années de polémiques concernant le fonctionnement de l’Ocrtis, l’actuelle entité en pointe sur les « stups ».

L’Ocrtis, un service tout-puissant et incontournable

Basée à Nanterre sous la responsabilité de la DCPJ, mais avec une compétence nationale, il a été reproché à cette structure à plusieurs reprises la manière dont elle mène ses enquêtes en lien parfois trop étroit avec ses informateurs. Plusieurs informations judiciaires ont été ouvertes, et l’ancien directeur, François Thierry, a été mis en examen à plusieurs reprises, notamment pour « complicité de trafic de stupéfiants ». Un comble pour l’homme qui a longtemps incarné la figure charismatique de la lutte antidrogue et pour un service loué pour son efficacité par le pouvoir politique.
C’est en mettant en place une nouvelle doctrine de lutte contre les stupéfiants, baptisée « Myrmidon », consistant à privilégier le démantèlement des réseaux criminels aux saisies sèches de marchandises, que l’office a obtenu ses meilleurs résultats, au point de devenir un service tout-puissant et incontournable. C’est par cette même doctrine et avec la révélation de ses implications opérationnelles que l’Ocrtis a précipité la réforme présentée aujourd’hui.
La découverte, en octobre 2015, par le service de renseignement des douanes, de sept tonnes de cannabis, boulevard Exelmans, dans le 16e arrondissement de Paris, a permis de lever le voile sur des pratiques douteuses. La cargaison saisie appartenait en fait à Sofiane Hambli, figure majeure de l’importation de cannabis en France et informateur de l’Ocrtis.
Les enquêtes judiciaires qui ont suivi ont précisé les contours de sa relation avec l’office. Traité directement par le directeur, François Thierry, il a permis à celui-ci de réaliser de très belles affaires. Pour quelle contrepartie ? A-t-il continué de son côté à importer du cannabis, pour son propre compte ? Que savait M. Thierry des autres activités de son informateur ? Et au final, qui a manipulé qui ?
M. Thierry a par exemple été jusqu’à mettre en place une fausse garde à vue afin de permettre à Sofiane Hambli d’être extrait de la prison où il était incarcéré pour qu’il puisse passer des appels à ses contacts trafiquants au Maroc. Un habillage de la procédure qui vaut aujourd’hui à la procureure adjointe Véronique Degermann, alors en poste au parquet de Paris et qui avait validé la prolongation de cette garde à vue, une mise en examen pour « faux et usage de faux ». Les policiers de l’Ocrtis assurent qu’ils ont toujours informé les parquets concernés des tenants et aboutissants de leurs opérations.

Guerre sourde

En créant l’OCAD sur les cendres de l’Ocrtis, le ministère de l’intérieur espère renouer le lien avec les procureurs et les juges, qui parlent de leur côté de « rupture de confiance ». C’est que, en creux, une guerre sourde a opposé l’office à de nombreux magistrats des JIRS. D’un côté, les policiers reprochent à ces derniers de se draper dans des principes qu’ils n’avaient pas quand les résultats étaient au rendez-vous. Les magistrats estiment, en retour, que les policiers ont omis de les informer des détails de leurs opérations et ont eu une interprétation un peu trop libre du code pénal, notamment de l’article encadrant les « livraisons surveillées », ces ventes de drogue qui s’effectuent sous le contrôle des forces de l’ordre pour mettre au jour des réseaux.
Cet affrontement a eu de lourdes conséquences. De nombreuses JIRS, à Paris et à Rennes par exemple, ont peu à peu cessé de saisir l’office sur des affaires de drogue. Il est même arrivé que certains magistrats de la JIRS de Paris doivent enquêter sur les agissements de l’Ocrtis, tout en travaillant par ailleurs avec l’office sur d’autres affaires. Une situation intenable.
La révélation récente par Le Monde d’une nouvelle incartade de l’Ocrtis a accéléré l’inéluctable réforme de l’office. Un capitaine de police est soupçonné d’avoir fait, à Marseille, en 2018, une fausse réquisition judiciaire pour obtenir les fadettes (factures de téléphone détaillées) d’un trafiquant. Celui-ci était suspecté par un informateur de l’Ocrtis de lui avoir volé de la marchandise. Le policier a-t-il transmis ces fadettes à son indicateur ? Il assure que non. Toujours est-il que l’homme soupçonné d’avoir volé de la drogue à l’indicateur a ensuite été victime d’une expédition punitive.
Cet ultime faux pas a sonné le glas de l’Ocrtis, au profit de l’OCAD. Un simple coup de peinture sur la façade ? Le « plan stup » est avant tout une réforme de structure. Il n’a pas pour objectif de régler l’épineuse question des indics, maillons essentiels de la lutte antidrogue, par qui les affaires, mais aussi parfois les scandales, arrivent.

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