C'est le cri de colère et de souffrance d'un très jeune médecin des urgences du centre hospitalier de Lons-le-Saunier (Jura).
Depuis le 28 mai, le préfet réquisitionne des professionnels de santé pour garantir l'accès aux soins urgents dans cet hôpital. Dans un contexte de mouvement social, l'établissement fait face à une pénurie de personnel aux urgences en partie causée par des conditions de travail épuisantes. Selon « Médiapart », deux tiers des personnels paramédicaux sont en arrêt maladie ainsi qu'une majorité des quinze médecins titulaires.
Interne en deuxième année, Adrien*, 26 ans, raconte au « Quotidien », « l'enfer » de ces derniers jours et l'urgence à agir. « J'ai vraiment envie que les gens sachent ce qu'il se passe, c'est surréaliste », explique-t-il.
Un rythme de fou
Tout commence mardi 28 mai. Aux urgences, deux praticiens seniors sur les trois du service sont en arrêt maladie. Seuls un médecin senior et trois internes (un interne de jour de 8 h à 18 h 30, un interne en poste décalé de 14 h à minuit et un interne de garde de 8 h 30 à 8 h 30 le lendemain) assurent la prise en charge des patients pour cette journée. Si elle se déroule tant bien que mal, la nuit sera très éprouvante.
« J'étais tout seul avec le médecin senior. C'était l'enfer. Au bout de 16 heures de boulot, on ne sait plus ce que l'on fait ! On ne pouvait pas souffler, ça n'arrêtait pas d'entrer. Il y a eu une réunion de crise, mais à aucun moment les internes n'y ont été conviés. Seul notre médecin senior nous tenait au courant. On s'est sentis totalement abandonnés. On nous a dit qu'il n'y aurait pas d'infirmier. Un médecin du SMUR de Champagnole [ville à proximité, NDLR] de 70 ans est venu en renfort. Il ne connaissait pas l'outil informatique. Moi, je suis arrivé en mai en stage je ne maîtrise pas non plus tous les logiciels. Nous avions un rythme de fou. Tout était compliqué », raconte-t-il.
« Vous avez tenu la baraque? »
Après 24 heures de travail, Adrien quitte l'établissement mercredi matin dans un état « d'horreur ». « Nous n'avions pas réussi à voir tous les patients de la nuit. On bossait avec les “intérims”, c'est bien, mais ils n'ont pas les habitudes des urgences, nous n'avions pas les bilans faits toujours correctement. Pour administrer les médicaments, il fallait que nous y allions nous-mêmes. Psychologiquement, ce n'est pas tenable », poursuit-il.
Adrien laisse derrière lui ses co-internes prendre la relève, sans médecin senior présent dans le service. Le syndicat des internes de Besançon et le doyen de la faculté sont contactés pour faire le point sur cette situation. Dans la foulée, deux personnes de l'administration passent prendre des nouvelles du personnel du service. Mais pour Adrien, l'administration est hors sol. « Ils nous ont dit “ça va ? Vous avez tenu la baraque ?” avec presque un sourire en coin qui veut dire “de toute façon, vous n'avez pas le choix”. J'étais hors de moi. Je me suis senti complètement dépassé. Les internes, ils n’en ont rien à battre. »
L'impression de mettre en danger les patients
Après une journée de repos, Adrien retrouve son équipe le jeudi matin de l'Ascension. Rebelote. Il travaille avec le même médecin senior que le mardi précédent. Un seul interne de jour est présent en plus. La journée est chargée.
« Ça a été du délire, raconte-t-il. Il y avait un événement départemental, la traversée du Jura à vélo avec 1 500 personnes attendues et une course de moto-cross. Ces événements ont été maintenus par le préfet alors que la sécurité et les urgences n'étaient pas réellement assurées. En deux heures, nous avions des patients ayant fait des chutes de plusieurs mètres à moto, des fractures ouvertes, des chutes de vélo, des douleurs thoraciques, etc. C'était un raz-de-marée, on se sent impuissant. On portait tout à bout de bras. » « Toute la journée, je me suis dit : “Heureusement que ma famille n'habite pas dans le coin.” Ce que l'on fait est criminel. J'ai eu l'impression que l'on mettait en danger les patients. »
Exténués
Le soir, ils ne sont plus que deux et la salle ne désemplit pas. « Une seule personne savait faire les plâtres, c'était l'infirmière d'orientation postée à l'entrée des urgences. Elle a assumé ce rôle en plus de définir les priorités », ajoute-t-il. « La nuit du jeudi a été la nuit du fiasco. À 2 h du matin, on avait 20 personnes en attente. Nous étions deux, exténués, c'était une réelle mise en danger des patients. »
Côté médical, l'interne dessine un tableau inquiétant de ces derniers jours aux urgences : « phlébite qui se transforme en EP, un enfant de 13 ans scopé qui passe la nuit dans un box aux urgences, une fracture d'humérus qui attend 10 heures sur un brancard, sans antalgiques (...) »
Pour Adrien, les autorités n'ont pas été à la hauteur. « Depuis mardi, elles n'ont rien fait. Elles laissent la situation dans cet état. Il y a eu des réquisitions parmi du personnel qui travaille déjà dans ce service d'urgences et qui avait déjà fait les nuits précédentes. Elles étaient amenées par les gendarmes. Ce n'était pas suffisant. »
Dans un communiqué, le préfet du Jura et l'agence régionale de santé (ARS) ont appelé les professionnels concernés à faire preuve de responsabilité. « La déontologie médicale et le sens des responsabilités des professionnels concernés doivent les conduire à placer l'intérêt des patients au-dessus de toute autre considération », peut-on lire.
Une aberration pour l'interne. « Ils invoquent la déontologie médicale, c'est facile d'invoquer ça, ça nous touche directement. Mais quand le soignant craque, si on est plus en état, il n'y a plus personne pour soigner. »
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