Cristaux de trastuzumab, médicament contre le cancer du sein
commercialisé sous le nom Herceptin. Photo SPL. Phanie
A l'occasion du grand congrès annuel de cancérologie à Chicago, le professeur Eric Vivier fait le point sur la révolution de l'immunothérapie.
Ils sont près de 40 000 chercheurs, médecins, industriels, à se réunir jusqu’à ce mardi à Chicago, pour le grand rendez-vous annuel de la cancérologie : le congrès de l’American Society of Clinical Oncology (Asco). Et cette année encore, une vedette, l’immunothérapie. C’est-à-dire conduire le système immunitaire à détruire lui-même les tumeurs.
Aujourd’hui, en tout cas, on ne parle plus que d’elle. Et les patients atteints de cancers se doivent de connaître cette nouvelle classe de traitements antitumoraux. Un exemple parmi d’autres : dimanche, une équipe dirigée par le professeur Edward Garon, de l’université de Californie, a présenté les résultats d’une étude sur le cancer du poumon qui a montré pour la première fois les effets à long terme d’un traitement par immunothérapie, le pembrolizumab. En tout, il y aurait plus de 3 000 essais d’immunothérapie en cours dans le monde.
En France, ils y travaillent tous. Le professeur Eric Vivier, directeur scientifique d’Innate Pharma et coordinateur du cluster Marseille-Immunopôle, a été un des pionniers. Ces derniers jours, deux de ses travaux ont été publiés dans la grande revue scientifique Cell.
Auteur de l’Immunothérapie des cancers (éd. Odile Jacob), personnalité originale, longtemps volontaire à l’association Aides, il fait le point sur «cette révolution médicale».
N’est-ce pas exagéré de parler encore une fois de révolution dans le cancer avec l’immunothérapie ?
Non. Plusieurs points le confirment. Dans la prise en charge, c’est une vraie révolution. La plupart des acteurs changent de domaine d’actions pour aller dans ce nouveau champ que l’on appelle l’immuno-oncologie. C’est un monde nouveau qui reste encore à découvrir. Nous sommes comme en 1928, quand Fleming a découvert la pénicilline qui allait ouvrir la voie des antibiotiques.
Certes, mais pour les patients ?
Les résultats sont déjà spectaculaires ; pour la première fois dans l’histoire de l’oncologie, un seul médicament, – les anti-PD1 –, a été approuvé pour toutes les pathologies tumorales. Cel a complètement modifié le paradigme de prise en charge des cancers, avec une amélioration significative de la survie dans de nombreux cancers au stade avancé.
Oui, mais ce médicament ne donne pas de très bons résultats cliniques pour tous les patients…
Nous sommes dans une révolution thérapeutique. On tâtonne. Reste que des patients, qui devaient mourir, sont vivants, quasi guéris. En termes d’efficacité et de non-toxicité, nous n’en sommes qu’au début. Nous devons apprendre à utiliser ces médicaments. C’est un peu comme avec le sida, juste au moment où apparaissaient les trithérapies.
Le cancer devenant comme le VIH, une maladie chronique ?
On s’oriente vers une autre relation avec le cancer qui ne sera peut-être pas dans l’éradication. On va contrôler la maladie, à l’instar de ce qui se passe avec le VIH. Et cette avancée se fait par vagues. Les anti-PD1 étant la première. La deuxième vague venant avec les CAR-T (1) qui sont au cœur de l’Asco. Ce sont deux sortes de thérapies bien différentes, la cellule comme médicament ou bien les anticorps qui guérissent. Comme pour le VIH, on ira peut-être vers des combinaisons de traitements.
Toute cette révolution repose, à vous entendre, sur un autre regard porté à notre système immunitaire…
De ce point de vue, c’est impressionnant. Les questions se renouvellent, et sont inédites. Qu’est-ce qu’un corps étranger pour notre système immunitaire ? Pourquoi en reconnaît-il certains et pas d’autres ? Quelle est la différence entre le soi et le non-soi ? Pourquoi, devant des cellules cancéreuses, notre système immunitaire ne réagit-il pas ou alors maladroitement ? La cellule cancéreuse est-elle un corps étranger ?
Et la réponse…
Le système immunitaire reconnaît la tumeur, mais ne sait pas la combattre. On pensait que tout reposait sur le soi et le non-soi. Mais ce n’est pas vrai, on s’aperçoit que notre système immunitaire est extrêmement complexe. Il voit des différences, perçoit des contrastes. Puis notre système immunitaire s’adapte. Et se modifie. Parfois il s’adapte trop vite, alors même que les cellules cancéreuses se modifient lentement. C’est cela l’enjeu avec le cancer : faire en sorte que notre système immunitaire s’adapte à la bonne vitesse. Alors, on tente de recréer des ruptures pour le réveiller, et pour cela, soit on en enlève des freins pour qu’il réagisse plus vite, soit on appuie sur l’accélérateur. Dans les deux cas, on le pousse à réagir.
Mais dans ce modèle, ne devrait-on pas arriver à guérir ?
C’est ce que l’on cherche évidemment, mais ne vendons pas la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Il y a trois phases. C’est la règle des trois «E». Soit c’est élimination, soit c’est la phase équilibre, soit échappement, où le cancer se poursuit à bas bruit. Aujourd’hui, avec nos thérapeutiques, nous débutons.
Il y a peu, on évoquait l’importance de la flore intestinale, baptisée désormais le microbiote, pour soigner le cancer…
Oui, et cela va dans le même sens. De grandes avancées scientifiques ont montré les liens qu’il y avait entre notre système immunitaire et notre microbiote composé de ces milliards de bactéries. De ce point de vue, l’entrée du microbiote dans l’immuno-oncologie est une confirmation de ces travaux.
Reste un problème majeur : le coût de ces traitements, souvent faramineux…
C’est un vrai problème qu’il ne faut pas caricaturer. Comparer le prix des médicaments n’est pas suffisant. Ainsi, comparer un traitement qui marche à un traitement qui ne marche pas n’a pas de sens. Il faut comparer le coût des maladies.
Certes, mais après ?
Il faut arriver à mettre tout le monde autour de la table, tous les acteurs, pour arriver à monter un business modeljouable. Mais cela bouge. Novartis, par exemple, propose de nouveaux types de prise en charge financière ; si cela ne marche pas, alors l’Assurance maladie ne rembourse pas le prix du traitement. En tout cas, ce n’est qu’ensemble que l’on trouvera une solution.
La France arrive-t-elle à résister à la puissance américaine ?
Nous sommes dans un champ concurrentiel que l’industrie pharmaceutique a révolutionné par des investissements massifs. La compétition est forcenée. L’enjeu ? Essayer de provoquer au plus vite des retombées de la recherche fondamentale pour les traduire vers les malades. Il s’agit de fluidifier le passage de la recherche vers le patient. La société que l’on a créée, avec aujourd’hui plus de 200 emplois, a déjà quatre médicaments en essai clinique. Cela bouge très vite. Rien n’est perdu d’avance.
(1) Le traitement commence par une prise de sang, où l’on récupère les lymphocytes T du patient. Ces cellules sont ensuite modifiées génétiquement. L’objectif étant de les armer pour qu’elles puissent s’attaquer au cancer une fois réinjectées aux patients. Ces lymphocytes T new-look vont reconnaître de façon spécifique la tumeur et être ensuite capable de la tuer.
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