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vendredi 17 mai 2019

Pourquoi la Haute Autorité de Santé recommande le déremboursement de l’homéopathie

« Le Monde » dévoile les détails de l’avis dont la conclusion a été révélée par France Info, jeudi 16 mai. L’avis définitif est attendu pour juin.
Par Paul Benkimoun Publié le 17 mai 2019
Des tubes d’homéopathies vendus dans une pharmacie à Lille, en septembre 2018.
Des tubes d’homéopathies vendus dans une pharmacie à Lille, en septembre 2018. PHILIPPE HUGUEN / AFP
Le projet d’avis n’est pas encore officiellement connu mais, comme l’a révélé jeudi 16 mai Franceinfo sur son site, la commission de la transparence (CT) de la Haute Autorité de santé (HAS) est « défavorable au maintien de la prise en charge par l’Assurance-maladie des médicaments homéopathiques. » En août 2018, Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, avait annoncé qu’elle allait saisir cette instance, précisant son intention de dérembourser ces médicaments si la preuve de leur efficacité n’était pas apportée. Formellement saisie le 27 mars par la directrice de la Sécurité sociale, la commission a instruit le dossier et adopté, mercredi 15 mai, son projet d’avis dont Le Monde a pu prendre connaissance.

Agnès Buzyn a indiqué qu’elle entendait suivre l’avis définitif de la commission de la transparence de la HAS
Chargée de donner un avis au ministre de la santé et de la Sécurité sociale sur la base du service médical rendu (SMR) d’un médicament et sur l’amélioration du SMR qu’il apporte par rapport aux autres médicaments, la commission de la transparence suit une procédure qui prévoit une phase contradictoire. Les trois laboratoires concernés – Boiron, Lehning et Weleda – ont dix jours à compter de la réception du projet d’avis pour formuler leurs observations écrites ou demander à être entendus par la CT. Celle-ci dispose alors d’un délai de quarante-cinq jours pour donner suite aux demandes d’audition. L’avis définitif est prévu pour juin. Agnès Buzyn a indiqué qu’elle entendait le suivre.
Selon nos informations, un journaliste de Franceinfo avait appelé le laboratoire Boiron jeudi 16 mai « vers 10 heures », en indiquant « connaître la conclusion de la CT ». Dans un communiqué commun mis en ligne le même jour à 17 heures, les trois industriels précisent qu’à « l’heure de l’envoi de ce communiqué les entreprises du médicament homéopathique n’ont toujours pas reçu cet avis. » Ils rappellent que « cet avis préliminaire est protégé par la plus stricte confidentialité et réservé aux seuls laboratoires concernés ».

« Violation du secret »

Un peu plus d’une heure plus tard, à 18 h 19, Franceinfo faisait savoir sur son site que la CT recommandait le déremboursement des médicaments homéopathiques. Pour sa part, la Haute Autorité de santé déclarait avoir adressé le jour même aux laboratoires le projet d’avis et refusait de confirmer les informations révélées par Franceinfo.
Dans leur communiqué, les industriels considèrent que « le fait qu’un média puisse être informé de la teneur de cet avis confidentiel constitue une violation du secret de la procédure d’évaluation en cours remettant potentiellement en cause sa régularité ». Menace à peine voilée d’un recours contre une décision de déremboursement. Interrogé par Le Monde, un juriste familier de ce type de dossier estime qu’il y aurait peu de chances de voir le Conseil d’Etat donner une suite favorable à une telle démarche.
Cette situation sème l’inquiétude chez Boiron alors que les produits remboursés y représentent 70 % du chiffre d’affaires
Pour sa part, le laboratoire Boiron a annoncé, jeudi, avoir décidé de suspendre son cours de Bourse. Comme le soulignait Libération le 15 mai, le risque de déremboursement sème l’inquiétude chez l’industriel. Les produits remboursés y représentent, en effet, 70 % du chiffre d’affaires et « sur 3 600 salariés dans le monde, dont 2 600 en France, ce sont plus de 1 000 emplois qui seraient menacés », selon la directrice du laboratoire citée par le quotidien.
Plusieurs sources n’écartent pas l’hypothèse que le cabinet d’Agnès Buzyn puisse être à l’origine de la fuite. Le ministère a précisé qu’il ne faisait aucun commentaire tant que la procédure contradictoire n’était pas menée à son terme. La révélation sur la teneur du projet d’avis permet, en effet, de prendre de vitesse les industriels dans leur contre-argumentation, notamment en direction de Matignon et Bercy. Ces derniers pourraient ne pas être insensibles à des arguments sur la préservation de l’emploi et l’impopularité éventuelle de la mesure.

Des Français attachés aux thérapies complémentaires

Les sondages Odoxa et Ipsos réalisés en 2018-2019 relevaient le recours important et l’attachement d’une part importante de la population aux thérapies complémentaires et alternatives, ainsi que, pour 75 % des personnes interrogées, la bonne image de l’homéopathie, près de la moitié des répondants déclarant son utilisation régulière ou occasionnelle.
Le Monde a consulté le projet d’avis adopté le 15 mai par la commission de la transparence de la HAS, qui a reçu 29 contributions émanant, entre autres, de syndicats et sociétés savantes de médecins homéopathes ainsi que d’associations de patients utilisateurs de ces médicaments. Dans ce document de 85 pages (plus une bonne cinquantaine de pages d’annexes), la commission précise le contexte de l’évaluation qui lui a été demandée. Celle-ci porte sur « les médicaments à nom commun (hors préparations magistrales) soumis à la procédure d’enregistrement auprès de l’ANSM [Agence nationale de sécurité du médicament] et bénéficiant actuellement d’une prise en charge à 30 % par l’Assurance-maladie ». Après une présentation des principes de l’homéopathie – dont elle rappelle qu’ils « ne sont pas soutenus par les données actuelles de la science » –, et une description de son utilisation en France, la CT détaille les documents sur l’analyse desquels elle fonde son avis.
« Près de 1 000 études ont été identifiées et près de 300 ont été sélectionnées sur la base de critères de sélection détaillés dans le présent avis. » La commission a examiné « 23 revues systématiques de la littérature et méta-analyses, 10 essais contrôlés randomisés et 6 études concernant la consommation médicamenteuse, dans 25 indications ou symptômes. » Après analyse, la CT souligne qu’« au total aucune étude n’a démontré la supériorité en termes d’efficacité (morbidité) de l’approche homéopathique par rapport à des traitements conventionnels ou au placebo. »
« Par ailleurs, aucune étude ayant pour objectif principal l’évaluation de la qualité de vie des patients n’a été identifiée, en conséquence aucun impact en termes de qualité de vie n’a été démontré. »

Absence de preuve d’efficacité

Dans la conclusion de son projet d’avis, la commission met en balance les arguments. D’un côté, elle pointe l’absence de gravité de certaines affections ou symptômes bénins, spontanément résolutifs, pour lesquels « le recours aux médicaments (dont l’homéopathie) n’est pas nécessaire », « l’absence de démonstration d’efficacité » des médicaments homéopathiques, « l’absence de démonstration de leur impact sur la santé publique », « l’absence de place définie dans la stratégie thérapeutique ». A l’inverse, elle reconnaît « la gravité et/ou l’impact potentiel sur la qualité de vie des patients de certains symptômes/affections étudiés pour lesquels il existe un besoin médical à disposer d’alternatives thérapeutiques ou de médecines complémentaires » et « la très bonne tolérance et le profil de sécurité des médicaments homéopathiques. »
Sur cette base, la CT donne « un avis défavorable au maintien de la prise en charge par l’Assurance-maladie des médicaments homéopathiques. » Agnès Buzyn devrait donc prendre une décision radicale à l’issue de la procédure.

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