Les Drs Sophie Le Guen et Jean-Christophe Seznec ont publié aux éditions Leduc.s un ouvrage grand public sur la lutte contre les « pensées hameçons » qui occupent les journées, empêchent le repos et font le lit du burn out. Un phénomène que ces deux médecins ont souvent constaté chez leurs confrères.
Le Quotidien : Les médecins savent-ils prendre du recul sur leur exercice ?
Dr JEAN-CHRISTOPHE SEZNEC : Bien souvent non. De nombreuses situations peuvent conduire les médecins à « ruminer » : avant tout l’« overbooking, overthinking ». On est médecin 24H sur 24 et de nombreux médecins généralistes ou hospitaliers travaillent plus de 60h de travail par semaine sans compter les gardes et ce dès leur cursus d’interne. Avec un tel surrégime, il leur est difficile de « débrancher » leur cerveau pendant leur temps de repos. Le mental continue à penser aux patients et à résoudre les problèmes une fois une fois rentré à domicile. Cette recherche de solutions sans fin peut entraîner des troubles du repos et du sommeil et fait, en partie, le lit du burn out.
Les médecins en ville et particulièrement les médecins généralistes sont pris entre le marteau et l'enclume : des contraintes administratives, des spécialistes qui demandent aux médecins généralistes de faire les arrêts de travail et les bons de transports à leur place, le risque d'être mis sous tutelle par les instances et les patients qui sont de plus en plus déraisonnables dans leur demande. Ils sont en outre sujets à des incivilités de plus en plus grandes, voire de la violence. Ils ont aussi à faire face à un isolement social du fait de la disparition des soirées organisées par les laboratoires pharmaceutiques qui leur permettaient de se rencontrer.
Enfin, certains rapportent une impossibilité d'exercer leur métier selon leur expertise et leurs valeurs, ce qui est source de nombreuses ruminations. Par ailleurs, l'excès d'empathie est à l'origine d'une fatigue empathique qui elle aussi favorise les ruminations. Il est donc nécessaire que les médecins disposent d'outils afin de prendre soin d'eux et de mieux prendre soin de leur patient.
Que désignez-vous par le terme « pensées hameçons » ? Les médecins y sont-ils plus exposés ?
Certaines pensées qui traversent notre esprit fonctionnent comme des « pensées hameçons ». Si nous les suivons, alors nous sommes happés vers d’autres pensées, des émotions et des comportements qui sont centrés par la culpabilité, l’agressivité, la mauvaise estime de soi…
Les « ruminations mentales » sont portées par la difficulté d’être, le besoin d’amour et de sécurité et notre tendance à tout évaluer. Elles peuvent être tournées vers le passé (« j’aurais dû faire, dire ») ou vers le futur (« je ne peux pas le contrôler, il va m’échapper »).
Quel type de personnalités est le plus à risque ?
Les personnes les plus exposées aux « pensées hameçons » sont celles qui présentent des traits de personnalités particuliers tels que le perfectionnisme ou l’hyper-investissement relationnel. Ce qui est souvent le cas des médecins. Faute de pouvoir se déconnecter, ils n’ont pas de temps de récupération mentale et recourent aux addictions (tabac, alcool et grignotage) pour avoir l’illusion de se détendre. Les médecins sont comme les patients des êtres humains. Parfois ce statut de médecin leur fait oublier leur humanité pour se noyer dans cet engagement passionnel de l'exercice de la médecine jusqu'à l'épuisement. Faire de la place à son humanité, à sa fragilité et à sa vulnérabilité permet de bien prendre soin de soi et donc de ses patients.
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